Philippe Curval, le pape de la science-fiction, nous a quittés
Philippe Tronche dit Curval s’est éteint le samedi 5 août à 93 ans. Le père de la science-fiction française avait publié des articles sur Caradisiac. Petit hommage à un homme hors du commun qui a sacralisé l’auto toute sa vie et qui jusqu’à son dernier souffle s’est évertué à être mobile.
L’année de sa naissance, en 1929, Peugeot commercialise sa 201 équipée d’un quatre cylindres. Vitesse de pointe : 85 km/h. 93 ans plus tard, Peugeot vend une e-208 100% électrique. Entre ces deux dates, l’histoire de l’automobile a connu des évolutions technologiques formidables, des remous inouïs et insoupçonnables.
Il y a peu d’hommes qui ont vécu assez longtemps pour connaître toutes ces évolutions. Philippe Curval fait partie de ceux-là. Et bien sûr, il a connu d’autres bouleversements en près de 100 ans d’existence, des guerres, des révolutions etc.… Il y a aussi peu d’hommes qui comme lui ont passé leur temps à se projeter dans le futur et à tenter de le prévoir. L’un de ses quarante livres, dont le plus grand nombre a été publié et traduit dans le monde entier, l’Europe après la pluie, rappelle combien il a été sensible à l’histoire politique et sociale du monde.
Mais revenons à ce qui nous importe sur Caradisiac, sa passion pour l’auto, la vitesse et la technologie. En rappelant tout d’abord qu’il lui était inimaginable de ne pas avoir de voiture et qu’il en a possédé jusqu’à la fin de ses jours. Nous y reviendrons avec amusement, mais commençons par rappeler que l'idée du voyage commence à le tarauder dès l’adolescence et c'est à vélo qu'il découvre pour la première fois la Méditerranée.
Un tour d'Europe en Solex
Il dira ce moment magique à jamais inscrit dans sa mémoire olfactive quand il stoppe sa monture au sommet d’une colline et se laisse envahir délicieusement par l’odeur de la terre et de la végétation provençale. Il aimera la nature toute sa vie, sans jamais renier l’odeur d’un deux temps. Un peu plus tard, il fera le tour d'Europe en... Solex.
Il ne s’est jamais véritablement confié sur ce premier émoi mécanique solexien, mais quand on relit ses interviews, il rappelle systématiquement cette aventure qui lui a fait découvrir ce sentiment de liberté ressenti au guidon et au volant quand on trace la route.
Un amoureux de la liberté de mouvement
Et si nous ne pouvons pas ici retracer toutes ses aventures automobiles, Dieu sait s’il en connut en 65 ans de permis et s’il a avalé des kilomètres au volant de ses nombreuses voitures. D’ailleurs, et comme beaucoup d’automobilistes des années 60/70, il rappelait qu’il roulait vite, très vite. Sans jamais avoir eu d’accident, sauf un, sans gravité, il y a quelques années dans le centre-ville du Crotoy en baie de somme où il reconnaissait s’être laissé emporter encore une fois par le plaisir de la vitesse dans un virage… En ce sens, s'il est un écrivain extraordinaire, c’était un automobiliste comme mille autres de son époque, agacé disait-il récemment, par le climat autophobe qui tend à culpabiliser les automobilistes et à rejeter les voitures hors des villes, une conception qu'il voyait s'opposer à la liberté de mouvement qu'il affectionnait tant.
Les articles qu’il a publiés pour Caradisiac témoignent de cet agacement. Relisez par exemple « Auto-fiction n° 2 : On le surnommait Hifils », qui raconte l’histoire du petit-fils d'Anne Hidalgo (dont il jugeait« démente » la politique de la ville en matière de déplacement).
Philippe Curval propose une vision de l'avenir automobile parisien peu réjouissante :" C’est alors qu’apparut un message sur l’écran inclus dans le tableau de bord : « Airparique nous communique : nous sommes dans l’incapacité provisoire d’alimenter vos batteries. Depuis plusieurs jours, les éoliennes ne fonctionnent plus faute de vent, à cause de l’anticyclone qui règne sur l’Europe. Comme elles représentent 30 % de la production générale d’électricité, et que le quart de nos centrales nucléaires sont en démantèlement, nos réserves d’énergie disponibles sont attribuées d’office à l’usage domestique, à l’industrie et aux services publics. Veuillez nous excuser pour ce désagrément. « Sacrée Grand-mère, elle nous a bien intoxiqués », pensa Hifils, évoquant le bonheur sans égal de ses sorties nocturnes sur les routes forestières dans l’Aventime de son aïeul qu’il avait conservée dans un garage secret".
