Les camions électriques, le nouveau graal des constructeurs automobiles ?
Pour réussir leur transition écologique, les puissances industrielles du monde entier se lancent dans la course aux poids lourds électriques. Leurs entreprises espèrent ainsi accélérer le déploiement d’infrastructures de distribution d’énergie pour pouvoir ensuite imposer leur propre technologie électromobile.
Ces derniers temps, la multiplication des accords commerciaux et le doublement à venir du fret maritime sont fréquemment évoqués. Or, ces flux logistiques se terminent toujours par d’innombrables poids lourds sur les routes, et si aucun virage technologique n’est opéré, leur empreinte écologique deviendra gargantuesque !
Et le temps presse, car pour respecter l’accord de Paris sur les émissions de CO2, tous les constructeurs doivent intégralement décarboner leurs usines et véhicules avant 2040. Ceux qui ont conservé une activité poids lourds sont ainsi en mesure de rentabiliser leur technologie de piles à combustible dans leurs nouveaux camions électriques, tout en recyclant leurs batteries camion usagées dans leurs voitures neuves. In fine, cela leur permettra de déployer puis d’imposer leur propre réseau de chargeurs et de distribution d’hydrogène (H2).
Mais cette compétition de constructeurs dissimule aussi 6 grandes puissances industrielles en lutte pour réussir leur transition énergétique avant les autres : l’Allemagne, l’Italie, la Chine, la Corée du Sud, le Japon… et la Californie.
Absence regrettable de la France dont les constructeurs ne sont hélas plus présents sur ce marché depuis 10 ans…
Une longueur d’avance pour les poids lourds japonais et sud-coréens
Depuis 1997, les fabricants nippons et coréens sont à l’avant-garde des technologies électriques hybrides (Toyota Prius) et piles à combustible (Hyundai Santa Fe et Toyota FHCV dès 2001). Pourtant en 2020, à l’heure où Hyundai écoule son Nexo et où Toyota renouvelle sa Miraï, ces véhicules révolutionnaires à Pile à Combustible (PAC) H2 ne se sont écoulés chacun qu’à 5 000 exemplaires, faute de réseau de distribution d’H2 accessible aux clients.
Hyundai X2 Xcient Fuel Cell de 34 t propulsé par 2 piles à combustible de Nexo (95 kW chacune) reliées à un réservoir de 34,5 kg d'H2 (autonomie 400 km).
Pour y remédier, Hyundai multiplie les accords avec des ports maritimes (Gwangyang), des aéroports (Inchéon), des fournisseurs d’énergie (Alpiq, H2energy), des producteurs de gaz industriels (Linde Gaz), des équipementiers (Faurecia) ou encore des fabricants de moteurs électriques (Cummins). Tous associés pour exploiter d’ici 2025 des milliers de poids lourds électriques « Hyundai Xcient Fuel Cell » en développant simultanément un réseau de stations à H2 capables de ravitailler chacune 20 véhicules par heure.
Kenworth T680s propulsé par 2 PAC de Toyota Miraï II.
La démarche est analogue pour Toyota avec les projets « Portal », « Uno » et « Profia » qui consistent tous à assurer la conversion électrique de modèles éprouvés de poids lourds thermiques en utilisant la technologie H2 de la Miraï II. En Asie, ce retrofit utilise des camions de 25 t de l’expérimentée filiale nippone Hino (n°6 mondial) dont les bus électriques « Sora » à PAC circulent au Japon depuis 2003. Aux USA, il s’agit de tracteurs portuaires ainsi que d’imposants trucks Kenworth T680 fournis par le partenaire Paccar (n°7 mondial avec DAF, Leyland et Peterbilt).
Hino Profia serie 700 de 25 t à PAC de Toyota Miraï II (autonomie 600 km) & Bus « Sora ».
> L’AVIS CARADISIAC - Stratégie long terme identique pour Toyota et Hyundai consistant à bénéficier sur chaque continent d’infrastructures rentables de production et de distribution d’H2 « vert » déployées par des poids lourds électriques. Premiers partis en 2020, premiers arrivés en 2040 ?
Le leadership allemand en route vers l’hydrogène
Côté allemand, des milliards d’euros sont consacrés à l’électrisation des fleurons industriels. Ainsi, le groupe Volkswagen (n°1 en Europe et en Amérique du Sud avec Man, Scania et Navistar) a commencé à initier un réseau de chargeurs et de distribution d’H2 avec ses premiers camions « Scania G350 à PAC » en Norvège (autonomie 500 km) et ses « Man eTrucks TGM » à batteries li-ion en Autriche (autonomie 200 km).
Mercedes eActros à batteries (PAC en 2023).
