Enquête - Pourquoi tout (ou presque) réussit à Peugeot
2018 est clairement l’année Peugeot, tant en France qu’en Europe, avec des SUV qui font un malheur et une très attendue 508. La marque apparaît même en tête des intentions d’achat des Français, et progresse nettement plus vite que Renault sur ses principaux marchés. Radioscopie du phénomène.
On n’arrête plus Peugeot ! De janvier à avril, la marque a progressé près de quatre fois plus vite que le marché européen, avec des ventes en hausse de 10,8% quand la croissance globale, tous constructeurs confondus, s’établissait à 2,8%.
En France, le lion est même prêt à doubler Renault, les parts de marché respectives s’établissant à 18,24% et 18,88% sur les cinq premiers mois de l’année. Avec l’arrivée de la nouvelle 508 face à une Talisman qui peine à séduire (elle s’est moins bien vendue que l’ancienne 508 entre janvier et avril !), à laquelle s’ajoute celle du ludospace Rifter qui affrontera le « vieux » Kangoo, tout laisse à penser que Peugeot finira l’année nettement devant Renault.
Cette spectaculaire inversion de tendance s’explique par le succès des Peugeot les plus récentes, 3008 et 5008 en tête. La demande pour ce dernier modèle provoque même une saturation de l’usine de Rennes où il est produit (et où le rejoindra bientôt le nouveau C5 Aircross de Citroën), conduisant PSA à délocaliser une partie de sa fabrication à Sochaux, aux côtés du 3008. « PSA bénéficie de la reprise globale du marché européen, dont il est fortement dépendant. Ce très fort rebond a bénéficié à Peugeot comme aux autres, peut-être plus à Peugeot qu’aux autres. Le marché automobile est au top, dépassant même les niveaux d’avant crise », commente Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile.
Une stratégie gagnante. En 2017, le groupe PSA aura engrangé 1,9 milliards d’euros de bénéfices, avec une marge opérationnelle de 6,1%. « La rentabilité est due à trois facteurs. Les plans "Back in the race" et "Push to pass" marquaient la volonté de faire moins de véhicules et de concentrer ses efforts sur des modèles emblématiques. Comme ça fonctionne bien d’un point de vue commercial, cela permet aux sites français de regagner en profitabilité. Le taux d’utilisation des usines est remonté grâce aux volumes, ce qui permet d’amortir les coûts fixes et d’être plus rentable. Enfin, les accords de compétitivité signés avec les syndicats contribuent à améliorer la rentabilité de PSA », poursuit Flavien Neuvy.
« La marque a aussi recentré son offre avec des véhicules plus attirants au regard du public, comme on le constate avec le succès des 3008 et 5008, modèles porteurs de croissance et de volume. Même démarche chez Citroën avec les C3 et C3 Aircross, bientôt rejoints par la C5 Aircross », enchérit Matthieu Simon, Directeur et spécialiste auto chez Roland Berger, cabinet conseil en stratégie. « Nous sommes tous bluffés par la vitesse du rebond. En 2012-2013, PSA était l’un des constructeurs qui avait le plus de problèmes de rentabilité. Or, l’ampleur et la vitesse de ce rebond ont abouti 5 ans plus tard au rachat d’Opel à hauteur d’environ 2 milliards. Le groupe accède au deuxième rang européen après VW et développe de nouveaux métiers comme on le voit avec Free2move, pour se muer en fournisseur de mobilité, parallèlement au développement de l’électrique. S’ajoute à cela la définition d’une nouvelle géographie, avec la Chine et l’Asie du sud-est. Personne ne s’attendait à l’ampleur et à la vitesse de ce processus. »
Cap aux SUV ! Côté produit, la direction de Peugeot a eu le nez creux en mettant le paquet sur l’offre de SUV et en tournant définitivement le dos au monospace, secteur traditionnellement dévolu à Citroën. « L’offre de Peugeot répond aux attentes des automobilistes, notamment en matière de SUV. Et ça, Peugeot le doit à sa capacité à s’adapter à une demande qui a évolué assez vite et profondément. C’est hallucinant de voir la place qu’ont pris ces véhicules en moins de 10 ans », observe Flavien Neuvy.
Rappelons que quand Carlos Tavares a pris en 2014 la tête d’un PSA exsangue, il lui fallait réorganiser les gammes pour mettre l’accent sur les modèles à grande diffusion, et pas seulement en France.
Résultat ? Au premier trimestre 2018, les 11 modèles de SUV du groupe PSA représentaient près de 17% des ventes du segment en Europe ! Le 3008, troisième voiture la plus vendue en France depuis le début de l’année, donne une véritable fessée (commerciale, s’entend) à son concurrent direct le Renault Kadjar : 30 000 exemplaires vendus en France entre janvier et avril, contre 9 300 au Renault ! La lionne fait la différence avec un style spectaculaire et, surtout, un habitacle particulièrement moderne avec son système multimédia i-Cockpit. Sur ce plan, l’une donne l’impression d’être au XXIème siècle et l’autre d’appliquer de vieilles recettes issues du passé. Les consommateurs ne s’y trompent pas et se ruent sur ce modèle très peu remisé et donc particulièrement rentable. « L’autre avantage du retour en forme de Peugeot est un pricing power (augmentation des prix sans que cela n’affecte la demande, NDLR) retrouvé, pour une meilleure rentabilité », note Matthieu Simon. « Quand vous vendez des voitures plus grosses et plus chères, ce sont des voitures mieux margées. Les marges sur les crossovers sont supérieures, c’est donc mieux pour Peugeot », résume Flavien Neuvy.
