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Du camion à l’appartement, une métaphore du réchauffement

Faut-il augmenter d’un tiers le poids des camions pour émettre moins de C02 ? J’en ai discuté en transpirant dans une passoire thermique surchauffée.

Du camion à l’appartement, une métaphore du réchauffement

C’est à un dîner chez des amis, un des invités travaille dans la logistique pour une entreprise de transport.

Cela tombe bien, je veux faire mon prochain billet pour Caradisiac sur le projet de règlement européen sur les méga-camions… Faut-il autoriser sur nos routes des ensembles routiers de 60 tonnes, avec deux remorques et mesurant jusque 25 mètres de long ?
Lui, forcément, il est pour : moins de camions sur les routes donc moins de chauffeurs à recruter et à rémunérer, moins de gazole consommé - et donc d’émissions de C02 - à la tonne transportée. Et il m’assure que cela n’abîmerait pas les routes car ce n’est pas la masse totale qui importe, mais la charge à l’essieu.
Il reconnaît qu’il faudrait imposer à ces méga camions des itinéraires essentiellement autoroutiers et leur interdire certaines voies et que certes, dans une certaine mesure, cela peut être considéré comme une concurrence déloyale pour le fret ferroviaire, mais qu’en même temps, en Suisse et en Autriche…

Je ne l’écoute plus. C’est vrai que le sujet est d’une complexité infernale avec des règlements européens au kilo, d’innombrables exemptions et dérogations nationales sans parler des accords transfrontaliers…
Je ne l’écoute plus car je meurs de chaud. Mon interlocuteur se demande s’il faut recapitaliser ou privatiser le fret SNCF et lui aussi, la sueur perle à son front et des auréoles pointent à ses aisselles.
Je suis descendu du camion, j’hésite à tomber la chemise après la veste, me demande si le T-shirt que j’ai attrapé en vitesse en sortant de la douche ne serait pas celui offert par ma fille, avec un grand Titeuf devant et une blague vaseuse derrière…

Transpirons, mais restons dignes… et c’est à ce moment que notre hôte propose d’ouvrir un peu la baie vitrée. De l’air !

Du camion à l’appartement, une métaphore du réchauffement

Tant pis pour les camions

La pause cigarette sur le balcon me sauve. Et tant pis pour les camions de mon billet, j’ai une autre idée de sujet.

- Il fait drôlement chaud chez vous, c’est un chauffage collectif ?

- Oui, un chauffage par le sol, on n’en peut plus, on doit dormir la fenêtre ouverte en plein hiver. Le seul bouton pour régler la température est dans la chaufferie et c’est le chef du syndic qui a la clef. Quand on obtient de diminuer un peu la température, des gens se plaignent d’avoir froid. Le chauffagiste me dit que c’est comme ça dans beaucoup d’immeubles des beaux quartiers, les gens ont les moyens et 100 ou 150 € de charge en plus, ce n’est pas un souci et l’isolation, ils ne veulent pas s’embêter avec.
L’hiver dernier, à cause des prix démentiels du gaz et de la peur de la pénurie, on avait pu exiger de diminuer la chauffe, mais depuis que le gaz a baissé, les frileux se lâchent. Tiens, regarde le groupe WhatsApp de la copro, on n’a parlé que de ça cet hiver. Fais défiler, tu vas comprendre le souci, là, regarde la photo, c’est le thermomètre du voisin du dessus, 27 °C, il devient dingue et menace de ne plus payer les charges.

Sur l’écran qu’il me tend, des messages brefs ou interminables, des complaintes, des demandes de compromis, de l’ironie, de la colère…

Pour faire court, il y a ceux qui crèvent de chaud et ceux qui craignent d’avoir froid, ceux qui ont un thermomètre et ceux qui n’en ont pas (les premiers ont des arguments, les seconds des sensations), ceux qui, comme notre hôte, ont investi pour du double vitrage et de l’isolant et ceux qui ayant gardé jusqu’aux menuiseries fuyardes à simple vitrage des années 60 veulent faire turbiner la chaudière pour garder leurs 20 °C. Ceux qui s’indignent du montant de la facture de gaz et ceux qui veulent en avoir pour leur pognon, ceux qui portent un pull, ceux qui n’en portent pas…

Du camion à l’appartement, une métaphore du réchauffement

La distribution des rôles

En faisant défiler la litanie de ces échanges, je découvre une véritable pièce de théâtre illustrant et résumant tout le débat sur la réduction des gaz à effet de serre. Une véritable métaphore qui fonctionne aussi bien à l’échelle planétaire que nationale.

