Lors du 2e jour du procès de l'Erika, hier, Total a dû faire face à la révélation d'une note publiée dans le bulletin interne de la compagnie "Shipping Monitor" où le groupe pétrolier s'inquiétait dès 1998 de sa responsabilité d'affréteur en cas de catastrophe maritime. Une responsabilité qu'il nie pourtant aujourd'hui (voir ma news du 13 janvier) L'un des prévenus, Bertrand Thouillin, écrivait un an avant le naufrage de "l'Erika" alors qu'il était directeur des affaires juridiques du service trading/shipping de Total : "Même en l'absence de texte, la responsabilité d'un affréteur peut toujours être recherchée sur le terrain délictuel ou quasi-délictuel pour faute ou négligence dans le choix du navire". Thouillin mettait en garde : "Il y a une tendance générale des juges à mettre en cause la responsabilité des donneurs d'ordre en matière de transport. Dans un milieu où il y a beaucoup d'intervenants insolvables, le risque est grand de voir les juges se livrer, en l'absence de texte, à des contorsions juridiques pour mettre en cause celui qui dispose de la puissance économique et qui peut faire face aux réclamations, c'est-à-dire le propriétaire de la cargaison. L'histoire des catastrophes pétrolières a largement démontré que l'impact médiatique d'un accident peut porter un préjudice fatal à l'entreprise : la règle médiatique est souvent plus impitoyable que la règle de droit."
Cette note visait aussi à renforcer la sécurité puisqu'elle prônait le renforcement du "vetting", l'inspection des navires effectuée par les compagnies pétrolières elles-mêmes. Ce genre d'inspection s'est développé dans les années 1990 après que la compagnie avait revendue en 1991 ses propres bateaux pour ne plus être qu'affréteur. Cette note a été saisie chez Total et lue en audience par le président Jean-Baptiste Parlos. "Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'était prémonitoire", a déclaré à la barre Thouillin : les parties civiles et collectivités bretonnes comptent sur les profits record de Total pour obtenir des indemnisations substantielles. "Vous avez bien conscience que tout ce que vous avez écrit a un poids", lui lance le président. "C'était une note purement interne, une note d'information, un article pédagogique", se défend-il, soulignant que le "vetting" ne remplace pas les inspections détaillées des sociétés de classification.
Le président a déclaré : "Le navire était né en 1975, sous les mauvais auspices d'un chantier japonais qui l'avait construit, au niveau des normes de sécurité, sans marge de sécurité par rapport aux standards de l'époque. Durant ses quinze premières années, il a changé cinq fois de propriétaires, et arboré les pavillons de complaisance de Panama puis du Liberia, sans compter deux échouages, des dégâts sur une citerne, la déformation d'une cloison et des avaries par gros temps." Le procureur Laurent Michel souligne que l'accusation n'aura plus besoin de "contorsions juridiques", comme le dit la note, pour prouver la responsabilité de Total !
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