En France, l'écologie est dans toutes les bouches. A force d'en entendre parler autour de soi et dans les médias, les messages écolos prennent la forme d'une adresse à chaque citoyen pour mettre en pratique les "gestes simples" : éviter les sacs en plastique, éteindre la lumière, isoler sa maison, préférer le bus ou le vélo à la voiture... Cela contribuerait à atteindre l'objectif de réduction par quatre d'ici à 2050 des émissions de gaz à effet de serre (GES), fixé par la loi d'orientation sur l'énergie de juillet 2005. Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les émissions de CO2 liées à la consommation d'énergie à des fins privées (déplacements, chauffage, eau chaude et électricité domestique) sont de 159,5 millions de tonnes sur 338 liées à la consommation d'énergie en général, soit 47 %. Ces chiffres font réfléchir...
"Passager clandestin"
Les faits et gestes de chacun, d'accord mais la théorie économique montre que les choses sont un peu plus compliquées. Cédric Philibert, économiste à l'Agence internationale de l'énergie, déclare : "Chaque acteur économique tend à limiter ses émissions à hauteur du bénéfice immédiat qu'il peut retirer de cette seule réduction, ce qui, dans le cas d'un bien public universel comme le climat, est insuffisant". Christian Schmidt, professeur d'économie à Paris-IX-Dauphine, ajoute : "De plus, si chacun joue le jeu, le bénéfice du premier qui "triche" est majoré - c'est le principe du "passager clandestin" mis en évidence par la théorie des jeux. Auquel s'ajoute le fait que, si chacun anticipe que l'autre paiera, le risque est... que personne ne paie. Ou si chacun anticipe le fait que l'autre triche, il est incité à se retirer du jeu le premier. Toutefois, dans l'éventualité d'un "jeu répété", ce qui est le cas de la lutte contre le réchauffement, "la stratégie gagnante peut consister à anticiper le fait que je perds si, en me retirant, je pousse l'autre à faire de même. Les joueurs ont donc plutôt intérêt à échanger des garanties sur la poursuite de la coopération, ce qui suppose une organisation institutionnelle du jeu des acteurs, possible à l'échelle d'un Etat, plus difficile à celle de la communauté internationale faute d'instance dotée du pouvoir d'inciter et de punir."
Les économistes considèrent pourtant que, en régime démocratique, le "signal prix" reste le meilleur moyen d'inciter les ménages à abandonner la position du "passager clandestin". Olivier Godard, professeur à l'Ecole polytechnique, explique : "Lorsque le pétrole a grimpé, la consommation a diminué de 0,2 %. Ce qui prouve que l'élasticité prix fonctionne et qu'il y a à court terme un potentiel de réduction des émissions, que pourrait révéler une véritable taxation du carbone." Patrick Criqui, directeur du Laboratoire énergie et politiques de l'environnement (Lepii-CNRS) à Grenoble, déclare : "Il faudrait un doublement du prix de l'énergie d'ici à 2050" mais surtout l'acceptabilité sociale, économique et politique d'une telle hausse. "Cela n'a rien d'évident, même si un "pilotage fin" permettrait de répartir la charge de la façon la plus équitable possible", souligne Alexia Lesueur, de la mission climat de la Caisse des dépôts, pour qui le "signal prix" doit par conséquent être plutôt émis par le marché, par exemple via l'échange de quotas d'émissions. Un tel marché concerne les entreprises mais dans la mesure où un peu plus de la moitié des émissions de CO2 par les ménages découle de la consommation de biens produits par les entreprises, les choix des ménages se trouveraient indirectement concernés. Ce qui suppose que les professionnels soient formés pour répondre à la demande d'une consommation moins intense en carbone.
Réorienter les choix suppose que le marché et les pouvoirs publics soient capables d'offrir des solutions pour se déplacer, se nourrir, se loger "autrement". Mais les résultats ne seront obtenus qu'à moyen terme, étant donnée l'ampleur des investissements à consentir et des comportements à changer. Il faudrait orienter les évolutions technologiques vers des solutions de moins en moins émettrices. L'exhortation ne suffit pas si elle ne s'accompagne pas d'incitations économiques, et surtout de choix politiques de long terme. Et le plus tôt sera le mieux, car, comme le souligne Cédric Philibert, "il s'agit d'un processus cumulatif et non linéaire : les résultats ne seront significatifs que dans les dernières années précédant l'échéance de 2050. Au moment où les effets du réchauffement battront leur plein..."
Source : Le Monde, article de Antoine Reverchon
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