Prise en mains - Dodge Challenger R/T Scat Pack : la dernière des muscle cars
En France, la Dodge Challenger existe au rayon Lego de votre hypermarché, ou chez certains revendeurs à un prix douteusement fort. La Ford Mustang et la Chevrolet Camaro, quant à elles, sont disponibles depuis peu en concession. Toutefois, la rivalité qui oppose ces trois modèles n’est pas aussi directe qu’il y paraît.
Véritable anarchiste automobile, la Challenger sort du lot avec un style résolument rétro qui s’inspire pleinement de la première du nom, commercialisée en 1969, avec des dimensions extérieures dignes d’un gros 4x4 allemand, et un moteur dont la consommation semble rendre hommage à un char Panhard. Elle n’est plus toute jeune, elle fête ses 12 ans cette année, mais pourtant elle se vend relativement bien.
Il n’y a qu’une façon de connaître la recette de sa potion magique : la prendre en main. Direction l’Ouest des États-Unis et l’aéroport de Las Vegas, où nous attend un modèle R/T Scat Pack Widebody.
Muscle contre poney
Dodge propose un coupé qui est plus fidèle à l’esprit des muscle-cars des années 1960, tandis que Ford et Chevrolet ont fait évoluer leurs pony cars – historiquement plus petites et moins puissantes – dans une direction plus pointue, en vue de conquérir de nouveaux clients aux quatre coins du monde. Ces marques ne peuvent plus se contenter de satisfaire uniquement les Américains, car une Mustang moderne doit être presque aussi à l’aise sur un col des Pyrénées, sur la fameuse Route 66 américaine, ou au centre-ville de Tokyo. Le gabarit de chacune illustre bien cette différence. La Challenger mesure 5,02 m de long et 1,99 m de large en version Widebody (à peu près les dimensions d’une Audi Q7), contre 4,78 m et 1,91 m pour la Mustang, ou 4,78 m et 1,90 m pour la Camaro. Cet écart explique pourquoi notre Dodge pèse 315 kg de plus que les versions V8 de ses concurrentes. C’est comme couper une Citroën 2 CV en deux et l’attacher sur le toit d’une Mustang, ou garer une BMW Isetta sur son long capot.
La Mustang et la Camaro se permettent donc d’être dotées d’un quatre cylindres turbo en entrée de gamme, une motorisation que Dodge évite fièrement. Le moteur le plus petit disponible sur la Challenger est le V6 de 3,6 litres, bien connu car on le retrouve dans le catalogue Chrysler et Jeep. Rappelons que Dodge a sorti la Challenger en 2008, et elle commence à ressembler à un ankylosaure qui se retrouverait dans une course hippique. Son succès ne décroît pas pour autant : 60 997 exemplaires ont trouvé preneur aux États-Unis en 2019, contre 48 265 unités pour la Camaro et 72 489 pour la Mustang. Bien d’autres voitures mieux adaptées à notre époque enregistrent des ventes plus basses, comme la Nissan Leaf électrique (12 365 exemplaires). Cette capacité surnaturelle à défier les normes est un gène dominant chez Fiat-Chrysler Automobiles (FCA) ; comme exemple sur le vieux continent, nous pouvons citer la Fiat 500, lancée en 2007 et toujours appréciée par sa clientèle en 2020.
C’est la guinguette sous le capot
Un bon moteur a toujours du caractère, c’est ce qui fait de lui plus qu’un simple amas de ferraille huilée. Le V8 de la Challenger est braillard et révolté. Son grondement au ralenti fait vibrer la voiture entière, et la moindre accélération attire les regards, même au cœur d’un des derniers bastions du V8. Dans un parking sous-terrain, ce n’est pas uniquement une symphonie ; c’est toute une pièce de théâtre qui se fait expulser des chambres de combustion hémisphériques par les deux sorties d’échappement.
