Braquages en série : De voitures en fourgons, la subtile épopée du "Gang des souris vertes"
A travers une galerie de véhicules, qu'il s'agisse d'engins de chantier, de voitures particulières ou d'utilitaires banalisés, retour sur une série de cambriolages longtemps non élucidés, des braquages rocambolesques commis entre septembre 2001 et mars 2006 par un gang d'ingénieux malfaiteurs.

« Trempez-les dans l’huile, trempez-les dans l’eau… ». Il était une fois d’ingénieux malfaiteurs qui, comme pour parodier la célèbre comptine de la souris verte, avaient pris l’habitude d’appliquer la même recette de badigeonnage aux billets de banque.
La technique était jusqu’alors inédite en matière de cambriolages. Elle avait pour objectif de garder le butin le plus intact et le plus réutilisable possible après avoir empêché l’encre violette (dispositif antivol) de se répandre dans les mallettes sécurisées dédiées au transport de fonds.
Cette démarche valut à ces drôles de braqueurs le surnom de « gang des souris vertes ». Quant à la tenue vestimentaire un temps utilisée, elle leur valut l’appellation de « gang des mécanos ».
Irruption en bulldozer
Pourtant, lors de son premier fait d’armes, l’équipée use d’un mode opératoire qui ne fait pas franchement dans la dentelle… Cela se passe à Saint-Estève, dans les Pyrénées-Orientales. En ce matin du 11 septembre 2001, vers 9h30, alors que le monde aura bientôt les yeux rivés sur les attentats qui frappent New-York, elle déboule dans le centre de comptage de la Banque Populaire des Pyrénées à l’aide d’un bulldozer…
L’engin de chantier, volé dans la région lyonnaise, avait été transporté sur un camion-plateau, un tracteur routier Mercedes de couleur blanche, et débarqué au pied des grillages du bâtiment bancaire au lever du jour, vers 6h30. Ce casse sensationnel ne va durer que quelques minutes. Tandis que les employés de la banque sont enfermés sans violence, les voleurs font main basse sur une somme record, quelque 11 millions de francs (plus d’1,5 million d’euros).
Ils s’évaporent ensuite dans la nature à bord d’un Xsara Picasso volé un mois plus tôt dans une concession Citroën. Dans le monospace compact abandonné en bordure de l’autoroute A9, à proximité de Pollestres, les gendarmes vont notamment retrouver un gilet pare-balles et des plaques de fer destinées à protéger le pare-brise en cas de tirs.
Les enquêteurs vont aussitôt tenter de remonter la piste des véhicules volés et de retrouver les auteurs. En vain… Un jeu du chat et de la souris qui va finalement s’éterniser et durer plusieurs années.
Une 406 moteur tournant

Entre-temps, les malfaiteurs cagoulés et lourdement armés font parler d’eux à maintes reprises, travaillant avec méthode et s’en sortant presque à chaque fois sans encombre. Ce groupe d’hommes, avec à sa tête Laurent Cocogne (fils de « Dédé le Lyonnais », figure du milieu) et son beau-frère Serge Quemin, mais aussi Hervé Carlier, ancien militaire et ex-consultant en sécurité, est en effet connu pour ses attaques organisées, plutôt rusées et relativement non violentes (pour du grand banditisme), si ce n’est des menaces avec armes, du ligotage et parfois quelques coups de crosse...
Ce gang très soudé récidive 19 mois après le « coup » de Saint-Estève. Certains de ses membres, revêtus de combinaisons de mécanos, investissement à l’aube la Banque Populaire de Chabeuil, dans la Drôme. Encagoulés et armés, ils attendent patiemment l’arrivée des employés, planqués dans les faux plafonds, d’où ils surgissent sitôt les alarmes déverrouillées par le personnel.
Le coffre de l'agence et les distributeurs de billets sont vidés. Les cambrioleurs embarquent entre autres des mallettes sécurisées. Pendant ce temps, alors qu’un employé est tenu de prendre les appels clients presque comme si de rien n’était, un écriteau indiquant une ouverture décalée est apposé sur la porte d’entrée…
Les braqueurs, en ce 3 avril 2003, mettent la main sur plusieurs dizaines de milliers d'euros. Ils communiquent entre eux dans le calme, par oreillette. Ils s'entretiennent notamment avec un complice resté à l’extérieur, dans une berline de marque française, moteur tournant, une Peugeot 406 volée et immatriculée dans le Rhône.
La voiture sera retrouvée le lendemain soir dans un chemin des environs. Deux jours plus tard, non loin de là, un pistolet automatique CZ sera retrouvé par un promeneur. Fin du deuxième acte…
"Au cul" du fourgon

Quelques mois après, en juillet 2003, le « gang des souris vertes » cible cette fois un fourgon bancaire banalisé, sur la commune de Saint-Just d’Ardèche, dans le 07. Le fourgon, un utilitaire badgé Renault, stationne devant le Crédit Agricole depuis quelques secondes quand soudain, des hommes au visage camouflé, potentiellement sortis d’une Renault Clio, mettent en joue les convoyeurs et montent à bord avec eux.
Les victimes sont priées de décamper du village sur le champ. Plus tard dans l’après-midi, elles sont muselées avec du ruban adhésif et ligotées au bord d’une départementale, près de leur fourgon. Une fois de plus, c’est uniquement l’argent qui a été le mobile des malfaiteurs. Ils repartent de ce coin de campagne avec un pécule conséquent, d’environ 100 000 euros, répartis dans plusieurs nouvelles mallettes de billets, qu’ils entrouvriront comme d’habitude une fois de retour dans leur planque, à l’aide de pinces-monseigneurs, avant d’y déverser de l’huile, de rincer puis de faire sécher les billets sur une corde à linge…
Attaque sur la route

