Chronique du confiné – Semaine 7 : quand tu deviens l'ami très provisoire du patron de Ferrari
La vie d’un journaliste auto ne se limite pas à tester les nouvelles venues. Elle passe aussi par les allées des salons, les conférences parfois très pointues et des rencontres inattendues qui naissent de grosses confusions.
Plus que quelques jours avant le retour. Un retour au temps d’avant ? Presque. On continuera de télétravailler lorsqu’on le pourra. Les écoles quant à elles n’étant ouvertes qu’en pointillé, de l’ado on ne se débarrassera pas. Enfin, au bar, au café et en terrasse on n’ira pas. Tout restera comme maintenant et même le chat se demandera ce que toute la journée on fait là.
Mais alors qu’est ce qui changera ? Une seule chose finalement : on n’aura plus besoin de remplir consciencieusement une attestation pour aller chercher le pain. On pourra l’acheter à 100 km si ça nous chante puisque ça nous change de la baguette jamais assez cuite et jamais assez salée de la boulangerie d’à côté. C’est peu, finalement. C’est loin, surtout, du temps ou le confiné courait l’Europe des salons de l’auto, des présentations statiques et des conférences techniques.
Car le journaliste essayeur ne l’est pas toujours. Il est parfois simple observateur, convié à découvrir un nouveau modèle lors d’une présentation statique comme son nom l’indique, avant de le conduire, parfois, quelques mois plus tard. L’auto convoitée, et pour laquelle il a probablement fait plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres permet de découvrir une auto dont il connaît parfois les grandes lignes, mais dont il vient découvrir les détails.
Alors, après le show, les fumigènes, les premières notes de Carmina Burana et le rideau qui s’ouvre sur le nouvel engin, il attend, lorsqu’il n’est pas obligé de marcher sur les pieds des confrères pour tenter de tourner une vidéo pour les internautes de Caradisiac. Il guette l’expert motoriste, l’ingénieur spécialiste du « toucher de route », ou le designer patenté venu lui expliquer les tenants et aboutissants d’un surlignement de passage de roue. Mais parfois, comme cette fois, au beau milieu de la Ruhr allemande, les hommes de l’art ne sont disponibles que le lendemain matin.
«Hydraulikspeicher », « hochdruck » et autres amusements
À 8 heures pétantes, dans le grand auditorium du siège de cette marque forcément germanique. Pour qu’aucun journaliste ne loupe le coche, le réveil sonne automatiquement et dans toutes les chambres de l’hôtel, lui aussi situé dans l’enceinte de la marque, à 6h30. On se dépêche, pour ne pas rater le doktor qui va nous délivrer la bonne parole. En l’occurrence, c’est un très pointu docteur en mécanique qui va nous raconter tout ce que nous devons savoir sur la « direkteinspritzung ». Pardon ? Il s’agit bien de l’injection directe, la nouveauté révolutionnaire du moment. Sauf que ce matin d’hiver là, la traduction simultanée était aux abonnés absents. On ne saura jamais si le syndicat des interprètes s’est subitement mis en grève ou si les directeurs de la glorieuse maison ont estimé que la langue de Goethe est d’un usage courant dans la belle profession des journalistes automobiles.
Toujours est-il qu’au bout d’une heure trente d’un discours ultra-technique, ponctué de bons mots à base de « hochdruck » « magnetventil » (électrovanne) et de « hydraulikspeicher » (accumulateur hydraulique), le tribun a demandé si les nombreux spectateurs avaient des questions. Très curieusement, personne dans le parterre composé de journalistes français et anglais n’a levé le doigt. Tous semblaient se réveiller subitement d’un petit rab de sommeil accordé par la conférence incompréhensible. Mais en sortant, les mêmes prenaient le soin d’afficher la mine satisfaite de ceux qui n’ignoraient plus rien de ce système qu’ils allaient découvrir dans une brochure de 450 pages, évidemment écrite dans le plus bel allemand.
Mais le quotidien des journalistes auto privés d’essais ne se compose pas seulement de présentations statiques et d’envolées lyriques sur les systèmes d’injections. L’année automobile est également rythmée par les journées de salon, dont celui de Genève, annulé cette année pour cause de virus. En Suisse en fin d’hiver se croisent toutes les stars de l’automobile. Et à l’occasion de ce festival de Cannes de la chose roulante, le journaliste confiné s’est même retrouvé l’ami des stars, du moins de l’une d’entre elles, du moins pendant une toute petite fraction de cette seconde.
Cette année-là, en passant devant le stand Ferrari avec une poignée de collègues, il n’a pas prêté attention immédiatement à ce type qui a surgi comme un beau diable entre deux voitures rouges. Sauf qu’il s’agissait de Luca di Montezemolo qui a dirigé tout ce qui est dirigeable en Italie, de la Juventus de Turin à la compagnie Alitalia, en passant par le Medef transalpin, la Fiat et, à ce moment-là, Ferrari. Apercevant le journaliste badaud qui croisait non loin de lui, l’archétype de la grande noblesse italienne s’est précipité, tout en bras écartés et accueil transalpin exagéré. Il a attrapé le confiné d’aujourd’hui saisi de stupéfaction à ce moment-là par les épaules. « Hello, how are you my friend ? », a-t-il lancé avec un accent châtié de bonne famille piémontaise. Évidemment, au moment de prononcer ces mots, et de regarder son interlocuteur d’un peu plus près, il s’est aperçu de son erreur et s’en est retourné vers sa garde rapprochée qui lui filait le train, sans même un regard ni un mot supplémentaire.
Le journaliste se demande encore aujourd’hui si le patron italien l’a confondu avec Brad Pitt ou Lewis Hamilton, mais dans un cas comme dans l’autre, le fait d’être l’un des businessmen le plus influent d‘Italie n’exclut pas d’être sujet à une certaine myopie.
La chaleur de l'ordinateur du télétravailleur
Et c’est avec une certaine myopie que le confiné attend les yeux grands ouverts le déconfinement prochain. Il ne sera peut-être pas seulement peuplé de capitaines d’industrie en manque de discernement et de herr doktors allemands, car il serait bon qu’il puisse, au moins, un jour ou l’autre, remplacer la chaleur du ventilateur de l’ordinateur du télétravailleur, par celle de vraies gens, de collègues ou d‘interlocuteurs inconnus ou non. Et tant pis si ces derniers ne sont pas vraiment ses amis, ou s'ils l’endorment à coups d’incompréhensibles tirades germaniques.
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