Chaque fois que je passe sous un de ces gris portiques, un étrange sentiment m'envahit, mélange d'amusement, de perplexité et de crainte. Derrière l'abandon de l'écotaxe se niche quelque chose de bien plus inquiétant que la prochaine augmentation du gazole.
Car il faut bien compenser le manque à gagner de la capitulation sur l'écotaxe. Celle-ci devait couvrir 15 000 km de nationales et départementales et sera, si les petits cochons ne la mangent pas, remplacée par un "péage de transit poids lourd" qui n'en concernera plus que 4 000 km. Le gouvernement va donc augmenter, devinez quoi, le gazole…
Pas encore confirmée, mais quasi certaine, cette hausse de 2 centimes par litre s'ajoutera à l'autre augmentation de 2 centimes, déjà programmée pour début 2015 au titre de la taxe carbone. Elle rapportera 800 millions d'euros à l'Etat et coûtera 20 à 30 euros par an au propriétaire moyen d'une voiture diesel. La facture d'un beau gâchis.
Sur les 171 portiques bardés de caméras, antennes et capteurs qui ont été installés, 84, soit près de la moitié, ne sont plus d'aucune utilité. A quoi vont-ils bien pouvoir servir ? Chacun de ces portiques a coûté 600 000 à un million d'euros à installer et équiper. Au doigt levé, ça fait dans les 70 millions gaspillés pour décorer le paysage. Et je ne compte pas les 850 millions d'euros que l'Etat est supposé verser à l'opérateur Ecomouv en dédommagement de la dégonflade face aux bonnets rouges. Et plus encore si l'écotaxe n°2 subit le sort de la n°1, ce qui n'est pas exclu vu la détermination des opposants et la pétoche du gouvernement. Il faut reconnaître qu'un mouvement de routiers, ça déplace plus d'air qu'une grogne de notaires, huissiers ou pharmaciens.
En attendant, que faire de ces vestiges du Grenelle de l'environnement ? Faut-il y fixer des panneaux à message variable ? Des radars ? Y suspendre des carcasses de véhicules accidentés pour l'édification des conducteurs ? Des œuvres d'art locales ? Des publicités pour les spécialités du cru ? Ma petite dernière y installerait bien des balançoires, autre chose que celles minables du parc d'à côté, mais je ne pense pas qu'elle sera entendue. Selon une source gouvernementale anonyme citée par BFM business, il est question de les recycler "pour réguler la circulation en cas de pics de pollution, fournir de l'info trafic, etc.".
Tout est dit dans cet et cætera qui signifie que ces "merveilles de technologie" (l'expression est d'un député UMP) ne serviront à rien ou pas grand-chose.
Sauf à témoigner à la vue de tous d'un fait nouveau : l'impuissance de l'Etat. Que l'on approuve ou non le principe de l'Ecotaxe, elle avait été décidée lors du Grenelle de l'environnement, votée par l'Assemblée, délibérée avec les professionnels du transport et reportée trois fois de suite pour leur laisser le temps de s'y adapter. Des décrets avaient même garanti qu'elle serait intégralement répercutée à leurs clients et n'impacterait pas leurs revenus. Du coup, ce sont ces "clients", industriels et agriculteurs, qui quelques destructions de portiques plus tard, mettaient l'Etat genou à terre.
Nous vivons dans un pays où il n'est plus possible de lever un nouvel impôt, quand bien même il doit financer le bien commun : création d'infrastructure de transport et réfection des routes en l'occurrence.
A ce niveau d'impuissance, il n'est même plus question de "tout changer pour que rien ne change" comme le professait le jeune révolté dans Le Guépard, le roman de Giuseppe Tomasi.
Car plus rien ne bouge ! Sauf le prix du gazole et des cigarettes et le montant des taxes, charges et impôts existants, derniers leviers qu'ose encore manœuvrer un pouvoir tétanisé par son insondable – mais régulièrement sondée - impopularité.
Ceux qui se réjouissent de l'abandon de l'Ecotaxe et fourbissent leurs armes contre l'application de la nouvelle taxe de transit poids lourds devraient réfléchir à leur contribution au blocage de la société française. Et se renseigner sur l'origine des révolutions.
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