Mariage Peugeot-Fiat : la bonne affaire pour qui ?
Le projet d'alliance entre FCA et PSA ressemble de plus en plus à une prise de contrôle de Fiat-Chrysler par Peugeot. Mais dans un couple, ce n'est pas toujours celui qui parle le plus fort qui a le pouvoir.
Accrochez vous à votre écran, ce n'est pas évident à comprendre : en s'alliant à 50/50 avec Fiat-Chrysler, Peugeot en prend en fait le contrôle.
J'essaie d'expliquer.
D'abord, il y a les capitalisations boursières au soir du 30 octobre : 23,2 milliards d'euros pour PSA et 18,2 milliards pour FCA.
Ensuite, le projet prévoit que PSA cèdera à ses actionnaires les 46% de capital qu'il détient dans l'équipementier Faurecia, valorisé 2,7 milliards d'euros.
Simultanément, FCA distribuera un dividende exceptionnel de 5,5 milliards d'euros à ses actionnaires et cèdera le fabricant d'équipements industriels Comau estimé à 250 millions.
A l'issue de ces manoeuvres "d'apurement", l'écart de capitalisation se creuserait encore : 20,5 milliards d'euros pour le français et 12,5 milliards pour l'italo-américain, soit 62 % contre 38 %.
Or, c'est bien une fusion à parts égales qui vient d'être confirmée, un 62/38 transformé en 50/50. Arnaque ? Non, cela signifie tout simplement - et classiquement selon les experts - que PSA paie une prime de contrôle à FCA.
Les mêmes experts qui soulignent au passage que les actionnaires de FCA peuvent se frotter les mains alors que ceux de PSA sont les dindons de la farce. Sauf bien entendu, ceux qui, à l'annonce des épousailles, se sont empressés de revendre leurs parts, faisant plonger le jour même l'action Peugeot. Alors que l'action de Fiat faisait un bond étrange...
Orgueil national et actionnariat familial...
Ce Waterloo du petit porteur Peugeot peut donc être vu comme un Cocorico industriel.
Pour preuve, parmi les onze membres du futur conseil d'administration du nouvel ensemble, six, dont le boss Carlos Tavares, seront nommés par PSA et cinq par FCA, dont John Elkann, actuel dirigeant d'Exor, la holding de Fiat.
Pourtant, derrière la satisfaction de l'orgueil national se pose la question de la gouvernance du nouvel ensemble.
Certes, Carlos Tavares tiendra le volant, mais sous la directive des actionnaires. Parmi eux, deux familles, les Peugeot qui pèseront 6,1 % des parts et les Agnelli 15%. Deux familles dont les cultures et traditions industrielle et financière diffèrent radicalement. Aussi radicalement qu'ont été différents les managements de PSA et de FCA.
Même si son actionnariat familial s'est fortement dilué, le constructeur français conserve une tradition assez conservatrice de gestion "patrimoniale" à long terme dont témoigne un taux de distribution des bénéfices aux actionnaires de l'ordre de 15-25 %.
Chez FCA où la famille Agnelli règne non pas chez le constructeur, mais dans sa holding de contrôle qu'elle a géré de façon très financière pour ne pas dire "court-termiste", l'actionnaire est tout puissant et perçoit de 50 à 60 % du résultat.
De cette énorme différence, rarement évoquée dans les commentaires, découle la différence de situation des époux.
Des marques italiennes en peau de chagrin
Si la part du chiffre d'affaires consacré à la recherche et au développement est assez faible dans les deux cas - et inférieure à la moyenne des constructeurs qui tourne autour de 5 à 6 % - Peugeot y investit 3,5 % de son chiffre d'affaires contre 2,5 % pour Fiat. Mais le résultat de ces recherches et développements montre un bien plus grand écart...
PSA n'a jamais cessé d'innover grâce notamment à "son" équipementier Faurecia (qui manquera cruellement à la R&D du groupe) et surtout sa gamme a su prendre le train du SUV et continue de couvrir le gros du marché, de la Peugeot 108 à la 508, de la Citroën C1 à la DS7, de l'Opel Adam à l'Insignia.
FCA fait pâle figure en comparaison. Les marques italiennes semblent en panne d'innovation et la gamme Fiat se résume désormais à la Panda (sept ans), à la 500 (douze ans) et ses déclinaisons et à la méconnue Tipo.
Une peau de chagrin qui décrit également Lancia réduite à l'Ypsilon, Alfa Romeo aux ventes déclinantes ou Maserati toujours flamboyant mais lourdement déficitaire.
C'est le côté américain qui fait la beauté du partenaire : il pèse 66 % du chiffre d'affaires et 92 % du bénéfice de FCA. Or, Chrysler a tellement dépéri que la rentabilité doit tout aux gros SUV de Jeep et RAM. Un business florissant mais qui ne résisterait pas à un changement de mode, encore moins à un tournant dans la politique environnementale du gouvernement américain... ni à un nouveau choc pétrolier. En clair, c'est à ce que l'automobile a de plus décrié, et sans doute de moins "futurible", que PSA a attelé sa destinée.
Le syndrome de la plus grosse ?
Bref, je la trouve bizarre cette alliance de l'entreprise française prudente et travailleuse avec ce produit de la haute finance italo-américaine, avide et spéculatrice, qui depuis des années semble danser sur un volcan, jonglant avec les milliards en laissant végéter laboratoires et usines. Je n'y vois aucune évidence, pas même de la logique et en discerne mal les complémentarités.
Pardon, mais la métaphore éculée de la carpe et du lapin me vient immédiatement à l'esprit.
J'ai lu ici qu'il fallait d'abord et surtout éviter que FCA ne tombe dans l'escarcelle d'un constructeur chinois qui deviendrait le cheval de Troie de Pékin sur les marchés automobile occidentaux. Là que l'Etat français avait fait capoter la précédente tentative de mariage avec Renault pour favoriser le rapprochement avec Peugeot, plus en manque que le losange de "taille critique". Car on me dit aussi qu'on ne pourra affronter les défis de la voiture électrique, à hydrogène et autonome à moins de huit millions de voitures par an...
Je veux bien que toutes ces raisons soient bonnes et que cette alliance ait été inéluctable.
Mais je me demande quand même si le syndrome de la plus grosse - voiture, bien sûr - n'a pas encore frappé....
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