Convertir son vieux diesel au GPL pour passer en Crit'Air 1 : vraie ou fausse bonne idée ?
Vous n'avez pas pu passer à côté. Depuis lundi, les reportages et articles se sont multipliés pour parler de la possible conversion des vieux diesels en véhicules à bicarburation gazole/GPL, ce qui leur permettrait d'avoir la vignette Crit'Air 1, synonyme d'absence de restrictions de circulation dans les ZFE. Mais est-ce vraiment une solution miracle ? Caradisiac fait le point.
Dès vendredi dernier 8 décembre, Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes, envoyait à la presse un communiqué annonçant : "Clap de fin pour les zones à faibles émissions", et renvoyant au lundi suivant pour connaître comment cela serait possible.
Lundi matin, 11h52, un nouveau communiqué tombait, pour présenter la solution "miracle" : la possibilité pour tous les véhicules diesels de bénéficier d'une conversion à la bicarburation gazole/GPL, autorisant l'obtention de la vignette Crit'Air 1. Un sésame permettant de s'affranchir des restrictions de circulation dans les ZFE, ou futures ZFE. Sous-entendu : comme on peut potentiellement passer tous les véhicules au GPL, et donc être tous en vignette Crit'Air 1, les ZFE deviennent inutiles... Incroyable.
Ils ont même converti au GPL une ancienne Volkswagen New Beetle diesel, Crit'Air 3 donc selon eux "interdite de circulation dans les ZFE". À l’avenir peut-être, car à date, aucune ZFE n'interdit les vignettes Crit'Air 3 avant septembre 2024, plus souvent janvier 2025... Mais soit.
C'est donc séduisant sur le papier, c'est vrai. Mais possible techniquement ? Contre toute attente, c'est vrai aussi. Mais faut-il pour autant se précipiter sur cette solution "miracle" ? C'est à voir. Car c'est loin d'être gratuit, nous le verrons.
Qui est concerné ?
En France, 53 % du parc roulant est composé de véhicules diesels (chiffres de janvier 2023). Ce sont eux qui sont concernés en priorité par les restrictions de circulation. En effet, aucun n'est éligible à la vignette Crit'Air 1. Cela représente grosso modo 20,6 millions de voitures sur les 38,9 millions en circulation. 40 millions d'automobilistes parle de 18 millions de diesels concernés.
Les modèles diesels depuis le 1er janvier 2011 (ou Euro 5 et 6) sont éligibles à la Crit'Air 2. Les diesels entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2010 sont Crit'Air 3 (Euro 4). Entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2005, on est en Crit'Air 4 (Euro 3), et enfin du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000, c'est la Crit'Air 5 (Euro 2) qui s'applique. Avant cela, les véhicules essence comme diesel sont sans vignette.
Sur l'ensemble des véhicules en circulation (essence, diesels, hybrides, électriques, etc.), les vignettes Crit'Air sont ainsi réparties (chiffres au 1er janvier 2023) :
- Vignette verte (électriques et hydrogène) : 1,5 %
- Crit'Air 1 : 30,5 %
- Crit'Air 2 : 36,3 %
- Crit'Air 3 : 20,9 %
- Crit'Air 4 : 6,6 %
- Crit'Air 5 et non classés : 4,2 %
Sans pouvoir croiser les données, il est difficile de donner un chiffre exact de la proportion de diesels dans chaque catégorie de vignette. On sait juste que les Crit'Air 1 ne sont que des essence, et que les Crit'Air 4 et 5 sont des diesels à 100 %. Et en 2019, 88 % des Crit'Air 2 étaient des diesels, et 76 % des Crit'Air 3 étaient des diesels (ce sont les derniers chiffres disponibles). Les proportions ont bien sûr évolué depuis, mais c'est pour donner une idée.
Les restrictions de circulation aujourd'hui
Non, tous les diesels ne sont pas menacés de ne plus pouvoir circuler à court terme ! C'est agiter un bel épouvantail que de le faire croire.
À date, il existe 11 zones de faibles émissions actives en France. Il est prévu qu'il y en ait 43 au 1er janvier 2025, mais toutes les municipalités freinent des quatre fers pour repousser la mise en place, ou la rendre peu contraignante.
Toutes interdisent déjà la circulation des sans vignettes, en semaine, de 8h à 20h (hors jours fériés). Certaines seulement les vignettes 4 et 5. Et aucune n'a encore interdit les vignettes 3, 2 ou 1. Même Paris, ou Aix-Marseille Provence, les plus "sévères", ont repoussé l'interdiction des Crit'Air 3 à septembre 2024 ou janvier 2025.
