Mais où sont les Dakar d'antan ?
Alors que l'édition 2024 s'est achevée dans une certaine indifférence, penchons-nous sur une épreuve qui, en son temps, suscitait soit l'enthousiasme soit la polémique, mais qui faisait parler d'elle, chaque mois de janvier.
L’automobile connaît l’une des plus importantes mutations depuis son invention. Elle se transforme comme jamais, mais sans tomber dans une nostalgie complaisante, cette nouvelle rubrique se veut l’occasion de revisiter son passé et d’égayer son présent. Car l’automobile était, et reste toujours, un mythe. Bien au-delà de quelques modèles de légende, dont l'on vous parle souvent ce sont ses grandes et petites histoires que l’on souhaite vous raconter chaque semaine.
Petite devinette qu’il convient de poser à son voisin de palier ou de table : qui a gagné le Dakar qui s’est achevé vendredi soir ? Il n’en a généralement pas la moindre idée et lorsqu’on lui souffle à l’oreille que Carlos Sainz l’a emporté en Arabie saoudite, il a généralement deux types de réactions. Soit il n’a jamais entendu parler de l’Espagnol volant, soit il n’a gardé de lui que le souvenir de ses exploits en WRC, il y a 30 ans.
Le Dakar a 48 ans, mais plus toutes ses dents
C’est que le Dakar, du moins le rallye-raid qui s’ingénie encore à s’appeler ainsi, n’attire plus grand monde. Et surtout pas la télé, puisque France 3 vient de remercier ses organisateurs. La chaîne publique qui diffusait l’épreuve depuis des décennies a jeté les gants, faute de combattants, faute surtout de ménagères de moins de cinquante ans présentes devant leur écran.
Alors le Dakar s’étiole et se réfugie à la maison, sur la chaîne l’Équipe, dont le propriétaire est aussi l’organisateur de la course. Il s’étiole mais il continue vaille que vaille, en apatride changeant de pays, se donnant au plus offrant, en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient. On est loin, très loin de la gloire comme des scandales. C’était il y a longtemps, car aujourd’hui, le Dakar a 48 ans, l’âge que son créateur, Thierry Sabine, mort à 37 ans, n’a jamais atteint.
Car le Dakar, on l’a aimé ou on l’a conspué. On a rêvé d’en être, ne serait-ce qu’une fois, ou on rêvé de le voir disparaître, emporté par ses relents colonialistes, ses villages africains traversés à toute berzingue sans aucune protection pour leurs habitants.
On a pu tout autant détester les peoples qui allaient s’offrir du soleil et des frissons pendant quinze jours d’hiver dans les dunes sahariennes. Johnny Hallyday, Gérard Lenorman, Claude Brasseur, Mark Thatcher, fils de Maggy et d’autres qui ont sauté par-dessus les dunes pendant que Renaud chantait « 500 connards sur la ligne de départ ». Le Dakar c’était ça : les pour et les anti, qui s’engueulaient accoudés au zinc. C’était le mois de janvier, celui de la galette des rois et de la course dans le désert. Aujourd’hui on déguste toujours la première, mais on ignore la seconde.
Mais le Dakar, au-delà des polémiques de comptoir, c’était aussi des exploits et des drames, des morts et des tricheries. Et des pilotes hauts en couleur, comme Pierre Lartigue. Pierrot de Mostaganem, quadruple vainqueur du championnat du monde des rallyes-raids, et trois fois gagnant du Dakar. Un pilote d’avant les ingénieurs et les gamins surdoués, arrivé dans un baquet après avoir été carrossier. Pierre Lartigue, que l’on a retrouvé un soir d’arrivée d’étape, à Agadez au Niger, en 1994.
À peine la porte de sa Citroën ZX rallye-raid rouge ouverte, on aperçoit, scotché sur le tableau de bord au moyen d’un velcro, un cendrier Ricard. Abasourdi, on lui demande ce que signifie ce curieux accessoire. Décontracté, il se contente de répondre. « Je peux tout de même pas rouler pendant 600 km sans fumer, enfin ». Il venait de gagner la spéciale du jour et cette année-là, gagnera le Dakar une fois de plus.
Le Dakar, c’était aussi les entourloupes et les faux drames. La Peugeot 405 d’Ari Vatanen volée lors de la journée de repos à Bamako, en 1988 et retrouvée moins de 24h plus tard. Un vol auquel personne n’a jamais cru, et surtout pas Jean Todt, patron de Peugeot Sport à l’époque.
Mais de véritables drames il y en eut, comme la mort de tant de pilotes, surtout des motards, comme la mort de trop de spectateurs au bord des routes, comme la mort de Thierry Sabine, Daniel Balavoine, Nathalie Odent, François-Xavier Bagnoud et Jean-Paul le Fur. Ils se sont tués dans le crash d’un hélicoptère de la course en janvier 1986. Un accident qui a vu à l’œuvre les premières théories du complot, à peu près aussi crédibles que le vol de la 405 d’Ari Vatanen.
Après la mort de Thierry Sabine, la face du Dakar a changé. Est-ce que la disparition de son fondateur a entamé le déclin de la course ? C’est vraisemblable. Mais l'autre raison qui a transformé le rallye-raid en virée anonyme, c’est le temps. Et surtout l’air du temps, qui n’a plus du tout le goût des grandes vadrouilles automobiles thermiques dans des lieux que l'on tente de préserver. En y ajoutant les problèmes géopolitiques, qui interdisent aujourd’hui toute traversée du Sahara, on dispose de tous les ingrédients qui signent l’arrêt de mort de l’épreuve, même si elle bouge encore.
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