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Supprimer le permis à points, sérieusement?

Dans Pratique / Sécurité

Pierre-Olivier Marie

Le permis à points a fait une entrée fracassante dans le débat pré-présidentielle avec les propos tenus par Eric Zemmour ce dimanche. Mais les propositions "auto" du quasi-candidat peuvent-elles être prises au sérieux?

Supprimer le permis à points, sérieusement?

Invité ce dimanche au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, le quasi-candidat à la présidentielle Eric Zemmour a réalisé un parfait hold-up médiatique en remettant sur la table la question du permis à points, qu’il propose de « supprimer » car, dit-il, « ça ne sert à rien ».

Est-il possible d’aller plus loin dans la démagogie ? Difficilement, surtout quand, après avoir comparé le système de retrait de points à un « racket organisé par l’Etat » le même laisse entendre qu’on pourrait revoir aussi les limitations de vitesse sur l’autoroute, qui sont les voies « les plus sûres. »

En prononçant ces mots, Eric Zemmour fait preuve d’une grande habileté. Le problème est qu’en partant de certaines réalités, ou plutôt d’éléments conformes à l’idée que certains automobilistes s’en font, il aboutit à des conclusions pour le moins hasardeuses. Attachons-nous ici à trier le bon grain de l’ivraie.

Quand Eric Zemmour parle de « racket organisé par l’Etat » au sujet des points de permis, ces mots sonnent très doux aux oreilles des millions de Français sanctionnés pour des infractions légères. Quelques 11,6 millions de point ont ainsi été retirés en 2020, soit 31 780 par jour.

Mieux (ou pire) : sur les 12,1 millions d’infractions à la vitesse relevées par les radars automatiques en 2019, 9,3 millions concernaient des excès inférieurs à 20 km/h, soit 76,5% (oui, on parle bien de ce 81 km/h retenus au lieu des 80 km/h autorisés…).

Or, à raison de 35 € minimum perçus par les pouvoirs publics pour chaque infraction entraînant un retrait de point, les sommes en jeu sont énormes. Enorme aussi, la manne que représentent les stages de récupération de points, dont on s'accorde ici à reconnaître le caractère "infantilisant" dénoncé par Eric Zemmour.

Pour autant, dans un document accompagnant le rapport officiel annexé au Projet de loi de finances de l'année 2021, il est précisé qu’« en 2019, comme tous les ans, l’effort financier de l’État en faveur de la sécurité routière (3,7 milliards d’euros par an) est plus de quatre fois supérieur aux recettes des radars automatiques (760 M€ en 2019). »

En d’autres termes, et même si 13,2% du fruit des amendes sert effectivement au désendettement de l’Etat, les pouvoirs publics dépenseraient nettement plus qu’ils n’engrangent à travers le système des amendes.

Dans le même temps, il est une autre vérité qu’il est bon de rappeler : on se tue beaucoup moins sur les routes de France depuis l’instauration du permis à points. Celui-ci a été mis en place le 1er  juillet 1992, année où l’on a dû déplorer plus de 9 000 morts (et encore le chiffre ne concernait-il à l’époque que les tués à 6 jours, quand on compte désormais à 30 jours), alors que l’on a dénombré 3 200 tués « seulement »  sur les routes en 2019 (année pré-pandémie, avec un trafic normal) . De même, on est passé de 198 000 blessés à 70 000 en 2019, soit une baisse de 65%. Cela s’appelle le progrès.

Certes, le système répressif, avec notamment le déploiement du système de radars automatiques depuis 2003, n’est pas le seul facteur expliquant cette baisse. Il est bon de rappeler que le contrôle technique, lui aussi mis en place en 1992, a permis de mettre nombre de modèles dangereux au rebut.

Et si, comme Zemmour le rappelle à juste titre, il convient de rendre grâce aux constructeurs de proposer des modèles toujours plus sûrs, ces progrès technologiques n’expliquent qu’en partie les améliorations constatées.

La généralisation de l’ABS, de l’airbag et de tous les systèmes de type ESP (antidérapage) contribuent nettement à l’amélioration de la sécurité routière, mais ne sont valables que pour des véhicules dont on contrôle les vitesses, ce qui serait forcément moins le cas avec la suppression du permis à points. En cas d'infraction, la perspective d'une amende seule est moins dissuasive que celle d'une fragilisation durable de son permis.

De fait, on imagine sans peine le relâchement généralisé (voire l’anarchie) régnant sur les routes de France dans les semaines qui suivraient l’abolition du permis à points. Pour un (presque) candidat promettant de ramener l’ordre dans le pays, voilà qui ferait un peu désordre, justement !

En d’autres termes, les mesures prônées par Eric Zemmour ne tiennent pas une seconde, sauf peut-être à vouloir faire augmenter le nombre de victimes de la circulation. C’est du flan, une façon très habile de s’attirer les projecteurs sans tenir compte une seconde du principe de réalité.

On en a eu aussi l’illustration quand Eric Zemmour fait mine de s’interroger sur le bien-fondé des limitations de vitesse sur autoroute. Il a certes raison de rappeler que ces voies sont les plus sûres (127 morts en 2020 sur un total de 2 541, soit 5%), mais cela ne signifie pas qu’il faille revoir les limitations à la hausse pour autant.

Sur autoroute, ainsi qu’une enquête Caradisiac/TomTom l’avait démontré, les Français roulent d’ailleurs en moyenne à 120,6 km/h. Dans ces conditions, il n’est pas certain qu’une majorité d'entre nous apprécie de devoir cohabiter avec des voitures lancées à très vive allure. Les temps ont changé, tout simplement.

Au passage, puisqu’Eric Zemmour cite l’exemple de la Suisse ou de la Suède comme pays sans permis à points (mais avec une législation archi-sévère), on lui rappellera qu’en Allemagne, 77% des automobilistes roulent à moins de 130 km/h sur les portions illimitées.

Enfin, avec la généralisation à venir des voitures électriques, la question de la vitesse sur autoroute ne se posera quasiment plus, dans la mesure où le fait de rouler vite est tellement énergivore que les secondes gagnées en roulant à vive allure se paieront en minutes perdues aux bornes des recharge.

Avec toutes ces propositions, Eric Zemmour fait du drift. Cela démontre un talent réel, c'est séduisant, ça fait le spectacle, mais ça va à l'encontre de la notion d'efficacité et ça ne sert absolument à rien.

 

 

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