Il y a les climatosceptiques (« 26 °C !? votre thermomètre est-il fiable ? »), les cyniques (« Personne ne vous a demandé de mettre du double vitrage »), les gens de bonne volonté (« On pourrait peut-être baisser d’un ou deux degrés pour voir ? ») les fatalistes (« C’est un vieil immeuble, c’est mal isolé, on n’y peut rien »), ceux qui temporisent (« attendons de voir ce que dira le diagnostic de performance énergétique ») et ceux qui s’impatientent (« on a mis trois ans à le voter en AG ! »)

- Il y a surtout ceux que tu ne lis pas ici, qui ne disent rien et ne veulent pas s’en mêler. Ou qui se sont habitués, car le pire de cette situation, c’est qu’on se fait très bien à vivre chez soi comme en plein été. Regarde-moi, ici je vis en chemisette et je suis devenu frileux. Maintenant j’ai froid au bureau.

Cette situation ubuesque m’évoque la théorie des jeux. Comme l’explique le très officiel site économie.gouv.fr, « la théorie des jeux, issue des mathématiques dans les années 20, permet de prévoir le comportement des agents économiques, en faisant l’hypothèse que tout agent effectue toujours un choix rationnel visant à maximiser ses gains et à minimiser ses pertes. »

À quel jeu jouent donc ces copropriétaires ?
Celui du passager clandestin me paraît tout indiqué. Et même doublement indiqué. Quand les charges de chauffage sont réparties en fonction de la surface occupée, les passagers clandestins sont ceux qui partagent le coût de leurs soirées en T-shirt et caleçon avec ceux qui préféreraient porter un pull. Et/ou ceux qui n’ont réalisé aucuns travaux d’isolation et imposent aux autres de cuire à petit feu pour qu’eux-mêmes n’aient pas froid.

J’aimerais bien trouver un rapport avec l’automobile – on n’est pas sur Maisondisiac - mais n’en trouve aucun. Et c’est justement cela qui est intéressant.

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En voiture, pas de passager clandestin

Hormis le cas de l’autostoppeur qui refuserait toute participation aux frais, la théorie du passager clandestin ne s’applique pas. L’automobiliste paye ce qu’il consomme ; s’il choisit de rouler à 110 km/h sur autoroute, les 20 ou 25% d’économie de carburant vont dans sa poche. S’il préfère rouler à 134 km/h au GPS, qu’il ne se plaigne pas du prix de l’essence.

L’État a même prévu un mécanisme, le bonus-malus tant honni, pour nous inciter collectivement à choisir des voitures qui consomment moins. D’accord, + 10 000 € sur la facture d’une familiale essence, c’est abusé comme dirait ma fille, mais cela paye le bonus de deux électriques et ça marche : depuis 2018, pour la première fois depuis 50 ans et malgré le boom du SUV, la consommation de carburant diminue en France, et pas uniquement grâce au télétravail.

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Une police du thermostat ?

C’est là qu’on retrouve la même divergence entre espace public et sphère privée, entre accidents de la route et accidents domestiques. Tous les libertaires du bitume reprochent à l’État de nous fliquer et de nous radariser « à outrance » pour passer sous les 3 000 morts par an et de ne rien faire contre les seconds qui tuent cinq fois plus : 20 000 morts par an quand même…

C’est comme ça : à la maison, vous pouvez changer une ampoule pieds et mains mouillés sur la dernière marche d’un escabeau branlant, saoul comme un cochon et téléphone à l’oreille, ça ne regarde que vous. Alors que sur la route…
Faut-il rendre obligatoire l’éthylotest antidémarrage sur les scies circulaires ? Imposer un contrôle technique des escabeaux et un permis de tailler les haies ? Évidemment non…
Donc, pas question non plus d’avoir une police du thermostat et de verbaliser les excès de température à domicile.

La morale de tout ça ? À chacun de se la fabriquer.

Peut-être avec ces deux données : en France, le chauffage résidentiel émet 40 à 50 millions de tonnes de C02 et le transport routier de marchandises (hors VUL) 25 à 30 millions de tonnes selon les sources.

Personnellement, je me demande s’il n’y a pas plus urgent que d’autoriser des camions de 25 mètres de long…

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