Dacia peut-il rester un constructeur low-cost ?
Voilà déjà 15 ans que Dacia a pris un nouveau départ sous l'impulsion de Renault. Si le roumain reste spécialiste des prix hyper-attractifs, il a beaucoup changé depuis la présentation de la première Logan, comme en témoigne le lancement du très chic Duster Black Collector. Une évolution demandée par la clientèle mais aussi imposée par les normes et réglementations. Au risque de devenir un généraliste ?
Au cours de l'été 2019, un compte à rebours a égrené le temps sur la page d'accueil du site de Dacia. Il avait pris fin mi-septembre. À ce moment-là, point de révélation d'une grosse nouveauté. C'était juste l'ouverture des commandes d'une série limitée du Duster, nommée Black Collector. Un procédé étonnant pour une Dacia ! Si la marque avait fait monter la pression comme pour le dernier smartphone à la mode, c'était parce que le modèle jouait carte de l'exclusivité, avec seulement 500 exemplaires disponibles.
Plus que l'aspect exclusif, c'est le positionnement classieux assumé du Black Collector qui nous a interpellés. Lors de la présentation, Dacia n'a pas hésité à utiliser le mot chic dans sa communication. Il est vrai que le look est soigné, avec peinture noire nacrée et jantes 17 pouces diamantées. L'équipement est complet. Ce Duster a même un système audio signé Focal. Ce genre de collaboration est plutôt réservée à des firmes premium !
Le Duster Black Collector n'avait toutefois pas été la plus chère des Dacia au catalogue, avec un prix de 19 490 €, car il était doté d'un bloc essence 130 ch en deux roues motrices, alors qu'il existe une version 150 ch 4x4. Bien sûr, le tarif restait très bien placé. Mais le temps de la Dacia à 7 500 € semble tout de même très loin !
Ne pas concurrencer Renault
Dacia rêve-t-il de haut de gamme ? Bien sûr que non ! Rêve-t-il plutôt de s'affirmer sur le terrain généraliste, s'éloignant du low-cost ? Non plus. C'est même impensable, car il y a Renault sur ce positionnement. Et le Losange n'a pas l'ambition de monter en gamme pour devenir un généraliste premium façon Peugeot et Volkswagen. Il assume un placement classique. Pour ne pas parasiter Renault, Dacia doit donc rester sur le terrain du bas-coût. Il serait d'ailleurs assez bête de l'abandonner vu que c'est la clé de la réussite du constructeur roumain chez nous. La marque ne cesse de battre des records de ventes, la barre des 700 000 livraisons ayant été atteinte en 2018. De plus, Dacia a beau être low-cost, il est très rentable !
S'il reste un label low-cost, Dacia a considérablement changé depuis son nouveau départ en 2004. Il suffit de regarder le dernier Duster et la première Logan pour voir l'évolution en 15 ans seulement ! La firme a changé par étapes, commençant par soigner davantage le style extérieur avec les Sandero puis l'intérieur avec la seconde génération du baroudeur. Bien sûr, les matériaux restent économiques (le plastique moussé est impensable) mais le look de la planche de bord est réussi.
Dans le même temps, l'équipement s'est considérablement modernisé. Le dernier Duster a fait entrer la marque dans une nouvelle dimension, avec sur les versions hautes la surveillance des angles morts, une vision multi-caméras et l'accès mains libres !
Achat malin et achat plaisir
Dacia s'éloigne-t-il du bon chemin ? Pas encore, mais Renault doit trouver le meilleur équilibre entre la vocation de sa filiale et les demandes de la clientèle. C'est d'ailleurs les acheteurs qui font avancer Dacia. Sandrine Paralieu, responsable de Dacia en France, nous le confirme en évoquant le Duster Black Collector : "Ce type de série limitée permet de répondre à l’attente des clients de la marque qui recherchent un véhicule moderne, bien équipé et distinctif".
Sandrine Paralieu rappelle qu'une Dacia, c'est un "achat malin", qui répond aux besoins "sans aller dans le superflu". Mais elle évoque aussi la notion de plaisir de ses clients, qui sont déjà une majorité à privilégier les versions hautes de ses modèles. Ses acheteurs sont aussi très fidèles. Dacia est donc à leur écoute. S'il sent qu'un équipement est réclamé car devenu usuel, le constructeur franchit le pas. Il a bien sûr en tête la concurrence que représente le marché de l'occasion, avec des modèles de seconde main de mieux en mieux équipés.
L'Europe impose toujours plus d'aides à la conduite
Évidemment, tout est fait avec bonne réflexion. Le progrès se fait si son coût est contenu ! Exemple avec la caméra multivue : il y a une vue par face, mais pas de système qui crée une vision 360°. Les Dacia gardent volontairement et forcément un temps de retard. Les assistances les plus évoluées sont ainsi refusées aux modèles roumains.
Mais le constructeur va être bousculé par les réglementations et les normes. Et c'est bien là le principal danger pour le positionnement low-cost. Dacia va-t-il devoir s'en éloigner malgré lui ?
Une récente décision de l'Union Européenne va contraindre les constructeurs à doter leurs véhicules d'un petit arsenal sécuritaire. De la même manière que l'Europe a légiféré pour généraliser la présence de quatre airbags ou de l'ESP, elle le fera pour qu'on trouve sur les nouveaux modèles lancés en 2022 une alerte de survitesse avec lecture des panneaux de signalisation, un freinage d'urgence automatique, l'alerte anticollision arrière, le détecteur de fatigue et même une sorte de boîte noire ! Voilà autant de systèmes que les Dacia devront donc avoir en série dès leur version la plus basique. Tout cela pourrait bien faire progresser les prix de plusieurs centaines d'euros.
Sur ce point, Dacia n'est pas inquiet, car les réglementations concernent tout le marché. Sandrine Paralieu explique : "Elles s’appliquent à tous les constructeurs, pas seulement Dacia. Donc cela ne remet pas en cause le modèle économique, bien au contraire, puisqu’avec le surenchérissement des véhicules attendus, Dacia compte bien maintenir son positionnement prix imbattable".
Moteurs modernes, prix en hausse
Mais ce n'est pas tout. Plus important encore, il y a les contraintes environnementales. Les normes de plus en plus sévères ont déjà fait changer Dacia sur un point : plus question d'utiliser des mécaniques anciennes et éprouvées. Les nouveaux modèles ont forcément des moteurs capables de répondre aux nouvelles normes en vigueur, avec par exemple la généralisation du filtre à particules sur les moteurs essence. Les Dacia ont les mêmes mécaniques que les Renault modernes.
Illustration concrète avec la gamme du Duster, qui a été intégralement revue depuis la présentation du modèle, il y a moins de deux ans ! Le SUV vient même d'adopter le nouveau bloc 3 cylindres TCe 100 ch de la Clio 5, à la place de l'atmosphérique 115 ch. Et cela a eu un effet direct sur les prix, avec une augmentation de 500 €.
Surtout, Dacia est sous la menace des prochaines sanctions européennes en matière de CO2. Les constructeurs trop polluants devront payer des amendes, avec une limite générale de 95 g/km de CO2. Il y a toutefois de nombreux éléments qui entrent en compte, à commencer par le fait que l'amende se calcule par groupe. Renault va donc aider Dacia grâce à ses électriques et hybrides.
L'inévitable électrification
Mais la firme low-cost va devoir quand même en passer par l'électrification de sa gamme au cours de la prochaine décennie. Et la moindre électrification fait gonfler le prix. Évidemment, le bon sens Dacia va primer. À la rentrée 2019, Sandrine Paralieu nous a dit : "Dacia dispose d’un choix très varié de technologies au sein du groupe allant du 100 % électrique à l’hybride. Ces technologies pourront être utilisées chez Dacia le moment opportun, où nos clients le réclameront et que leur prix leur permettra".
On pensait alors que Dacia commencerait par de l'hybridation simple, système le moins cher qui permet de gagner quelques grammes d'homologation facilement. Mais la marque va carrément se lancer sur le marché de la voiture 100 % électrique ! En mars 2020, elle a confirmé le lancement d'une petite citadine branchée courant 2021, la Spring.
Dacia s'est voulu rassurant : même avec de l'électrique, il compte rester low-cost. Bien sûr, même si ce sera un véhicule plus petit que la Sandero, la Spring aura un prix de départ (hors bonus) bien plus élevé, sûrement deux fois plus même, avec environ 15 000 €. Difficile de faire moins vu le coût de la batterie, d'autant que la Spring promet une autonomie correcte de 200 km WLTP.
Mais la Spring sera la voiture électrique quatre places la moins chère en Europe. Et mine de rien, on se souvient que la première version de la Zoé avait une autonomie semblable, pour un prix avec batterie de 30 000 € environ !
Pour bousculer le marché de l'électrique, Dacia applique à nouveau les ingrédients incontournables du low-cost. La Spring sera un clone de la Renault City K-ZE, vendue en Chine et elle-même basée sur la voiture ultra low-cost Kwid, née en Inde. La Spring, ce sera donc une base déjà bien éprouvée, une production en Chine, mais aussi une mécanique modeste, des plastiques durs à bord et un équipement simplifié.
On l'a vu, les normes bousculent le modèle économique de Dacia. Clairement, il ne peut plus utiliser la recette de la voiture conçue à partir d'organes d'une autre époque. D'ailleurs, les prochaines Logan et Sandero vont basculer sur une nouvelle plate-forme, dérivée de celle inaugurée par la Clio 5 ! Celle-ci sera quand même simplifiée. Forcé d'avoir des éléments modernes, la maison mère va jouer sur un autre levier pour faire baisser les prix, à savoir les volumes.
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