DESIGN by BELLU : Ambiguïté postmoderne
Les concessionnaires ont commencé à enregistrer les commandes, a priori nombreuses, pour la Renault 5 e-Tech. Il faudra attendre la rentrée de septembre pour assister aux premières livraisons. Toujours est-il que ce lancement est un événement qui génère de la curiosité et qui nous interroge sur le mouvement néoclassique et postmoderne. Il a cessé d’être un phénomène de mode pour devenir une tendance forte du design contemporain. Un petit retour en arrière s’impose.
En novembre dernier, à l’occasion du lancement du programme Ampère dédié aux véhicules électriques chez Renault, Luca De Meo, patron de la marque, a présenté une partie du programme des réjouissances qui devraient - paradoxalement - donner un coup de jeune à la gamme. En effet, le futur de la marque semble reposer sur trois produits qui évoquent le passé : la Renault 5, la R4 et la Twingo.
Par leur valeur symbolique et émotionnelle, par leur forte personnalité, il est vrai que ces trois modèles tranchent singulièrement sur la litanie des SUV de la marque au losange, plus anonymes les uns que les autres sur le plan du style.
Luca De Meo ne renie pas son rôle dans la création de la Fiat 500 qui a été développée à l’époque où il appartenait à la direction du Groupe Fiat. Dévoilée au Salon de Genève 2004, cette astucieuse réminiscence de la 500 de 1957 fit l’objet de réactions si positives que la direction de Fiat décida de l’industrialiser. On connaît son parcours. Inscrite au catalogue pour tenir un second rôle entre la Panda et la Punto, elle est finalement devenue la star de la gamme.
L’envie de grappiller des idées dans l’histoire est ancienne. Plusieurs designers américains s’y sont amusés, de Brook Stevens avec la Gaylord et les Excalibur, à Virgil Exner est ses « revivals » de Mercer, Duesenberg ou Stutz.
Les designers japonais s’y sont essayés dans les années 1980 quand la prolifération des produits high-tech imposait une esthétique froide et rigoureuse. Plusieurs industriels se sont démarqués en ravivant les formes douces et les couleurs acidulées d’autrefois : Sharp avec le poste de radio QT50, Honda avec le scooter Giorno, Nissan avec la Be-1… Dessinée par Naoki Sakai, cette citadine initia une série de modèles décalés, les Pao, Figaro et S-Cargo adoptées par une jeunesse nippone voulant afficher son individualisme dans une société nivelée par la modernité mondialisée.
Le postmodernisme auquel se rattache ces biens de consommation a pris forme en architecture dans les années 1970. Selon Charles Jencks, ce mouvement dont il fut le théoricien, réagissait contre les excès de purisme, d’internationalisme et de fonctionnalisme. En Europe, Ricardo Bofill en fut le flamboyant représentant avec ses ensembles d’habitation décorés de motifs antiques.
Pour les industriels qui adoptèrent la même attitude, les références au passé étaient nécessaires à l’heure de la résurrection de labels disparus comme Mini au sein du groupe BMW ou Alpine chez Renault. Mais pour la plupart des protagonistes, la démarche tenait de l’anecdote. Ainsi, chez Volkswagen, la New Beetle n’avait d’autre ambition que d’insuffler une note de fantaisie à côté d’une Golf résolument rationnelle.
La créativité, que l’on est en droit d’attendre des concept cars, est souvent absente des réalisations qui se rallient à la mode « rétro ».
Elles sont un recours facile pour des des designers en mal d’inspiration. En revanche, en s’éloignant d’un modèle de référence, les designers peuvent se montrer inventifs, à l’image des créateurs des BMW iVision Dee et Neue Klasse qui interprètent les codes des années 1970 avec à propos.
De l’autre côté de l’Atlantique, la citation de modèles historiques peut prendre une tonalité politique. Au début des années 2000, on a vu réapparaître les sportives populaires et musclées des sixties : Ford Mustang, Chevrolet Camaro et Dodge Challenger. Elles ont repris leur patronyme, leur silhouette, leur dégaine de bad boy, le ronflement rocailleux de leur V8. Elles fleurent fort l’Amérique profonde, elles sonnent comme une ballade de Johnny Cash et résonnent comme les échos nauséabonds et trumpistes de l’America First… À ce point de nostalgie, le postmodernisme devient une posture contestataire qui peut être assimilée à la volonté de décroissance. Ces avatars de la mode « vintage » fredonnent la petite musique désolante du « c’était mieux avant ».
La nostalgie motive aussi les Européens qui jouent cette partition rétrograde, certes sur un mode moins velléitaire, mais dans une perspective aussi réactive et réactionnaire. Le renvoi à un soi-disant « bon vieux temps » est une diversion une partie de l’opinion qui dénie les réalités de son époque en matière de socialité et d’environnement et tente de s’y soustraire en cultivant les réflexes identitaires et l’alibi d’une pseudo-tradition. Les automobiles postmodernes sont censées réveiller les émotions de l’enfance ou de l’adolescence. Les images exhumées de la mémoire déclenchent une sympathie spontanée, inspirent indulgence et attendrissement, voire une certaine impunité. Des valeurs dont l’industrie automobile a besoin pour surmonter les critiques et les condamnations, justifiées ou pas, auxquelles elle est exposée. La mode « rétro » suggérant un retour en arrière donne le sentiment de calmer le jeu du progrès ou du moins de sauver les apparences. Pour les créateurs qui l’exploitent, elle donne la réplique aux tendances du design contemporain souvent submergé par ses dérives provocatrices et baroques.
Il appartient aux nouvelles générations de designers de trouver des réponses moins conservatrices, moins opportunistes, moins caricaturales, plus inventives pour que l’automobile échappe aux allégations prévisibles de ses contempteurs.
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