110 km/h, le débat avorté
Et c’est reparti ! La proposition d’abaisser à 110 km/h la limitation de vitesse sur autoroute réveille la passion française de la vitesse et la haine des limitations. Et si on se calmait ?
On se calme d’autant plus que cette mesure ne sera pas adoptée. En tout cas, pas sous ce quinquennat et vraisemblablement pas sous le suivant.
J’ignore pourquoi, mais en France, contrairement à bien d’autres pays, on ne peut pas toucher aux limitations de vitesse sans créer l’émeute ni faire flamber les radars.
Comme en 2018 pour le 80 km/h, un bon trois quarts des Français se déclare hostile à la mesure. Et même une bonne majorité parmi ceux qui votent écolo ! A la place de Yannick Jadot, je lâcherais l’affaire pour trouver un job bien payé chez Total.
Donc le 110 ne passerait pas la barre d’un référendum et on imagine mal ce gouvernement encore traumatisé par les gilets jaunes aller les chatouiller avec un décret et des panneaux. Même les cent-cinquante membres de la CCC (convention citoyenne pour le climat) n’ont adopté cette proposition qu’à 60 %, contre 90 % pour les autres.
Dernière pelletée de terre sur le cercueil du 110 km/h, cette mesure ne créerait aucun emploi, ne stimulerait pas l’économie – elle la ralentirait même un chouïa - et coûterait à l’Etat entre un quart et un demi-milliard par an de manque à gagner sur les taxes carburant.
A l’exact inverse, une mesure comme la rénovation énergétique des bâtiments donnerait du travail à des dizaines de milliers de personnes, générerait des milliards de TVA et relancerait le BTP comme l’industrie.
En outre, la proposition n’a suscité aucune levée de boucliers ni de pétition.
Le 130 km/h est-il bien défendu ?
Permettez que je m’étonne : une véritable rénovation thermique, qu’il s’agisse d’un immeuble d’habitation ou d’une maison ancienne, coûte le prix d’une voiture neuve par foyer si l’on ne se contente pas de souffler un peu de laine de roche sous les combles. Et il faut de 10 à 20 ans pour amortir cette dépense sur ses factures d’énergie. Sans parler de l’horreur esthétique qu’est le coffrage d’un pavillon en meulière, en pierre ou en brique.
Pourtant, cette proposition d’obligation semble ne faire tousser personne.
Alors que perdre 6 minutes aux 100 km (et économiser 1,50 à 2 euros aux 100 km), c’est « aux armes citoyens, formez vos bataillons ».
Etonnant, non ?
En dehors de tout avis personnel sur la question, quand j’entends les arguments des opposants au 110, je me dis que le 130 km/h est bien mal défendu.
Examinons raisonnablement la chose.
110 km/h en France, vitesse libre en Allemagne, cherchez l’erreur…
D’abord, j’entends partout que ça ne servirait à rien.
Certes à pas grand-chose : 20 % de consommation en moins sur 20 % des kilomètres parcourus, c’est une réduction de 4 % du C02 rejeté par nos voitures. Or, celles-ci représentent 53 % du C02 émis par le secteur du transport qui pèse – vous suivez ? - 30 % des émissions totales de la France. Si ma calculette est juste, cela donne une réduction de 0,6 % des émissions totales de C02 rejeté par notre pays.
Vous me direz que c’est une goutte d’eau dans un incendie si l’on compare au transport aérien. Eh bien, pas du tout : l’avion en France, Dom Tom compris et hors vols internationaux, représente 0,8 % du C02 émis en France.
Autrement dit, rouler à 110 équivaudrait à supprimer les trois quarts de nos vols intérieurs.
Mais d’un autre côté, en considérant que la France grâce à son nucléaire ne pèse qu’un petit 1 % des émissions mondiales, soit deux fois et demie moins que l'Allemagne et ses centrales au charbon, ce 0,6 % est une gouttelette, un embrun à l’échelle mondiale.
Et à celle de l’Europe, il serait proprement délirant de devoir lever le pied chez nous pour économiser un ou deux litres au cent quand nos voisins d’outre-Rhin resteraient libres d’en consommer cinq de trop avec la vitesse libre sur leurs autoroutes.
Un carnage sur les départementales ?
Vient ensuite le temps perdu. En conditions réelles de circulation, on parle de 4 à 8 minutes de plus aux 100 km. Pas négligeable sur un Paris-Lyon mais pas non plus de quoi ruiner l’économie, ni asphyxier les entreprises.