Donc aujourd'hui, tous les diesels Crit'Air 3 ou 2 peuvent circuler, et ce jusqu'au moins septembre 2024, plus souvent janvier 2025 pour les Crit'Air 3. Les diesels interdits représentent donc seulement un peu plus de 10,8 % du parc roulant. Et seulement dans les ZFE, cela s'entend. Partout ailleurs, pas de restrictions.
Et les interdictions pour les vignettes Crit'Air 2 sont prévues au plus tôt pour 2028, voire pas prévues du tout !
Donc pas vraiment de raison de faire peur à tout le monde, et conseiller de transformer son diesel au GPL sans tarder...
Une solution proposée par "Rétrogaz"
Cela dit, le système présenté ce lundi n'est pas sans intérêt pour autant. Cette "solution" est présentée conjointement par l'Association 40 millions d'automobilistes et l'entreprise baptisée "Rétrogaz" (by Greenolis). Cette entreprise se présente comme spécialisée dans la transformation des véhicules diesels en véhicule à bicarburation gazole/GPL.
Elle a été créée en 2020 par Iphigénie Kameni et Patrick Herbault, deux anciens cadres de PSA (devenu Stellantis après la fusion avec FCA), l'une était directrice projet du groupe jusqu'en 2016, l'autre directeur de l'entité recherche et développement jusqu'en 2015. Pas des rigolos donc.
Ils se proposent de "verdir le parc automobile", essentiellement en transformant des vieux diesels pour fonctionner au GPL, donc.
Mais comment ? Car techniquement, cela semble (semblait) impossible. Or une entreprise italienne, Autogas Italia, propose déjà la conversion. Rétrogaz semble d'ailleurs se fournir en pièces via une entreprise italienne. Nous faisons un rapprochement, peut-être hasardeux.
Comment ça marche ?
Comme pour une conversion de modèle essence au GPL, possible depuis toujours, la transformation consiste en l'adjonction d'un réservoir de GPL, d'un circuit de distribution du gaz, d'injecteurs spécifiques, d'un système de gestion électronique du système et d'un interrupteur pour passer d'un carburant à l'autre.
La différence se situe au niveau de la proportion de carburant injecté. Quand on transforme une essence au GPL, on peut injecter 100 % de GPL, car il y a une bougie pour enflammer le mélange.
Avec un moteur diesel, pas de bougies d'allumage, par définition. Comment faire donc pour enflammer le mélange ? La solution de Rétrogaz (et des autres entreprises qui pratiquent la transformation !), est de conserver une proportion de 40 % de gazole dans le mélange, pour 60 % de GPL. Le gazole restant permet d'enflammer le mélange par autocombustion (taux de compression élevé). C'est le système de gestion électronique qui gère la proportion exacte de gazole et de GPL à injecter pour que ça fonctionne. Voilà schématiquement.
Tous les diesels sont-ils concernés ?
Rétrogaz indique que la conversion est possible pour TOUS les diesels du marché. Anciens, récents, injection indirecte, injection directe, injection directe très haute pression sont donc potentiellement éligibles.
Mais selon toute vraisemblance, la conversion des diesels à injection directe haute pression sera plus compliquée. Et donc sans aucun doute plus chère. Car nous en arrivons au prix.
Combien ça coûte ?
Rétrogaz indique dans le communiqué un prix moyen de transformation de 3 000 €. C'est un budget non négligeable. Qu'il faudra réussir à rentabiliser.
Et qu'il faudra déjà réussir à sortir de son portefeuille ! Le communiqué conjoint de 40 millions d'automobilistes et de Rétrogaz le dit lui-meme : certains ménages qui roulent en vieux diesel "n'ont pas un euro" à mettre dans une nouvelle voiture. Alors 3 000 € pour monter un kit de conversion ? Pas sûr...
D'autant plus s'il faut le monter sur un diesel de 200 000 km, voire plus, qui ne vaut plus grand-chose. Et sachant qu'il faudra encore plusieurs années pour rentabiliser le prix du kit de conversion (voir plus loin)... Il faut bien faire ses comptes !
D'autant qu'on trouve, sur les sites de petites annonces, des modèles Crit'Air 1 à partir de 3 000 €, justement. Ils auront certes souvent beaucoup de kilomètres. Mais on trouve des "moins de 100 000 km" à partir de 3 500 €/4 000 €, et des modèles familiaux à ce kilométrage à partir de 6 500 €/7 000 €. C'est plus que les 3 000 € du kit de conversion, mais pour une voiture plus récente et le plus souvent moins kilométrée...