Le géant Daimler a quant à lui stoppé tout investissement sur les moteurs thermiques pour se focaliser exclusivement sur l’électromobilité. Et la réactivité du n°1 mondial dont les poids lourds sont présents sur tous les continents (Mercedes-Benz en Europe, Freightliner en Amérique, Mitsubishi Fuso et BharatBenz en Asie) est à la hauteur du défi à relever face à ses concurrents asiatiques et californiens. La firme à l’étoile s’est lancée dans la conversion accélérée de toute son offre de trucks et y consacrera 3 milliards d’euros ces prochaines années avec ses « eActros, eCitaro, eFuso Canter, Vision Fcell, etc. ». Tous seront équipés de batteries lithium-polymère de nouvelle génération fin 2021, puis l’année suivante arriveront des prolongateurs d’autonomie à PAC.
Et le 21 avril dernier, une annonce majeure est venue s’ajouter : Daimler et le sino-suédois AB Volvo (n°5 mondial avec Penta, Mack et Renault Trucks) injectent 1,2 milliard d’euros dans une nouvelle coentreprise qui produira en 2025 des PAC destinées à l’ensemble de leurs véhicules ! Une preuve supplémentaire du rôle crucial que l’H2 jouera ces prochaines années pour toute l’industrie du transport.
> L’AVIS CARADISIAC - Les constructeurs automobiles allemands sont aujourd’hui en retard sur Toyota, Hyundaï et Tesla. Mais sur le marché des poids lourds, l’envergure colossale des groupes Volkswagen et Daimler constitue un point fort où seuls les actionnaires (Geely, BAIC) et partenaires (BYD, Dongfeng) chinois peuvent rivaliser. Celui qui imposera son vecteur d’énergie et ses propres technologies de stockage arrivera en tête en 2030.
La Chine, démesure et force tranquille
Depuis 10 ans, des investissements massifs sont réalisés par la Chine dans la production et la mobilité électrique : 350 000 bornes de recharge, 1,5 million de nouvelles immatriculations l’an dernier et 120 millions de voyageurs aériens transportés annuellement dans les bus électriques à PAC de la « Shangaï Automotive Industry Corporation » (SAIC). En 2020, la moitié des véhicules électriques du monde roulent en Chine !
Des groupes chinois comme DongFeng (n°3 mondial), « Foshan Feichi Automobile Manufacturing Co » (n°1 chinois des bus à PAC) ou « Build Your Dream » (BYD) vont bouleverser la hiérarchie mondiale. Ce dernier tire particulièrement son épingle du jeu en enchaînant les commandes records dans le monde entier.
Bus londoniens MetroLine Enviro400ev et autres véhicules BYD à batteries de type LiFe.
La technologie d’accumulateurs « Blade » au lithium-fer-phosphate (LiFe) qui équipe ses poids lourds surpasse en effet celle au li-ion sur des critères décisifs : un impact environnemental moindre, une durée de vie bien supérieure, une parfaite tolérance aux charges rapides ou incomplètes et une absence totale de surchauffe. Ainsi, même en cas de choc perforant, la température d’une batterie LiFe reste toujours inférieure à 60 °C alors qu’une li-ion dépasse les 500 °C !
BYD est parvenu à se constituer un écosystème électromobile complet : camions, bus, monorails, chariots élévateurs, automobiles et centrales électriques. Actuellement, plusieurs centaines de milliers de taxis et bus électriques BYD (dont les célèbres « double-étages rouges » de Londres) roulent déjà sur tous les continents, ainsi que dans 60 métropoles européennes. À tel point que depuis 2017, BYD a dépassé Tesla en devenant le 1er constructeur de véhicules électriques au monde !
> L’AVIS CARADISIAC - Les composants chinois sont devenus incontournables pour les constructeurs du monde entier et cette hégémonie ne disparaîtra pas en quelques années. Heureusement pour la concurrence, les automobiles chinoises souffrent encore d’un manque criant de notoriété dans l’esprit du grand public. Mais sur le marché des poids lourds, ce déficit d’image n’est pas pénalisant. Sans bruit, la Chine y avance ses pions, inexorablement.
L’outsider italien à l’assaut du rêve américain
L’Italie reste une puissance industrielle, notamment grâce au groupe Fiat érigé et toujours contrôlé par la famille Agnelli via leur holding Exor. Sa division poids lourds (n°8 mondial avec Iveco, Heuliez Bus et IrisBus) va devenir le principal investisseur (aux côtés de l’allemand Bosch et du coréen Hanwha) d’une start-up américaine spécialisée dans l’électromobilité lourde dont le nom « Nikola Motor » fait référence à l’inventeur Nikola… Tesla !
Et l’outsider italien pourrait bien parvenir à voler la vedette à Elon Musk en devenant le 1er constructeur à produire réellement en grande série le poids lourd électrique le plus innovant au monde ! Il s’agira en Europe du « Nikola Tre » un poids lourd électrique à PAC H2 (fournie par le germano-suédois Bosch-PowerCell) capable de délivrer une puissance de 750 kW sur 1 200 km, puis de se recharger en moins de 15 minutes.
Nikola Tre à PAC
Il sera construit en Allemagne (version batteries en 2021 et PAC en 2023) sur la base du camion connecté « Iveco S-way » puis sera distribué en Europe par Iveco. Il serait ensuite logique que les véhicules légers du groupe « Fiat Chrysler PSA » finissent par profiter des technologies et infrastructures de distribution d’énergie de ces poids lourds Iveco-Nikola.
