DESIGN BY BELLU - Fausses nouvelles : "Les automobiles les plus géniales n’ont pas été prédigérées par des marketeurs timorés, mais sont nées de l’imagination de concepteurs visionnaires"
Les fausses nouvelles en question ne sont pas des fake news ; pas des informations erronées, mais des voitures qu’on nous présente comme nouvelles mais ne le sont pas vraiment.
On ne va pas faire semblant d’être effarouché. On le sait, pour vendre une lessive, une pizza quatre fromages ou un programme politique, il faut associer le produit à la notion de nouveauté. Soit.
L’impératif est le même pour une voiture. Difficile de réveiller l’appétence du consommateur pour un produit dès lors qu’il est déjà sur le marché.
On a beau l’admettre, on est quand même agacé de voir des Fiat 500X, Range Rover Evoque ou Porsche Macan se présenter comme d’absolues nouveautés alors que leur silhouette nous est déjà familière depuis des lustres.
Il s’agit en réalité d’actualisations nécessaires pour relancer la machine commerciale, des rebondissements dans une carrière. La 500X bénéficie de nouvelles motorisations, mais conserve un style (au demeurant pertinent) figé en 2014. La brillante Evoque voit son équipement intérieur s’enrichir considérablement, mais les retouches apportées à l’extérieur ne se renouvellent pas depuis 2010. Quant à la Macan, elle s’enorgueillit d’une nouvelle identité lumineuse avec un bandeau rouge qui rejoint les optiques arrière et c’est à peu près tout ce qui a visuellement changé depuis cinq ans.
Plus frustrantes encore sont les opérations de rénovation bien réelles… mais qui s’avèrent imperceptibles. Plusieurs modèles ont reçu des carrosseries entièrement redessinées, sans reprendre un embouti de la génération précédente, mais il faut regarder à deux fois pour déceler les différences !
Ainsi, la Bentley Continental GT passe de génération en génération sans s’éloigner du modèle original. Et que dire de la Classe G de Mercedes-Benz dont la nouvelle mouture a été présentée il y a un an. Elle a été refondue après quarante ans de bons et loyaux services par des stylistes qui ont reproduit le dessin original sans la moindre actualisation ! Ne s’est-il donc rien passé sur la planète en quatre décennies ? À moins que la circonspection des cadors du marketing paralyse à ce point les élans créatifs…
Ceci est incontestable et ce n’est pas nouveau. Il y a vingt ans, Patrick le Quément, alors patron du design chez Renault, pestait déjà contre le marketing et opposait le « design instinctif et le marketing extinctif ».
Pourtant, c’est sans se soucier du marketing que s’imposèrent les grandes révolutions qui ont fait avancer le design automobile, sans se reposer sur les certitudes du passé, sans se retrancher derrière les acquis. De l’Austin Mini à la Renault Avantime, de la Nissan Be-1 à la Range Rover, les automobiles les plus géniales n’ont pas été prédigérées par des marketeurs timorés, mais sont nées de l’imagination de concepteurs visionnaires.
De nos jours, les ruptures sont rarissimes et n’en sont que plus méritoires. Il y eut la Fiat Panda, en 2003, qui quitta sa posture minimaliste pour prendre une stature plus cossue. Ou encore la Classe A de Mercedes qui en 2012 troqua sa dégaine de petit monospace pour une silhouette de compacte sportive.
Sans parler de la Talisman qui, en 2015, a fait oublier d’un trait de plume salutaire la regrettable Latitude chez Renault.
Les goûts, les nécessités, les styles de vie changent. C’est le rôle du designer de pressentir ces mutations et d’en tenir compte, de devancer les attentes, les deviner, les dépasser. Mais il faut de l’audace et de la persuasion pour procéder à des remises en question décisives. Chris Bangle en a fait les frais. Patron du design chez BMW de 1992 à 2009, il a brisé les codes d’une évolution tranquille qui ronronnait et ne prenait aucun risque. Résultat, quand il a secoué les bonnes consciences, il fut attaqué, insulté, conspué.
C’est aussi le marketing qui impose les modifications périodiques, inutiles, voire délétères. L’actualisation des produits est une vieille pratique que les Américains avaient instaurée après la Seconde Guerre mondiale. Les constructeurs programmaient l’obsolescence de leurs modèles en les modifiant tous les ans, en changeant une calandre, un chrome, une aile, un motif. Pour rien, sinon pour démoder le modèle précédent et alourdir l’objet. Forcément, à chaque retouche, le style perdait de sa fraîcheur et finissait complètement dénaturé…
Encore aujourd’hui, certains constructeurs ne peuvent pas s’empêcher de revenir sur des dessins réussis, équilibrés, cohérents, les retoucher, les corriger, les abîmer. La DS 3 et la DS 5 ont été victimes de cette frénésie de changement. Elles ont perdu leur formidable spontanéité des débuts en se chargeant de chromes et de motifs superflus et prétentieux.
Les designers se sont émancipés de la domination de l’ingénierie pour une meilleure collaboration. Il leur reste à s’affranchir de la pusillanimité du marketing.
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