Petite histoire barrée de ronds-points carrés
Pour tenter d’accommoder les nécessités de la protection du patrimoine historique avec la circulation routière dans la cité médiévale de Chinon en Indre-et-Loire, les responsables des monuments historiques ont accepté d’édifier des ronds-points. A la condition qu’ils soient carrés et très peu visibles. Résultat : un vent de révolte automobile a soufflé sur la douceur tourangelle. Récit d’une absurdité clochemerlesque et routière.
C’est un conte moderne et totalement véridique qui se déroule au pays de l’Absurdie, dans ce drôle d’Etat dont la capitale pourrait être la jolie bourgade de Chinon. Une commune d’Indre-Et-Loire qui a droit de cité et un sacré pedigree, puisque c’est, entre autres hauts faits historiques, dans cette ville royale que Jeanne d’Arc a rencontré, et reconnu Charles VII, futur roi de France. On ne badine pas avec la Pucelle touchée par la grâce, ni avec les vieilles pierres qui ont édifié la Nation.
Du coup, le centre-ville de Chinon est archi-classé aux monuments historiques et, dans ce cas, même le choix d’un pot de fleurs posé sur un balcon s’avère complexe. Beaucoup moins cependant que l’édification d’un rond-point. Or, comme dans toute ville, qu’elle soit chargée d’histoire ou pas, les giratoires remplacent quasi systématiquement les « stop » et autres « cédez le passage ». Alors, aux deux extrémités du pont Aliénor d’Aquitaine – qui elle aussi a posé séant dans la bonne ville – il fut décidé d’aménager deux ronds-points.
Des ronds-points qui ne doivent pas ressembler à des ronds-points
Et d’en référer, comme l’exigent les textes, à l’architecte des bâtiments de France. « Diantre, un rond-point ? Vous n’y pensez point », aurait pu s’exclamer le gardien de l’histoire et de son respect. C’est que les infrastructures routières s’accommodent mal du haut Moyen-Âge.
Aussi, décision architecturale fut prise : pour que les ronds-points ne ressemblent pas à des ronds-points, ils seront carrés. Pourquoi cette forme curieuse ? Pour être raccords avec les hautes murailles de la citadelle et pour que personne ne les identifie comme des ronds-points. De plus, comme les marquages blancs au sol n’existaient pas au temps de Sainte Jeanne, il n’y en aura pas. Seuls de gros clous dans la chaussée seront autorisés. Architectes, représentants du Conseil Départemental et élus de la Ville tombent d’accord, adoptent cette curieuse décision, se tapent dans la main et entament les travaux. Qui sont achevés au mois d’avril dernier.
Une Jacquerie anti carrés-points
Mais à Chinon au XXIe siècle, on ne roule plus guère en calèche et dès leur inauguration, les carrés-points ont déclenché une Jacquerie moderne : les rassemblements fourchus ne se produisent plus devant les châteaux, mais sur Internet, ou les Chinonais vilipendent élus et architectes, après s’être écharpés pour savoir qui avait la priorité et comment franchir les carrefours en forme de quadrilatères.
Au bar-tabac avec vue sur le giratoire qui n’en est pas un, la patronne est un rien complotiste. « Il y a des accidents, mais on n’en parle pas. » Ce « on » désigne les décideurs qui, après moult engueulades, « c’est à moi de passer, abruti », quelques gros coups de freins « mais avance, crétin » et de nombreux bouchons plus tard, ont eu vent de la révolte et se sont réunis au début de l’été. « Entre gens raisonnables, on s’est mis d’accord », explique aujourd’hui le directeur pacificateur des services techniques de la ville. « Surtout, les Bâtiments de France ont fini par accepter que l’on agrandisse les panneaux et que l’on installe une signalétique blanche au sol ». En forme de rond, rapidement dessiné au milieu du carré. En plus, comme des cerises sur le gâteau de la réconciliation citoyenne, des monticules centraux signaleront que les deux carrefours sont bien des ronds-points qu’il convient de contourner. Des ronds-points, certes, mais qui, à Chinon, seront toujours carrés et qui, pour être bien négociés, attendront que les voitures virent à 45 degrés.
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