Est-ce que c'est homologué ?
Oui. Les pouvoirs publics autorisent la transformation des diesels en bicarburation gazole GPL. Et Rétrogaz affirme que suite aux 2 jours de montage du kit, il faut encore deux jours pour obtenir une homologation du véhicule, une réception à titre isolé que la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) accordera selon eux sans souci après examen physique de l'auto. En tout, l'opération prendra en tout une semaine, toujours selon eux.
Quels sont les gains potentiels ?
En matière de pollution, les gains sont clairs. Baisse des émissions de CO2 (- 15 % annoncés), quasi-disparition des particules fines (il en restera car rappelons qu'il restera 40 % de gazole dans le mélange), et baisse drastique des Nox (oxydes d'azote), ce fameux polluant qui rend le diesel si indésirable. Gain associé : bénéficier de la vignette Crit'Air 1, ce qui peut éviter de devoir racheter une auto. Certes.
Mais en matière de coût à l'usage ? Un argument avancé bien sûr par l'association et Rétrogaz, puisque le litre de GPL est globalement 44 % moins cher aujourd'hui que le litre de gazole (0,994 € contre 1,758 € au dernier relevé).
Entre la surconsommation due au GPL (que nous avons estimé à + 20 %, mais 60 % seulement dans le mélange, donc une surconsommation moindre) et le prix moindre du litre de ce carburant (mais encore une fois, seulement 60 % dans le mélange), nous avons calculé que pour un kilométrage de 15 000 km par an, pour un diesel qui consommerait 5 litres/100 km, le gain est de 255 € par an. "Seulement".
Sur la base d'un kit vendu 3 000 € en moyenne, il faudra donc... 11,8 ans pour rentabiliser l'investissement ! Et même encore presque 6 ans si on roule 30 000 km par an. Soit près de 180 000 km dans les deux cas ! Si on part d'un vieux diesel qui a 200 000 km, autant dire qu'il sera probablement à mettre au rebut avant même d'avoir rentabilisé le fameux kit.
Si on prend un diesel consommant 7 litres/100, l'économie est de 356 € par an. Et il faut 8,4 ans pour rentabiliser (15 000 km/an) ou 4,2 ans (30 000 km/an).
À vous de voir si cela semble intéressant. Nous, on a déjà secrètement répondu à la question...
Un problème logistique ?
Sous forme de clin d'œil cette fois.
Rétrogaz indique vouloir développer un réseau d'installateurs agréés pour leur kit de conversion, qui permettrait de réaliser "1 000 conversions par mois". Avec des inspecteurs de la DREAL qui viendraient homologuer les véhicules à la chaîne directement dans les centres de montage. Pourquoi pas, même si on connaît l'administration française et son relatif manque d'efficacité.
Mais même à ce rythme, l'ambition de "passer tous les véhicules en vignette Crit'Air 1", et en particulier les diesels, semble utopique. Car même avec 1 000 transformations par mois, soit 12 000 par an, et si on se base sur les 18 millions de diesels cités par le communiqué, il faudrait... juste 1 500 ans pour arriver au résultat.
Solution miracle pour rendre obsolètes les ZFE vous avez dit ? On vous laissera juge.
L'avis Caradisiac
Loin de nous l'idée d'affirmer péremptoirement que la conversion des vieux diesels est loufoque ou complètement inutile. C'est déjà une bonne nouvelle que ce soit techniquement possible et homologué, cela laisse un choix supplémentaire, une alternative, aux propriétaires des dits diesels, pour continuer à rouler après une potentielle interdiction à venir.
C'est aussi évidemment bénéfique en matière de pollution, de la même manière que la conversion des essence au GPL.
Mais il ne faut pas céder aux sirènes. Premièrement, les interdictions de circulation, si elles sont réelles pour les (très) vieux diesels, ne sont pas encore pour demain pour les plus récents.
Et par ailleurs, nos calculs laissent planer un doute quant au fait que ça soit réellement rentable en termes de coût à l'usage. Il faut en tout cas très longtemps avant que ce soit le cas.
Alors, notre conseil : bien réfléchir si vous êtes intéressé. Comme d'habitude quoi... Et dire que c'est le "clap de fin" pour les ZFE, c'est "un poil" exagéré.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération