Distraction au volant : le jeu de dupes

Ce radar à téléphone reste assez mystérieux. S'agit-il, comme pour un prototype australien vieux de dix ans, de capter les ondes téléphones provenant d'une voiture puis d'en faire le cliché vu de dessus ? S'agit-il simplement d'un système de reconnaissance d'image ? Sur des photos que j'ai vues, si le pare-soleil est abaissé, difficile de savoir si le conducteur se gratte l'oreille ou parle à sa belle-mère. Et s'il s'agit de verbaliser sur la base de l'émission d'un signal 3 ou 4G, comment avoir la certitude qu'il n'est pas émis depuis la banquette arrière ? Mon petit doigt me dit, et mon index aussi, qu'il serait plus simple de verbaliser celui qui se cure le nez…

10 % des accidents mortels et 8 % des points retirés

Alors, que faire ? On sait que téléphoner au volant multiplie par trois le risque d'accident et que cette pratique serait à l'origine de 10 % des accidents mortels (et de 8 % des points retirés sur les permis), mais on sait aussi que l'usage du kit mains libres, autorisé lui, diminue peu ce risque.

Car ce n'est pas avoir une main occupée qui tue - on interdirait les boîtes de vitesses manuelles si c'était le cas - mais de se projeter en pensée auprès de son interlocuteur. On peut bien avoir deux mains sur le volant et autant d'yeux sur la route, si l'esprit est ailleurs, le pied ne va pas sur le frein...

Téléphoner ou pas, ce n'est d'ailleurs plus la question et c'est même devenu ringard chez les moins de 30 ans ; on fait plein d'autres choses avec un smartphone. A commencer par envoyer des SMS, des mails, des posts, des smiles et autres fortes pensées avec un risque qui serait multiplié par 23. Je lis "23" mais on me dirait 15 ou 42, ça me semblerait tout aussi crédible. Comment ça peut se verbaliser l'envoi d'un SMS puisque grâce au kit mains libres, il est toujours permis d'avoir le téléphone sous les yeux et par conséquent de le manipuler ? " Mais M'sieur l'agent, je le touchais en mode GPS !" Et la lecture d'un SMS, c'est combien de points sur le permis ? "Mais M'sieur l'agent, je lisais pas un texto, juste le plan du rond-point pour savoir à quelle sortie mettre mon clignotant !"

 Il est interdit de ne pas communiquer !

Arrêtons la farce, la seule façon de nous remettre vraiment à la conduite et rien qu'à la conduite serait d'interdire tout téléphone en fonctionnement dans une voiture et même tout téléphone en dehors du coffre. Mais qui osera prendre une mesure aussi radicale et s'attaquer ainsi à l'objet devenu la clef et le moteur de la nouvelle économie, l'appendice commerçant et communiquant du citoyen voire son annexe cervicale ?

Sachant que 63 % des trajets domicile travail se font en voiture, que ces temps de transport représentent 10 à 30 % du temps éveillé et non travaillé, il n'est pas question d'interdire à l'homo economicus d'économiquer de l'index ou par synthèse vocale pendant qu'il ne perd pas son temps à cuisiner ou à jouer avec ses enfants, activités peu profitables aux marchés. Si la sécurité passait avant le bon fonctionnement de l'économie, ça se saurait. Si vraiment, il ne fallait pas distraire le conducteur, les trois écrans vidéo géants qui défilent leurs pubs sur le périphérique parisien porte d'Italie auraient été retirés et toute publicité animée serait interdite en bord de chaussée.

 Des voitures intrinsèquement distrayantes

Et puis, admettons que le téléphone disparaisse de nos habitacles, ceux qui s'ennuient en conduisant - et qui sont l'écrasante majorité des automobilistes - trouveront toujours matière à se divertir dans les véritables jouets interactifs que son deventus nos chariottes. Dans le luxueux SUV allemand du copain de mon dernier billet, les innombrables écrans et sous-écrans d'information, de réglage, de paramétrage et de personnalisation m'occuperaient une après-midi entière.

Rien que sur le petit cadran de l'ordinateur de bord, sous les compteurs, il se passe plus de choses que dans un épisode de Plus belle la vie : et que la température moteur est OK, et que le stop & start s'est mis hors service (pourquoi ? tu le sauras en consultant la rubrique technologie de l'écran d'à côté), et que tu as parcouru 26,5 km de plus avec le mode éco de la boîte auto et que la température extérieure vient de chuter de trois degrés depuis le bas de la vallée et que je te signale que tu as dépassé la vitesse de consigne car tu n'as pas passé le quart d'heure requis à modifier ce paramètre dans l'autre écran, le grand qui est juste sous le pare-brise. Le pare-brise ? Mais si, ce machin au travers duquel tu perds un temps fou à vérifier qu'il n'y a pas un chevreuil ou un tracteur sur ta trajectoire.

Même dans le plus commun C3 Aircross de Citroën, le simple geste de diminuer ou augmenter la température ambiante prends dix à quinze fois plus de temps de cerveau disponible que tourner bêtement le bouton bleu-rouge d'une vieille C3. D'ailleurs, ce n'est pas un "simple geste", il faut bien viser l'icône "thermomètre" sur l'écran tactile puis ne pas louper le + ou le - et tapoter plusieurs fois. Un cahot et l'index tape à côté en ouvrant un autre écran qui n'a rien à voir et qu'il faudra fermer. Je passe sur le très plaisant GPS qui permet tant de zooms et perspectives sur la route qu'on se demande s'il n'est pas plus intéressant de regarder par là que devant soi. En comparaison, le système qui bipe quand l'Aircross dévie de sa file ou celui qui allume un point orange dans le rétroviseur quand survient un véhicule dans l'angle mort semblent de bien pauvres remèdes ; autant siffloter pour essayer de décrocher un gamin vissé à sa PS4.

Bien entendu, il n'y a pas de test "risque de distraction" à l'homologation et le temps que l'on y songe, nous serons rendus à la voiture autonome dont la principale vocation sera de nous permettre de nous distraire.