Günther Oettinger, Commissaire européen à l'énergie, annonçait le 11 juin dernier la mise en place de règles strictes concernant les agrocarburants et semblait fier que l'Europe possède en la matière les règles parmi « les plus strictes au monde ». Pas de biocarburants issus des forêts tropicales, des zones humides ou des zones souffrant de la déforestation au sein de l'Union Européenne, donc, et des certifications draconiennes pour éviter toute atteinte à l'environnement. Mais, car il y en a toujours un, il semblerait bien que ces certifications annoncées ne soient pas si sévères et que le développement des agrocarburants en Afrique cache en réalité un véritable drame écologique et social.
On annonçait une révolution pour l'économie africaine, du travail pour les paysans locaux et de l'argent pour les plus pauvres. Un rapport intitulé « Afrique : terre(s) de toutes les convoitises » et publié cette semaine par l'association écologiste les Amis de la Terre montre pourtant que c'est bien le contraire qui se produit actuellement et dénonce l'accaparement des terres africaines par les compagnies européennes fabriquant des agrocarburants.
Et rien n'est franchement beau dans cette histoire ; les paysans se font racheter ou louer leurs terres par les firmes qui leur fournissent des informations trompeuses et passent par de faux propriétaires, et ainsi dépossédés de leurs biens se retrouvent sans possibilité de cultiver de quoi se nourrir et perdent ainsi l'accès à la nourriture. Lorsque les terres ne sont plus suffisantes, place à la déforestation, à la destruction de ressources naturelles et à la hausse des émissions de gaz à effet de serre. Même le jatropha, autrefois présenté aux paysans comme une plante miracle capable de pousser partout et sans engrais, est en réalité un gouffre qui consomme de précieuses ressources, eau en tête (9 100 litres d'eau sont nécessaires pour fabriquer un litre d'agrodiesel élaboré à base de soja), et réclame l'utilisation de pesticides. Faut-il également parler du développement des cultures OGM, présentées comme le remède à tout par les entreprises de biotechnologies ? En Ethiopie, c'est une réserve naturelle abritant 300 éléphants qui est aujourd'hui menacée ; soutenue par le gouvernement éthiopien, la filière agrocarburants a contraint les populations locales à empiéter sur la réserve et il a fallut de nombreuses discussions pour que Flora EcoPower, producteur allemand de ricin, ne se mette à son tour à en défricher une partie.
L'étude s'est intéressée au cas de 11 pays africains, et indique qu'un tiers de la terre vendue ou achetée en Afrique, soit 5 millions d'hectares actuellement, l'est à des fins de production de biocarburant. « Les firmes européennes sont en train de faire main basse sur des terres partout en Afrique, menaçant la subsistance des populations locales et leur environnement, dans le seul but de satisfaire l’appétit insatiable de l’Europe pour les agrocarburants. », explique Adrian Bebb, coordinateur de la campagne « Alimentation et agriculture » des Amis de la Terre Europe. « Quand l’Europe cessera-t-elle sa politique en faveur des agrocarburants, pour enfin investir dans une agriculture respectueuse des peuples et de l’environnement et s’attaquer sérieusement au gaspillage énergétique causé par nos transports ? ». Mariann Bassey, coordinatrice de la campagne Alimentation et agriculture des Amis de la Terre Nigeria, rappelle la nécessité de permettre aux populations locales de cultiver leurs terres pour leur alimentation : « L’expansion des agrocarburants sur notre continent transforme les forêts et les zones naturelles en cultures énergétiques. Les terres destinées à l’agriculture vivrière sont prises aux populations locales. Nous exigeons de vrais investissements dans l’agriculture afin de pouvoir nourrir les Africains et non alimenter les moteurs de véhicules européens ». Une opinion appuyée par Christian Berdot, référent de la campagne Agrocarburants des Amis de la Terre France : « Il est révoltant de voir les firmes européennes s’abattre sur l’Afrique comme un nuage de criquets, confisquant des millions d’hectares à des communautés déjà démunies, dans le seul but de faire rouler des autos et des camions en Europe. Les agrocarburants sont une tragique illustration de la surconsommation européenne de ressources mondiales ».
L'Union Européenne, qui vise 10 % de carburants dans les transports issus de sources « renouvelables » d'ici à 2020, fait ainsi peser une lourde charge sur les terres africaines et sur les populations qui y vivent, mettant en péril la vie des habitants, celle de la faune ainsi que l'équilibre écologique du continent. L'association Les Amis de la Terre demande à l'Union Européenne de mesurer et de réduire sa consommation de terres, d’eau, de matières premières et ses émissions de gaz à effet de serre.
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