Autoroutes : la hausse des péages serait illégale selon des juristes !
Surprise ! Les tarifs autoroutiers font à nouveau débat. Non parce qu'ils seraient trop élevés, mais simplement parce que leur augmentation annuelle ne reposerait sur aucun fondement juridique. Deux juristes épinglent plusieurs mécanismes utilisés dans les contrats de concession qui, selon eux, seraient au mieux discutables, au pire illégaux. Ils en concluent que leur résiliation anticipée doit être à nouveau, et cette fois sérieusement, étudiée.
Alors que les hausses tarifaires aux péages envisagées pour 2021 doivent être présentées, selon nos informations, au Comité des usagers du réseau routier national le 4 décembre, une revue juridique de LexisNexis, La Semaine Juridique - Édition Administrations et Collectivités territoriales (également nommée JCP A), sortie ce lundi 30 novembre, jette un véritable pavé dans la mare sur le sujet. L'hebdomadaire publie en effet deux études consacrées aux autoroutes dont l'une d'elles entend démontrer que ces augmentations annuelles des prix aux barrières, pour la partie basée sur l'inflation, sont tout simplement illégales.
Le décret n°95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers, qui prévoit notamment que ces hausses ne peuvent être inférieures à 70 % de l’inflation, serait même, à en croire les deux auteurs de ces études, « frappé d'illégalité ab initio », « ab initio » signifiant « depuis le début », et donc depuis 25 ans ! En conséquence, « l'administration doit abroger spontanément, ou sans délai sur demande d'un tiers, ce texte de 1995 ».
Force est de reconnaître qu'après le fiasco du gel des tarifs de 2015, qui va coûter aux usagers, selon les calculs de l'Autorité de Régulation des Transports (ART), quelque « 500 millions d'euros de péages supplémentaires sur la durée restante des concessions », on peinerait presque à les croire. Reste à rappeler que la discorde n'a aucunement été jugée, ni donc portée devant les tribunaux. Elle s'est terminée par un accord - le protocole de 2015 - entre le gouvernement de l'époque et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), que les autorités ont tenu secret durant plusieurs années, avant que le Conseil d'État ne les oblige à le rendre public. Un protocole d'accord d'ailleurs vivement critiqué par les deux juristes dans leur étude, on y revient plus loin.
Remboursement ou baisse des tarifs possible
En pratique, s’il devait se confirmer que le décret de 1995 est illégal et doit être abrogé sans délai, que se passerait-il pour les surcoûts ainsi générés aux péages pour les usagers ? Rien que pour ASF, en 2019, cette hausse tarifaire sur la base de l'inflation a tout de même représenté, rappelle l’étude, une augmentation de 20 millions d'euros de recettes. À cette question, toutefois, les auteurs ne tranchent pas. Ils formulent plusieurs hypothèses parmi lesquelles ils n’excluent pas que ces surcoûts puissent « être rétrocédés à la personne publique à la fin (normale ou anticipée) des conventions » ou qu’à la place « une décision de diminution des tarifs » soit prise.
Et qu'en est-il des hausses tarifaires basées, non sur l'inflation, mais sur les travaux supplémentaires réclamés aux SCA ? Le professeur de droit public Jean-Baptiste Vila et le juriste Yann Wels ne se montrent pas plus rassurants à leur sujet. Pour prendre un exemple concret, le dernier plan négocié en date - le Plan d'investissement autoroutier (PIA) - doit représenter quelque 700 millions d'euros de travaux. Ils concernent notamment des bretelles d'autoroutes, des ouvrages de franchissement de la faune ou encore l'aménagement de 4 500 places de parkings de covoiturage. Et ces travaux, non prévus dans les contrats initiaux, entraînent alors des hausses tarifaires supplémentaires à celles basées sur l'inflation, qui vont de 0,1 % à 0,4 % entre 2019 et 2021.
Or, selon les deux juristes, celles-ci sont « tout aussi discutables », non pas cette fois parce que le principe serait contraire au droit (comme pour les hausses basées sur l'inflation), mais par manque de justification de la part des SCA. C'est du moins ce qu'ils ont retenu des auditions menées par la Commission d'enquête du Sénat cette année, qui ont montré que l'ART, la Cour des Comptes comme l'Autorité de la Concurrence « ne peuvent corréler ces augmentations de tarifs avec les travaux réalisés ». Or, ça, ce n'est pas normal dans le cadre d'un contrat de concession.
Les critiques de Jean-Baptiste Vila et Yann Wels ne s’arrêtent pas là. Ils soulèvent bien d’autres irrégularités juridiques aux conséquences potentiellement immenses, dont deux autres illégalités : « illégalité de la pratique des dotations aux amortissements », qui permettent aux SCA d’obtenir des déductions fiscales auxquelles elles n’auraient juridiquement pas droit (ça leur permet de réduire, ainsi à tort, leur base de calcul de l'impôt sur les sociétés), puis « illégalité des surcompensations résultant du Protocole de 2015 », dont faisait partie le Plan de Relance Autoroutier (PRA). Ce PRA prévoit de nouveaux investissements par les SCA à hauteur de 3,2 milliards d’euros, en échange d’un allongement de la durée des concessions - leur fin s'échelonne désormais de 2031 à 2036, pour ce qui est des SCA dites historiques, privatisées en 2006 (ASF, Escota du groupe Vinci, APRR et AREA d'Eiffage et du fonds australien Macquarie, puis Sanef et SAPN de l'Espagnol Abertis).
Une résiliation anticipée des contrats qui pourraient ne rien coûter !
Or, selon un référé de la Cour des Comptes en 2019, cette compensation va bien au-delà du strict nécessaire qu’exigeait Bruxelles pour autoriser cette rallonge, puisqu’il faut « mettre en regard les 3,2 milliards du PRA avec la quinzaine de milliards d’euros de recettes supplémentaires que rapportera aux SCA l’allongement de leurs concessions ». Pour finir, c’est la résiliation anticipée des contrats de concession qui devrait être sérieusement réétudiée, selon les auteurs, contrairement aux préconisations des sénateurs il y a deux mois.
Dans leur rapport publié en septembre, en effet, ces derniers rappellent le coût prohibitif d’un tel rachat, donné entre 40 et 50 milliards d’euros selon des estimations réalisées en 2014, qui comprendraient les quelque 30 milliards de dettes. Sauf que pour Jean-Baptiste Vila et Yann Wels, « les illégalités relevées et les corrections nécessaires permettraient certainement de neutraliser complètement l'indemnité qui serait due si les contrats de concession d'autoroutes étaient résiliés (notamment les plus anciens) au 1er janvier 2021. » Ils demandent donc à « convoquer les états généraux du Droit » pour analyser en profondeur ces contrats de concession d'autoroutes.
Ça tombe bien : le 14 octobre dernier, des députés socialistes ont déposé une proposition de résolution invitant le gouvernement à solliciter un avis juridique sur la légalité et les conditions d’amendement ou de résiliation des sociétés historiques, qui gèrent la plus grande partie du réseau concédé. Qui sait : à eux tous, ils parviendront peut-être à convaincre Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports, de rouvrir les débats sur cette nationalisation des concessions autoroutières dont la privatisation complète en 2006 ne cesse de faire polémique ?
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