Ses deux autres auto-fiction valent également le détour : Les Vingt-Quatre Heures Déments et Un adultère autonome.
Sachez aussi que Philippe a été directeur de la rédaction de la « Vie électrique » et qu’à ce titre bien sûr, l’association de la fée électricité et de l’auto l’a vivement intéressé. Dès les années 90, il achète une Citroën AX électrique et se fait installer une recharge dans son parking parisien. Après un retour au thermique, il reviendra à l’électrique en achetant une des premières fameuses Honda E, expérience qu’il relate au journaliste de Caradisiac Michel Holtz dans l’article L'auto des voisins - A Paris, Philippe Curval juge l'autonomie de sa Honda E suffisante et sa technologie enthousiasmante.
"J'ai acheté une Honda -E car j'ai aimé son tableau de bord qui me donne l’impression d’être dans un vaisseau galactique", nous confiait Philippe Curval.
C’était en 2021. Il conduira cette voiture pendant deux ans, mais commandera encore une Renault Zoé, cette fois pour la campagne. On vous le disait au début de cet article : du début jusqu’à la fin de sa vie, il aura toujours aimé les voitures.
D’ailleurs, et c’est tout à fait extraordinaire, qu'a-t-il fait selon vous ces derniers mois une fois cloué sur son lit d’hôpital ? Continuer de fouiller sur internet l’objet mobile qui allait lui permettre de se déplacer, encore et toujours. Il s’agissait cette fois de trouver le modèle de fauteuil électrique le plus performant, le plus design. Il a même pensé faire venir un exosquelette des Etats-Unis pour l’aider à marcher à l’extérieur. Chez lui, il voulait faire installer un système de harnais accrochés au plafond auquel il se serait suspendu passant d’une liane métallique à l’autre, tel un tarzan urbain. Ces pensées, il les formulait avec amusement et gaîté, il y a quelques semaines. Il avait 93 ans.
Voici en quelques mots ce qu’était l’automobiliste Philippe Curval, facétieux, pas raisonnable, aimant la vitesse et le mouvement. Tout comme était l’écrivain à l’imagination débordante (il a par exemple inventé l’apple watch dans les années 70), dont le cerveau allait à cent à l’heure.
Modestement, nous nous sommes donc joints avec cet hommage aux concerts de louanges qui ont salué son oeuvre et ont retenti quelques heures seulement après l’annonce de son décès (Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Soir, La Volte) pour honorer un homme que celui qui écrit ces quelques mots a eu la chance de connaître.
À bientôt cher Philippe, je n’ai nul doute qu’à l’image de Claude Lelouch dans son fameux «Rendez-vous » à 180 km/h dans les rues de Paris pour rejoindre celle qui l’attendait à Montmartre, tu t’es projeté dans l’univers à toute allure pour aller rejoindre, Anne, ton adorée.
As-tu utilisé l’un des engins supersoniques dont tu as peuplé ton œuvre pour fendre le néant ? Nous ne savons pas encore ce que tu sais. Mais je suis certain que tu y as pris un plaisir intense, toi amateur d’art et anarchiste désormais céleste, à t’extirper du bleu Klein en te moquant gentiment des excès de vitesse, des limitations de consommation d’alcool et de toutes les contraintes qu'on oppose aujourdhui aux automobilistes… Décidément, ta folle énergie à combattre l’immobilité t’aura permis de retrouver ta fulgurance au-delà de la mort. Comme sur la fameuse voiture déformée de Jacques Henri Lartigue, on pourrait dire que ton dernier souffle t’a propulsé vite et loin. Trop rapide pour qu'on puisse te suivre. Juste tenter d’observer ta trace dans le ciel et te souhaiter bonne route. Car elle n'est pas terminée : l'univers galactique qui t'a tellement fasciné te tend maintenant les bras.
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