> L’AVIS CARADISIAC - En difficulté économique depuis 2008, l’Italie se fait discrète. Pourtant son industrie reste la seule en Europe capable de rivaliser avec l’Allemagne, l’empire Agnelli est intact et ses marques investissent toujours avec pragmatisme de chaque côté de l’Atlantique. Et si la pandémie ne bouleverse pas trop l’agenda, des Nikola Tre « 0 émission » rouleront dès 2022 sur nos routes.
La Californie, l’exception électrique américaine
Depuis la sortie récente des USA de la COP21, la transition écologique du transport américain semble à l’arrêt. Leur production pétrolière de schiste les encourageant probablement à poursuivre auprès des rescapés de la « Rust-Belt » une mobilité carbonée traditionnelle. Pour autant, un état prend à lui seul le contre-pied vertueux du pays tout entier en incarnant dans le monde entier l’innovation écologique électrique : la Californie où réside la star « Tesla ».
Le fabricant des sublimes modèles « S.3.X.Y. » est devenu aujourd’hui la référence mondiale de l’électromobilité légère et donc aussi la cible de tous ses concurrents. Afin de poursuivre sa success-story, le Californien a dû se diversifier en 2016 dans la production de centrales solaires et s’apprête désormais à investir lui aussi le secteur stratégique des trucks électriques.
Seulement la production en série de son « Tesla Semi » tarde depuis 2017 sans que l’on sache si ce retard est inhérent à des difficultés d’approvisionnement en composants, ou bien à l’éventuelle inadaptation aux impératifs d’autonomie du fret routier de ses technologies actuelles de batteries et chargeurs (voir tableau). Le rachat du fabricant de supercondensateurs Maxwell Technologies suggère que Tesla envisage d’utiliser leur technologie aux (dé)charges régénératives instantanées pour optimiser le poids énorme des batteries du Semi.
Dans cette course mondiale ultime pour être le premier à réussir la conversion électrique de son transport, les États-Unis ne sont-ils pas sur le point d’être doublés par des poids lourds asiatiques et européens, sous le regard distancié de la France ?
> L’AVIS CARADISIAC - En 2020, les USA peuvent toujours compter sur la notoriété exceptionnelle de Tesla pour remporter une victoire stratégique dans l’électromobilité lourde. Mais leur camion électrique n’est pas aussi sexy que le reste de la gamme et on doute que ses batteries soient en mesure de rivaliser « hors métropoles » avec les piles à combustible de ses concurrents. Davantage qu’un graal, ce Tesla Semi devra être la solution au manque chronique de rentabilité du constructeur automobile californien.
Six puissances industrielles lancées dans la course aux poids lourds électriques
Principale technologie | Échéance | Faisabilité | |
Allemagne (Daimler, Volkswagen) | Batterie lithium-ion-polymère associée à une mini-pile à combustible hydrogène de type PEMFC (prolongateur d’autonomie) | 2030 | Objectif mesuré, position de force sur ce marché, soutien politique cohérent : réussite très probable |
Chine (DongFeng, BYD) | Batterie lithium-fer-phosphate / Pile à combustible hydrogène de type PEMFC associée à une mini-batterie lithium-ion-polymère | 2030 | Ventes mondiales records pour les poids lourds électriques à batteries, position hégémonique sur le marché des composants cruciaux, objectif « hydrogène » en cours de réalisation : succès évident à l’arrivée |
Corée du Sud (Hyundaï) | Pile à combustible hydrogène de type PEMFC associée à une mini-batterie lithium-ion-polymère | 2040 | Objectif ambitieux privilégiant les infrastructures « hydrogène » : donc issue assez lointaine mais réussite probable |
Italie (Iveco, Nikola) | Pile à combustible hydrogène de type PEMFC associée à une petite batterie lithium-ion-polymère / (Moteur thermique au gaz naturel) | 2025 | Objectif ambitieux handicapé par l’absence apparente de stratégie « infrastructures hydrogène » (à moins que les nouvelles routes de la soie chinoise…) : issue encore incertaine |
Japon (Toyota Hino) | Pile à combustible hydrogène de type PEMFC associée à une mini-batterie nickel-métal-hydrure remplacée bientôt par lithium-fer-phosphate | 2040 | Objectif ambitieux privilégiant les infrastructures « hydrogène vert » : donc issue assez lointaine mais réussite très probable |
USA (Californie, Tesla) | Batterie lithium-ion-polymere « Tesla » (d’inspiration Panasonic ?) en nid d’abeille de dimensions 21x70mm et de type NCA (nickel-cobalt-aluminium) ou NMC (nickel-manganese-cobalt) avec anode en graphite et refroidissement par glycol liquide | 2025 | Tesla et Cummins sont des atouts inestimables pour les USA, mais la Californie fait cavalier seule tandis que les batteries actuelles semblent peu adaptées aux gros-porteurs : réussite incertaine sans nouvelle technologie de stockage électrique… ou nouveau vecteur énergétique |
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