Chaque démarrage est un bras d’honneur au downsizing. Le bouton rond à droite du volant réveille un V8 qui développe 485 ch et 644 Nm de couple grâce à une cylindrée de 6,4 litres, soit presque six fois et demie celle d’une Renault Clio SCe. Il n’y a pas de turbo, ni de compresseur. Des moteurs électriques ? Oui, trois : deux pour descendre et monter les vitres avant, et un qui actionne les essuie-glaces. Le V8 entraîne les roues arrière via une boîte manuelle à six vitesses, mais une boîte automatique à huit vitesses est disponible sur la liste d’options. Nous la préférons avec trois pédales, naturellement.
C’est un coupé sérieusement rapide, il est impossible de mettre le pied au plancher sans rôtir les pneus arrière. En première, bien sûr, mais aussi en deuxième … et parfois en troisième. Mieux vaut éviter de dépasser les 70% de sa capacité en ville, histoire de ne pas finir sur Instagram affublé de hashtags déshonorants. Nous quittons donc Las Vegas un matin froid de janvier pour rejoindre les paysages grandioses du Red Rock Canyon, dignes de la planète Mars et cachés en pleine vue à une demi-heure du centre-ville.
Ne mâchons pas nos mots : la Challenger est grosse. Elle pèse environ 2 000 kg, donc il serait raisonnable de supposer qu’elle approche les virages avec toute la précision et l’agilité d’un Lyonnais le soir du beaujolais nouveau, mais la configuration Widebody aide à sa tenue de route en lui ajoutant près de 9 cm en largeur, ce qui permet à la Dodge de chausser des pneus Pirelli énormes. Espérer taquiner une Caterham Seven sur un slalom serait faire preuve d’un optimisme démesuré, mais la Challenger s’adapte bien aux routes ondulées qui traversent Red Rock. Malgré sa direction floue et son châssis pas très content de changer soudainement de direction, elle est plus facile à maîtriser que ses dimensions le suggèrent.
Le système de freinage bénéficie d’étriers Brembo (avec six pistons à l’avant) qui ralentissent les deux tonnes sans hystérie, puis le couple du V8 les sort du virage. Embrayage, vitesse suivante, embrayage, accélération, et c’est reparti. La pédale de gauche est lourde mais le levier n’est ni trop court ni trop caoutchouteux, donc c’est un plaisir de naviguer sur la grille de vitesses.
Nous devons rejoindre Las Vegas quand le soleil commence à se cacher derrière les montagnes. Sur l’autoroute, qui est limitée à 120 km/h aux alentours de la capitale du jeu, le V8 fredonne tranquillement, sans suer. La suspension est ferme mais pas non plus figée, faire de la route n’est donc pas une torture. Un voyage plus long vers le Hoover Dam, un barrage gigantesque sur le fleuve Colorado commandé par le président Franklin Roosevelt pour relancer l’économie après la Grande Dépression, confirme son aisance sur les autoroutes stéréotypiquement larges et vides de l’Ouest du pays.
Son appétit pour le sans-plomb la fait rougir comme une amanite. L’Environmental Protection Agency (EPA) en charge d’évaluer la consommation de toutes les voitures neuves vendues aux États-Unis lui accorde environ 17 litres aux 100 kilomètres en ville, 10 litres sur autoroute et 14 litres en moyenne. Ce bruit ? C’est Nicolas Hulot qui vient de s’évanouir. Notez que ces chiffres – qui rivalisent sans peine avec ceux d’une Citroën SM à carburateurs – grimpent naturellement quand on a tendance à conduire comme un sauvage. Même dotées d’un V8, la Mustang et la Camaro sont nettement plus économiques.
Dissipons rapidement un mythe. Certains vont dire, « c’est une Mercedes ! » Pas tout à fait. Dodge a conçu la plateforme LX sur laquelle repose la Challenger sous le tempétueux giron DaimlerChrysler, et la suspension arrière (avec cinq points de liaison) est extrêmement similaire à celle de la Classe E (W211, sortie en 2002). Certaines pièces du puzzle de la suspension avant viennent de la Classe S (W220, sortie en 1998), et la boîte automatique cinq vitesses qui équipait la Challenger lors de son lancement était allemande. Mais, l’idée que la Challenger serait tout simplement une Classe E avec une caisse américaine est fausse. Il y a plus en commun entre la Jeep Grand Cherokee actuelle et la Mercedes Classe M (W166).
