Joe Biden, écolo mais nouvelle star des constructeurs américains
La décision de la nouvelle administration Biden de revenir dans l'accord de Paris sur le climat, et, probablement, de durcir les normes d'émissions C02 très légères de l'ère Trump devrait logiquement inquiéter les constructeurs locaux. Or il n'en est rien, car ils espèrent en tirer des subsides puisqu'ils respectent déjà les normes internationales sur lesquelles les Etats-Unis devraient rapidement s'aligner.
La scène se passe au salon de Detroit en 2018. Non seulement la température extérieure est glaciale dans le Michigan, mais à l'intérieur du Cobo Center, où se tient le raout annuel de l'automobile, l'ambiance n'est pas franchement plus chaleureuse. Elaine Chao, secrétaire d'État aux transports de l'administration Trump, vient inaugurer le salon et prépare les constructeurs américains aux décisions qui seront prises peu de temps après : l'assouplissement probable des normes d'émissions de C02 suite à la sortie de l'Amérique du plan climat six mois plus tôt.
Logiquement, ce permis de polluer aurait dû déclencher des clameurs de joie sur les stands du North American International Motor Show. Mais c'est dans l'indifférence totale que la nouvelle est accueillie. Mieux : le même jour, dans l'après-midi, Bill Ford, président du groupe du même nom, annonce à quelques mètres de là que le constructeur a décidé d'investir 11 milliards de dollars, qui viennent s'ajouter aux 4,5 milliards déjà sur la table, pour développer des autos électriques, ou électrifiées.
Un signe de rébellion de la part de la marque à l'ovale envers Washington ? Pas vraiment, car les deux autres constructeurs locaux sont sur la même ligne. Les relations entre les Big Three et Trump connaissent des hauts et des bas depuis son accession à la Maison Blanche. Ses attaques pour une relocalisation des usines ne font pas leurs affaires, et quand le Républicain se la joue grand seigneur et pense leur faire un cadeau en leur lâchant la bride sur les émissions polluantes, il se trompe.
La raison de leur sourde oreille envers ce relâchement des normes est toute simple : ce sont des constructeurs mondiaux, présents sur tous les continents, et dans toutes les contrées, y compris les plus contraignantes en matière d'émissions : l'Europe et la Chine. Deux marchés qui représentent respectivement cette année-là 15 et 27 millions d'autos vendues. Autant dire que les 17 millions de voitures écoulées la même année aux US ne font pas le poids face aux 42 millions de voitures respectant des normes sévères écoulées ailleurs. Certes, d'autres marchés comme l'Inde, l'Afrique ou l'Amérique du Sud sont plus souples en termes d'émissions, mais ils sont aussi beaucoup moins intéressants en matière de pouvoir d'achat, et donc de marges pour les constructeurs.
La valse-hésitation de General Motors
Pour les constructeurs américains, développer des moteurs plus polluants pour les seuls États-Unis et d'autres blocs plus propres pour le reste du monde est une perte d'argent. Alors, malgré Washington, ils ont continué leur marche vers l'électrique. Ce qui ne les a pas empêchés d'écouler de bons vieux V6 et V8 aux émissions maximalistes sur leur propre sol, puisque c'était permis.
De la même manière, ils n'ont pas hésité de temps à autre à nouer des alliances pour le moins opportunistes avec l'administration Trump. Ainsi, en 2019, Mary Barra, PDG de General Motors, a soutenu le président d'alors dans sa volonté de casser la prérogative californienne qui permettait à cet État de disposer de normes locales sans se soucier de Washington. Le but de la manœuvre était d'y appliquer des lois fédérales beaucoup plus légères en matière de pollution et de laisser rouler des autos polluantes sur la côte Ouest, ce qui autoriserait GM à y vendre de grosses et plus lucratives motorisations. Ça n'a pas été le cas de Ford et de FCA (Fiat Chrysler Automobile), ni des étrangers Volkswagen, BMW et Honda, qui ont rapidement pris fait et cause pour les normes californiennes en s'opposant à Washington. Des marques allemandes et japonaises qui, si elles pèsent moins lourd dans l'économie américaine, sont néanmoins des concurrentes des constructeurs locaux, surtout dans le premium.
Une soudaine conscience écologique se serait-elle soudainement emparée de la patronne de General Motors ? Toujours est-il qu'elle s'est finalement ralliée à l'avis de ses rivaux. Mais peut-être s'est-elle tout bonnement ravisée, estimant à juste titre que l'imposition d'une règle environnementale fédérale dans un pays où même le port d'armes ou la peine de mort ne peuvent être interdits aux 50 États par le gouvernement central a peu de chances d'aboutir. Des administrations démocrates comme celles de Barack Obama ont bien essayé, mais elles se sont heurtées à des murs constitutionnels et ont finalement renoncé. Quant à la Californie, le plus riche État américain, il convient de ne pas se mettre ses administrés à dos. Une volte-face que Mary Barra poursuivit en se convertissant opportunément à Joe Biden, et ce, dès les premiers résultats de l'élection connus. Un ralliement logique et pragmatique.
Une nouvelle administration en accord avec les investissements des constructeurs
C'est que la patronne de GM a adopté le même raisonnement que ses homologues de Ford et FCA, ralliés avant elle à l'élu démocrate. Les trois se sont souvenus qu'au moment de la crise de 2008, Barack Obama les a sauvés de la faillite, et Joe Biden, son vice-président, était alors à la manœuvre. D'ailleurs ce fils de concessionnaire du Delaware sait ce que la voiture représente aux États-Unis, déclarant, en pleine campagne électorale, que "l’industrie automobile est le cœur du secteur manufacturier américain. Elle est essentielle pour l’avenir de notre économie."
Alors, les trois lui font confiance et s'alignent sur sa politique, avec un enthousiasme et une unanimité dont n'avait pas bénéficié son prédécesseur. Un paradoxe alors que le nouveau président annonce un vaste plan pour l'environnement et rejoint les accords de Paris sur le climat ? Pas vraiment, car outre le passé de Biden, l'accord climat et les normes en vigueur en Europe comme en Chine vont vers le même but que celui qu'ils poursuivent à travers leurs lourds investissements : l'électrification. De plus, ils espèrent bien récupérer quelques subsides du vaste plan climat de 2 000 milliards de dollars annoncé par la nouvelle équipe.
Surtout, les patrons de Detroit sont soulagés d'un point de vue strictement politique. Alexandra Ocasio-Cortez, de l'aile gauche du parti démocrate, a travaillé avec Joe Biden tout au long de la campagne. Le plan climat, c'est elle. Mais elle est inflexible et veut en finir vite et totalement avec les énergies fossiles. Trop vite pour les constructeurs qui craignaient de la voir arriver au gouvernement. Mais il n'en est rien. Biden est un centriste qui s'est entouré de centristes. En premier lieu, John Kerry, qui sera chargé du climat, et des négociations du retour dans l'accord de Paris. Au ministère des Transports, Biden a nommé Pete Buttigieg, lui aussi centriste et écologiste modéré, plus modéré en tout cas qu'Alexandra Ocasio-Cortez. Autant de signes qui ont rassuré les patrons des marques américaines. Moins que leurs ouvriers, notamment ceux de la rust belt, la "ceinture de rouille" constituée des États du nord où se trouvent nombre d'usines d'automobiles. Beaucoup de ces cols bleus ont voté pour Donald Trump en 2016 et ont encore voté pour lui en 2020, alors que les cols blancs de Detroit ont choisi son adversaire.
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