Les camionnettes aussi. Une récente étude dont Caradisiac s’est fait l’écho a montré que la marque au lion était en tête des intentions d’achat des Français. Et comme évoque plus haut, tout laisse à penser que les 508 et Rifter accentueront la tendance. PSA estime que ces modèles ont le potentiel pour devenir des stars en Europe et même, pour la 508, de participer au décollage de la marque en Chine, pays friand de berlines (et où PSA cherche encore la martingale, en dépit d'une présence déjà ancienne). « Le marché premium mondial, c’est 10% des volumes mais 34% des profits. Et il devrait avoir progressé de 33% entre 2015 et 2022 », détaillait récemment sur Caradisiac un représentant de chez DS. Dans ces conditions, on comprend mieux les ambitions de Peugeot avec la 508.
Si le haut de gamme suscite sa gourmandise, Peugeot continue de travailler ses classiques avec brio. Une autre réussite de PSA - et donc de Peugeot - concerne en effet les utilitaires légers, avec notamment le tandem Peugeot Expert/Citroën Jumpy. Ce marché a représenté quelques 440 000 véhicules l'an dernier dans l’Hexagone, chiffre qui traduit une hausse de 7% (contre 4,7% aux véhicules particuliers). Or, Peugeot y a vu ses ventes progresser trois fois plus vite que Renault: +11,9% (et +10,5% pour Citroën avec les mêmes véhicules) contre +4,7% au losange, soit une progression 2,5 fois supérieure pour le lion.
France is back. Le groupe PSA s’enorgueillit d’être le constructeur automobile ayant le plus contribué à la balance commerciale de la France en 2017. Dans un communiqué récent, le groupe précisait que « les 5 usines d’assemblage de véhicules ont produit [en 2017] 1,1 million de véhicules, en augmentation de 12,9% par rapport à 2016 et représentent plus d’un tiers de la production mondiale de véhicules du Groupe. (…) En complément, les 12 usines de composants fabriquent près de 5 millions des moteurs et boites de vitesses du Groupe PSA en France.»
Peugeot fabrique ici ses 208 (GTI), 2008, 308, 3008, 508, 5008 et Traveller (ce dernier étant la version familiale de l'utilitaire Expert). Pour Carlos Tavares, patron de PSA, « contribuer directement à l’activité économique de la France est une fierté pour notre Groupe et pour les 58 000 salariés basés dans l’hexagone ». Même si ce n’est pas directement quantifiable, cet effort est forcément apprécié des automobilistes français (et des autres). Selon un rapport du cabinet Euler Hermes, les constructeurs et équipementiers français se trouvent d’ailleurs dans une situation financière solide après deux années pleines de croissance soutenue, et devraient voir leurs ventes globales progresser de 2% en 2018. Les constructeurs tricolores profitent donc d’une sorte d’état de grâce dont Peugeot jouit pleinement. Flavien Neuvy : « Tant que le marché européen fonctionnera, Peugeot fonctionnera. La corrélation est très forte. C’est l’un des groupes les plus dépendants des ventes du marché européen. Il y a des croissances solides en France, Italie, Espagne, et au moment où je vous parle il n’y a pas d’anticipation de retournement du marché européen comme on en a vu en 2009-2010.»
Voyants au vert…ou presque. Les perspectives sont donc positives pour Peugeot, qui doit tout de même composer avec la désaffection spectaculaire dont souffre le diesel, qui contraint PSA à adapter son outil industriel. Il lui faut actuellement importer des blocs essence Puretech depuis la Chine pour répondre à la demande! Le constructeur doit modifier son offre avec des moteurs électriques et hybrides, en vertu de l’objectif annoncé de proposer une gamme à 80% électrifiée à l’horizon 2023.
Autres leviers de progression possibles pour Peugeot, les petits modèles : si elle voit ses ventes globales progresser (+7,4% au premier trimestre), la 208 est dominée en France par la Renault Clio, tandis que la 108 éclipsée par la Twingo (il faut cumuler les ventes des clones Citroën C1 et Toyota Aygo pour dépasser - de peu - la petite Renault). On note au passage que la Twingo restylée arrive à l’automne, et que la Clio 5 sera lancée au printemps 2019. De gros morceaux, donc.
Par ailleurs, PSA doit maintenant digérer la prise de contrôle d’Opel et travailler sur la perception de ses différentes marques, sachant qu’il compte trois généralistes (Peugeot, Citroën, Opel) aux offres comparables. « On peut avoir des interrogations sur la stratégie, et notamment sur le positionnement des marques du groupe aux yeux de l’automobiliste », souligne Flavien Neuvy. « Pour DS, le cap du haut de gamme est clairement fixé. Mais comment va se placer Peugeot par rapport à Citroën ou Opel? Dans le groupe Volkswagen, c’est très clair entre Audi, Skoda ou VW. Donc quelle sera l’image qu’aura le consommateur de chaque marque du groupe PSA ? »
Le « Faites vous plaisir, je m’occupe du reste » récemment lancé par le patron de Peugeot Jean-Philippe Imparato sur le réseau Linkedin, agira-t-il comme un mantra ?
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