La modernité à l’ancienne
La différence de taille entre la Challenger et ses concurrentes se ressent bien à l’intérieur. Deux adultes voyagent confortablement à l’avant sur des sièges larges, deux autres peuvent raisonnablement prendre place à l’arrière s’ils ne sont pas claustrophobes (fait impossible à accomplir en Mustang), et il reste une caverne de 458 litres pour les bagages dans la malle. La qualité de l’assemblage et des matériaux est acceptable. Ce n’est ni affreux, ni excellent, ce qui correspond à ce qu’on attend d’une Dodge ces temps-ci, et à ce qu’on trouve dans une Mustang ou une Camaro. En revanche, compte tenu des 52 065 $ (environ 47 000 €) demandés, certains détails ne peuvent que sembler étranges, comme les vitres avant qui descendent seules en appuyant une fois sur le bouton mais qui ne remontent pas de la même manière.
En regardant nos photos, les lecteurs les plus perspicaces identifieront des restes de l’infortunée alliance Daimler Chrysler. Notez le frein de stationnement au pied, comme sur la plupart des Mercedes avant que la marque ne passe à l’électronique, ainsi que le gros commodo qui contrôle les clignotants et les essuie-glaces. Vous pouvez trouver d’autres pièces allemandes en démontant le tableau de bord.
Ne cherchez pas de la technologie dernier cri ; vous serez déçus. Il n’y a pas d’affichage tête-haute ou d’instrumentation 100 % numérique. Seul le système info-divertissement Uconnect, présenté sur un écran de 8,4 pouces, rappelle que nous sommes en 2020. Il est simple à utiliser, et nous apprécions les divers menus qui affichent des données comme la puissance du moteur en temps réel. La caméra de recul est très utile, car les angles morts semblent aussi larges que la Durance lorsqu’on fait un créneau.
Chez Dodge, ce sont les petits détails sympas qui comptent. Une silhouette de la voiture (avec les prises d’air sur le capot) sert de témoin de porte ouverte, par exemple. Il y a même deux porte-gobelets dissimulés sous le capot, pour pouvoir se désaltérer en contemplant le V8 après l’avoir refait entièrement, dans 40 ans.
En bonne santé mais en voie de disparition
Dans la gamme Challenger, le R/T Scat Pack est un compromis idéal entre les versions de base et les modèles plus poussés. Ceux qui ne souhaitent pas en arriver un jour à tutoyer leur pompiste choisiront une des variantes V6. Ceux qui cherchent un dragster familial prendront le Hellcat et ses 717 ch. Avec (excusez-nous le terme) seulement 485 ch, cette version est assez puissante pour bien s’amuser dans le désert, mais suffisamment raisonnable pour conduire quotidiennement – à l’échelle des États-Unis, bien sûr. Rappelez-vous que, chez l’oncle Sam, le prix du sans-plomb tourne actuellement autour de 50 centimes le litre. Autrement dit, nous avons dépensé quasiment autant en essence que si nous avions essayé une Suzuki Ignis en France.
Sur un plan plus large, c’est une voiture ancrée dans le passé et qui ne se sent pas concernée par les changements qui tordent l’industrie automobile en 2020. Quel avenir a-t-elle ? C’est difficile à dire. Les dirigeants de Dodge ont inévitablement fait allusion à un système hybride pour la prochaine génération, attendu en 2023, et nous savons que son style ne devrait pas trop évoluer. Certaines rumeurs parlent d’emprunter la plateforme Giorgio de l’Alfa Romeo Giulia ; qui sait ? En attendant, elle est là, elle se vend plutôt bien, et nous sommes heureux qu’elle existe. Sans elle, la muscle car serait morte. L’ironie dans tout cela, c’est que le premier modèle était bel et bien une pony car – comme la Mustang.
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