L'exemple de la boxe pour sauver l’automobile ?
En se penchant la crise qui nous agite ces temps-ci, un économiste s’en est allé ressusciter un match de boxe de légende : celui qui a opposé Mohamed Ali et Georges Foreman à Kinshasa en 1974. Selon sa théorie, l’entreprise qui s’en tirera sera la plus agile et la plus apte à encaisser des coups, comme Ali à l’époque. Quel constructeur correspond au profil du fameux boxeur ?
Repartira ? Repartira pas ? On ne sait pas de quoi le marché automobile sera fait demain ni à quelle sauce les constructeurs seront mangés. Entre les tenants de la reprise à tous crins et les pessimistes à tout rompre, c’est la guerre des tranchées.
Les optimistes nous expliquent que tout va bien, grâce à la reprise en V. Ce terme de trader veut qu’à la bourse, en cas de chute rapide, une action remonte souvent à la même vitesse, d’où le V. Pour ces derniers, le marché de l’automobile va se remettre en selle très vite, puisque les consommateurs vont changer d’auto, alléchés par les aides gouvernementales et le fait que, ristournes des vendeurs aidant, il serait incongru de ressortir d’une concession au volant d’une auto neuve sans un rabais de 30 %.
Les pessimistes, tout aussi nombreux, estiment que les carottes sont cuites et que le marché en Europe ne redémarrera pas avant 2024, comme le prévoit une étude du principal cabinet conseil allemand Roland Berger.
Mohamed Ali : l'exemple à suivre
Du coup, entre les alarmistes et les enthousiastes, personne ne sait à qui se fier. Faut-il croire au pire ou au moins grave ? Dans tous les cas, l’on peut toujours faire confiance à Mohamed Ali, même si deux facteurs plaident contre lui : il est décédé en 2016, et n’était pas vraiment un spécialiste du marché automobile. Pourtant, Donald Sull le cite en exemple. Pour cet éminent professeur du MIT (Massachusetts Institute of Technology), Cassius Clay, le nom de baptême d'Ali, devrait être l’exemple à suivre pour Carlos Tavares, Jean-Dominique Senard et tous leurs homologues grands patrons. L’économiste s’attarde particulièrement sur un combat qu’il décrypte dans la dernière livraison de la Harvard Business Review. Ce combat légendaire, c’est celui qui a opposé Ali à George Foreman en 1974 au Zaïre, devenu, depuis, la RDC (République Démocratique du Congo).
L'agilité contre la suffisance
Baptisé Rumble in the jungle (le combat dans la jungle), l’événement est évidemment cultissime pour les amateurs de boxe, mais tout le monde en a entendu parler, et connaît ce combat où le roi Ali était loin d’être le favori face à la montagne Foreman, champion du monde en titre. Ce dernier était sûr de son fait, et de sa force. Il s’est battu avec cet état d’esprit. Face à lui, Mohamed Ali était donné perdant à 3 contre 1. Et pourtant, l’incroyable se produisit. l'outsider l’emporta, rafla les 10 millions de dollars promis au vainqueur et devint champion du monde.
Comment ? Pour l’économiste amateur de noble art, l’outsider a gagné à cause de deux qualités : l’agilité et la faculté à encaisser les coups. Alors que Foreman, en face, n’était capable que d’en distribuer et, sûr de rester le king du ring, était incapable d’esquiver, de se déplacer rapidement et de changer de tactique au cours du combat.
Pour Donald Sull, la conclusion est limpide : les entreprises qui se sortiront de la mauvaise passe du Covid, si la mauvaise passe persiste, doivent être des Ali, pas des Foreman.
Mais qui sont aujourd’hui les Mohamed Ali de l’automobile ? Le prof du MIT cite le cas de Toyota. Pour lui, le japonais a les qualités nécessaires. Il sait absorber les coups, « parce qu’il conserve sa main-d’œuvre en attendant des temps meilleurs ». Il est également agile, « en combinant des règles de travail flexibles à la capacité des employés à effectuer différents types de tâches ».
Évidemment, lorsque l’on songe à l’agilité, et à la capacité à encaisser les coups, on pense à l’inénarrable Elon Musk. Son avance technologique et sa structure moins lourde plaident en sa faveur. Pourtant, le patron de Tesla n’est pas forcément un Mohamed Ali dans l’âme. Il pratique le licenciement plutôt facilement, même si, côté polyvalence, ses salariés sont capables de livrer eux-mêmes les voitures qu’ils fabriquent. Quant à encaisser les coups, il a plutôt tendance à encaisser les sous de ses actions, ultra-valorisées, alors que Tesla n'est tjours pas rentable. Le trublion patron est donc recalé du casting.
Des recalés, on peut en distinguer beaucoup dans le clan des Georges Foreman de l'auto, sûrs de leur fait, selon les préceptes de Donald Sull. Car l’automobile est plus proche de l’industrie lourde que de la légèreté d’une start-up. Et par ces temps difficiles, ce poids, et l’inertie qui en découle, peuvent s’avérer dévastateurs.
Le groupe Volkswagen en sait quelque chose puisque, après le dérapage du dieselgate, le voilà englué dans des retards à l’allumage de sa nouvelle Golf, et de l’ID3, deux modèles ultra-importants pour l’allemand.
Quant aux soucis actuels de Renault, ne sont-ils pas eux aussi liés à une certaine inertie ? Sa dépendance à Nissan, dont les 43 % d’actions très rémunératrices pendant des années ne lui ont-ils pas donné une confiance financière excessive ? Aujourd’hui, le japonais ne peut plus renflouer le Losange, son bilan comptable plonge et, faute de pouvoir se suffire à lui-même, le constructeur supprime 4 600 emplois en France.
Le patron de PSA sur le ring
Reste le cas de PSA. Carlos Tavares a peut-être appris de ses années passées chez Renault ce qu’il ne fallait pas faire : s’endormir sur ses lauriers. Devenu patron de Peugeot-Citroën, il rachète Opel, revoit l’ensemble des gammes et des modèles de son groupe et ça marche. Il aurait pu s’arrêter là, mais il continue et s’offre FCA (Fiat Chrysler Automobiles). Le Covid passe par là, mais il ne renonce pas. Il a prouvé son agilité et il ne licencie pas. Reste à savoir s’il saura encaisser les coups au cas où la crise vienne à s’aggraver. En souhaitant que tel sera le cas, il deviendra définitivement Mohamed Tavarès, plutôt que Carlos Foreman.
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