Après les agences bancaires et « l’attaque-trottoir » d’un fourgon, ce groupe qui ne laisse rien au hasard et que peu d’indices derrière lui ne va pas tarder à adopter un mode opératoire alternatif.
Cela se passe en février 2004, dans les environs d’Alboussière, en Ardèche. Embarqués dans deux voitures, les braqueurs passent à l’action sur une route départementale, façon attaque de diligence, prenant en tenailles un fourgon banalisé dans lequel ne se trouve qu’un seul convoyeur. Après une prise d’otages singulièrement éprouvante pour l'employé de la société et la désactivation de quatre valises dans le délai de temporisation pré-requis (deux autres valises seront arrachées et exploseront sous leurs yeux), le groupe armé repart avec plus de 200 000 euros.
La voiture ouvreuse utilisée ce jour-là pour barrer la route sera retrouvée entièrement calcinée par les gendarmes. C’est une Peugeot 406 blanche, volée comme leurs précédents véhicules. La voiture suiveuse, elle, sera retrouvée abandonnée à quelques kilomètres de là. C’est un Renault Scénic gris. Le monospace a été aspergé d’essence mais n’a pas pris feu. Il contient encore plusieurs valises de transport de fond et des traces d’encre indélébile, confirmant que pour les malfrats, cette fois-ci, tout ne s’est pas totalement déroulé sans accroc… Les investigations de la police judiciaire, pourtant, vont continuer de piétiner…
Subtile embuscade
7 mois après, Laurent Cocogne et ses acolytes remettent le couvert en région Rhônes-Alpes, dans la Drôme, sur le territoire de La Coucourde. Une fois encore, c’est un convoyeur seul en service qui fait les frais de ces bandits insaisissables. L’embuscade semble plus discrète et mieux étudiée que la précédente.
Le gang simule un chantier de travaux publics sur la D74. Ils positionnent en amont une prétendue fourgonnette de service, un Citroën Berlingo faussement sérigraphié, et détournent ainsi presque naturellement l’attention d’un convoyeur qui, au volant de son camion, se retrouve stoppé soudainement dans un tunnel dédié au passage d’animaux.
Bingo pour les hors-la-loi parmi les plus recherchés du pays. La prise est spectaculaire là-encore. Après avoir attaché le convoyeur a un arbre et fait exploser l’une de leurs voitures avec une bombe artisanale à retardement façon « Mac Gyver », ils quittent les lieux avec un magot conséquent de 695 000 euros.

Parfum de roussi...
Les « mécanos » continuent à faire parler d'eux un mois plus tard, en octobre 2004 dans l’Isère. A la sortie d’une banque située à La Côte-Saint-André, d'où ils repartent cette fois plus ou moins bredouille, ils manquent de se faire arrêter par une patrouille de gendarme… Un mauvais présage pour les fugitifs...
L’année 2005 marquera d'ailleurs un millésime encore moins florissant pour eux, avec des fortunes très diverses, des prises beaucoup moins importantes qu’avant et des valises sécurisées parfois complètement vides.
A force de prendre des risques pour l’appât du gain, les gentlemen cambrioleurs multiplient en fait les erreurs et finissent par se faire griller... La fin de la cavale sonne pour eux le 30 mars 2006. Après un assaut contre un énième fourgon, vers 8 heures du matin à La Verpillière, dans l’Isère, les choses tournent définitivement mal.
L’un des voyous glisse sur le trottoir. Un convoyeur en profite pour fuir en courant et donne l’alerte depuis une boulangerie. Son collègue, resté au volant du Renault Master banalisé, est sommé de déguerpir. En cours de route, le fourgon est garé précipitemment, vidé à la hâte, puis abandonné... Les fuyards lèvent le camp en urgence à bord d’une Peugeot 807.
Entre-temps, le plan « Milan » a été déclenché par les forces de l'ordre et un hélicoptère de la Gendarmerie vient de décoller de l’Aérodrome de Bron (69) pour localiser les suspects. Le monospace rouge badgé du lion est bientôt pris en chasse par les airs et par des patrouilles terrestres motorisées.
Mourir ou se rendre

Une intense poursuite s’engage alors durant plusieurs kilomètres dans la campagne iséroise. Des coups de feu se mettent à pleuvoir en direction des gendarmes qui engagent des tirs de riposte. Les pneus de la 807 sont touchés mais l’équipée force malgré tout un premier barrage. Quelques minutes plus tard, la voiture est en bout de course. Trois individus cagoulés en sortent. Il y a Serge Quemin, Hervé Carlier et Laurent Cocogne. Mais « Lolo », le cerveau de la bande, n’entend pas se faire interpeller. Il sort une arme et la retourne contre lui, au niveau du cœur…
C’est ainsi qu’après quatre ans-et-demi de fuite, une bonne dizaine de braquages irrésolus et plus de 2 millions d’euros dans la nature, s’achève brutalement la folle épopée du « gang des souris vertes ». Le procès de ce réseau, principalement des hommes, a eu lieu quatre ans plus tard, en janvier 2010. Les accusés ont été condamnés pour vols aggravés par la cour d’assises de Lyon, à des peines allant de 5 à 16 ans de prison.
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