Et surtout, je ne crois pas au risque d’un grand report vers les nationales et départementales et au carnage qui en découlerait. Certes, le rapport temps gagné/coût de l’autoroute diminuerait un peu, mais on resterait loin des 60 km/h de moyenne que l’on tient péniblement quand il faut rouler à 70, 80, 90 km/h, poireauter derrière des tracteurs et traverser des patelins dont le centre est de plus en plus souvent limité à 30 km/h. Quand je zappe l’autoroute pour assouvir mes envies de paysages, je sais que je double quasiment mon temps de trajet.
Bref, le report, je n’y crois pas. Et on l’éviterait à coup sûr en imposant aux sociétés concessionnaires une baisse des péages proportionnelle à celle de la vitesse au motif… de la moindre usure du bitume et de la souveraineté du peuple français.
S’endort-on à 110 km/h ?
Autre argument invoqué contre le 110, l’aggravation du risque d’assoupissement qui est devenu rien moins que la première cause d’accident mortel sur autoroute.
Il semble universellement admis qu’on s’endort plus facilement à 110 qu’à 130 et que l’on est plus concentré en roulant vite. Si c’était vrai, ce serait l’hécatombe sur les 4 voies bretonnes et les autoroutes de la plupart des pays européens où l’on circule plus ou moins à cette allure. Et les portions « libres » des autoroutes allemandes ne seraient pas trois fois plus dangereuses que celles où la vitesse est limitée.
En fait, toutes les études démontrent que la vitesse fatigue à cause de l’accroissement du bruit et des vibrations, du défilement de la route et de la gestion du différentiel de vitesse avec les poids lourds. Tout cela augmentant la fatigue nerveuse, celle qui fait dormir yeux grands ouverts.
La super concentration dont se vantent ceux qui mettent l’aiguille du compteur dans la boîte à gants, on la garde une heure au grand maximum avant d’être saisi par l’hypnose de la grande vitesse puis parfaitement abruti.
La vitesse est une sensation, donc par définition relative. Tout Breton laissant Rennes derrière lui à l’ouest éprouve une étrange sensation quand il accroche 130 au compteur après des semaines à 110. J’en connais même à qui cela file les chocottes.
Reste que l’argument d’une meilleure sécurité à 110 km/h ne pèse pas bien lourd : 150 ou 160 morts sur le réseau concédé, soit à peine 4 % du bilan de la sécurité routière.
Le 110 à cause des SUV ?
Après les trésors de diplomatie et d’objectivité déployés sur ces six paragraphes, permettez que je donne mon avis et avec lui, l’opportunité de vous déchaîner dans les commentaires, comme la fois dernière où vous fûtes particulièrement euh… démonstratifs.
Le 110 km/h sur autoroute ne m’enthousiasme pas, mais s’il fallait voter, je mettrais un bulletin « oui ».
D’abord parce qu’aucune mesure ne permettrait à si peu de frais – aucun frais en fait, et même des économies à la pompe – d’obtenir du jour au lendemain une telle réduction de C02. Alors que l’on parle de réduire le nombre de vols intérieurs, le 110 km/h équivaudrait, je le rappelle, à en supprimer immédiatement les trois quarts.
Pour être aussi efficace, il va falloir en coffrer des immeubles et des pavillons et puis ne plus manger de melons au nord de la Loire ni d’huîtres à 50 km de la mer.
Ensuite, parce que cet abaissement n’est pas absurde quand 40 % des voitures neuves vendues dans ce pays – les SUV - ont un sCx de fauteuil club qui leur vaut une surconsommation plus proche du litre et demi que du litre entre 110 et 130. Quand on a la prétention de rouler vite – hormis l’allemand, quasiment aucun européen ne tape le 130 –, on a la décence d’un minimum d’aérodynamique.
Et enfin, pour mettre fin au point de vue selon lequel 110 ou 130 chevaux – ce que crachaient les premières 205 GTI – est un minimum syndical pour se déplacer décemment dans une Renault Clio ou une Peugeot 208. Quand on me demande mon avis sur un achat de voiture, j’entends souvent que « quand même, 90 chevaux seulement, ça va mouliner sur autoroute et puis il va falloir rétrograder dans les montées ».
Ralentir, non, jamais ! Des ralentisseurs, oui, encore !
Pour conclure et aggraver encore mon cas, j’ajouterai que j’ai du mal à prendre au sérieux le refus de ralentir et la soif de liberté d’un peuple qui accepte sans protester ni tout casser de se faire défoncer les vertèbres et les amortisseurs à coup d’immondes ralentisseurs éparpillés jusque dans la moindre zone résidentielle, la moindre rue du moindre village, la plupart hors normes, et presque tous éclos à la demande du populo.
Au fait, remplacer ces ralentisseurs par des chicanes, ce serait une autre bonne façon de diminuer la consommation et la pollution.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération