L'INRETS (l'Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité) souligne que la littérature internationale ne manque pas d'études portant sur le «coût» de la pollution de l'air. Mais ne faudrait-il pas s'interroger sur les processus qui conduisent à l'élaboration de ces chiffres ? D'un point de vue scientifique d'abord : que mesure t'on ? Comment ? Pourquoi ? Mais aussi d'un point de vue politique : de quelle manière les évaluations monétaires fournies par les chercheurs - ingénieurs, économistes, épidémiologistes, etc. - sont-elles reprises et utilisées pour établir des valeurs officielles ; valeurs qui fournissent une base assumée et explicite aux prises de décision dans la gestion des affaires publiques ? C'est cette approche que propose les chercheurs pour fournir des éclairages innovants et des informations sur un sujet qui concerne chaque citoyen.
L'INRETS indique que les efforts de l'industrie et les progrès technologiques réalisés dans les transports, notamment au cours des années 1970-80, ont conduit à une amélioration continue de la qualité de l'air en ville. Pourtant, cette question de la pollution atmosphérique et de ses impacts demeure fortement ancrée sur l'agenda politique. Plusieurs raisons l'expliquent : certaines incertitudes quant à l'évolution de l'ozone de fond et des particules les plus fines ; un niveau d'exigence des populations urbaines vis-à-vis des problèmes d'environnement et de santé publique qui va croissant ; enfin, les résultats de recherches épidémiologiques qui confirment des impacts à long terme importants de la pollution sur la santé humaine. Impacts qui seraient, selon certains scientifiques, du même ordre de grandeur que ceux de l'alcool et du tabac... L'approche économique, généralement utilisée pour justifier la mise en œuvre de politiques publiques, dispose-telle des outils pour prendre en compte ce type d'impacts dans un contexte d'incertitude où demeurent de fortes divergences entre les perceptions du problème ? Pour répondre, les chercheurs du LTE (Laboratoire Transport Environnement) de l'INRETS et du CERTU (Centre d'études sur les réseaux de transport et l'urbanisme) se sont interrogés sur la construction scientifique des chiffres d'abord, puis sur l'usage institutionnel qui en est fait afin de mesurer les écarts et de proposer des solutions pour les réduire.
L'équipe s'est appuyée sur une synthèse bibliographique reprenant de la manière la plus exhaustive possible les études et rapports publiés aux cours des années 1990 sur la monétarisation des impacts locaux de la pollution de l'air. Les chercheurs se sont surtout concentrés sur les pays européens afin de mieux rendre compte des liens entre les valeurs proposées, les traditions institutionnelles et les pratiques nationales en matière environnementale.
Quel choix de fiscalité environnementale ?
Des points communs à de nombreux pays se sont fait jour : la moitié des pays européens à la fin des années 1990 monétarisaient les effets de la pollution atmosphérique et du réchauffement climatique dans leur méthode officielle d'évaluation des projets de transport. Cette approche ouvrant logiquement sur la mise en œuvre du principe pollueur-payeur. Ainsi, par exemple, tous les pays de l'OCDE ont introduit des taxes sur les carburants routiers, qui représentent près des deux tiers de leur fiscalité environnementale. Cependant, les synthèses internationales mettent aussi en évidence de fortes divergences avec une fiscalité environnementale qui va de moins de 1 % à plus de 4 % du PIB selon les pays du même groupe OCDE. Face à ces constats, les chercheurs ont choisi d'observer plus en détail 3 pays qui ont des pratiques bien marquées.
En France : une approche technocratique
Un groupe composé d'experts et de hauts fonctionnaires, dit « groupe Boiteux », débat sur le choix des valeurs environnementales dans l'évaluation des projets de transport, aussi les responsables politiques restent-ils peu impliqués. Cette approche relativement technocratique explique sans doute pourquoi l'évaluation socio-économique est si mal connue, voire déconsidérée par les décideurs locaux comme par le public, perçue seulement comme une obligation légale et non comme une aide à la décision ou un élément du débat public.
En Suède : un véritable débat politique
L'Institut met en avant qu'en Suède, les préoccupations environnementales comme la culture économique sont très prégnants pour guider la décision publique. Ce qui se traduit par une politique fiscale favorable à la protection de l'environnement. Le débat public sur ces questions est largement ouvert depuis une quinzaine d'années et la Suède exerce des pressions pour que des mesures communautaires plus favorables à l'environnement soient adoptées. Pourtant l'évaluation socio-économique des projets de transport reste, comme en France, un domaine réservé aux seuls spécialistes. Mais les valorisations monétaires de l‘effet de serre et de la pollution atmosphérique locale retenues sont respectivement six et trois fois plus importantes qu'en France.
En Suisse : la volonté politique se conjugue avec une recherche pragmatique
L'un des principaux objectifs de la politique suisse des transports est de protéger les Alpes contre la croissance du trafic routier. Elle s'en donne les moyens en favorisant le transport ferroviaire grâce à d'importantes subventions publiques et en affectant une grande partie de la « redevance sur le trafic poids lourds liée aux prestations » (RPLP) au financement des grands projets ferroviaires. Ainsi, les poids lourds paient aujourd'hui leur futur transfert sur le rail. L'existence d'une recherche appliquée dynamique et bien insérée dans la vie sociale et économique du pays a permis aux autorités publiques d'animer une large réflexion sur la monétarisation des coûts externes imputables au trafic routier et de quantifier avec précision les atteintes à l'environnement ressenties par les citoyens suisses. L'approche scientifique ne fournira pas de réponse unique. Selon les études, les coûts de l'impact de la pollution se révèlent très variables. Là aussi, pour les pouvoirs publics désireux de rationaliser leurs choix en matière de projets ou de politiques fiscale environnementale, déterminer les valeurs officielles de référence reste et restera problématique faute de réponses « définitives » de la sphère scientifique. Dans ce contexte, la tentation est grande d'enfermer le débat à un niveau technique, réservé aux seuls experts, alors que les enjeux relèvent de choix de société.
A la lumière des expériences française, suédoise et suisse, deux grands axes se dessinent pour dépasser cet écueil et déboucher sur des choix plus transparents et plus opérationnels :
- ouvrir les groupes de travail à l'ensemble des acteurs
concernés, avec notamment une implication plus forte des parlementaires dans la genèse et la validation des valeurs obtenues et une plus grande présence des décideurs et techniciens locaux lors de l'élaboration des méthodes dévaluation des investissements ;
- en amont, mobiliser plus fortement la recherche
en économie et en sociologie pour participer au débat public. Là encore, une meilleure association des décideurs politiques à la définition des programmes de recherche appliquée serait positive. Enfin, une large diffusion des résultats des recherches et des principales conclusions scientifiques faciliterait la compréhension du message politique pour les citoyens en montrant sa cohérence.
Source : INRETS
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