Dans son dernier numéro, Le Canard Enchaîné révèle que beaucoup de conducteurs qui ont contesté leur contravention pourraient bénéficier d'une prescription de leur procès-verbal - du simple PV pour stationnement, aux innombrables excès de vitesse relevés par les radars automatiques, en passant par les fréquents flashs des radars feu rouge, etc. Pourquoi ? Car, pour faire court, les prévenus en question n'ont pas été cités devant la bonne juridiction, et ils auraient dû être recités correctement... Ce qui n 'a pas systématiquement été le cas, loin de là !
En fait, les juridictions de Proximité (JP) en charge de ce contentieux devaient disparaître au 1er janvier dernier, et être remplacées en ce qui concerne ces affaires pénales par les tribunaux de Police (TP). Mais, via une loi publiée en toute urgence le 26 décembre au Journal officiel, les JP n'ont finalement pas été supprimées ; surtout, leur non-suppresion n'a pu être correctement anticipée. Et de fait, toutes les citations établies en fin d'année dernière pour ce début 2013 ont envoyé les automobilistes contestataires non pas devant les JP mais devant les TP qui devaient initialement les remplacer.
Conséquence : « dans une telle situation, les juges doivent théoriquement proposer à chacun de comparaître volontairement, et en cas de refus, demander à ce qu'on les recite », explique Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le code de la Route, que Caradisiac interroge régulièrement, et qui en l'occurrence a été citée par Le Canard. Sauf qu'en pratique depuis la reprise des audiences, le 7 janvier, les juges se sont surtout évertués, selon nos informations, à noyer le poisson ! Ce qui – pour la grande joie des conducteurs concernés – pourrait se révéler être une très grosse bêtise...
En matière contraventionnelle, le délai de prescription est seulement d'un an. Plutôt que d'expliquer la boulette, les juges ont ainsi bien souvent préféré se taire, de peur que les prévenus ne refusent en masse de comparaître volontairement, et s'en sortent du fait de PV prescrits suite à l'envoi trop tardif des nouvelles citations. Comme la plupart des prévenus, y compris ceux assistés par un avocat, n'y ont vu que du feu depuis le début janvier, ils pourraient même commencer à se frotter les mains et espérer que le pire est passé. Mais en se comportant ainsi, sans proposer systématiquement de comparution volontaire, les juges ont en fait plus encore accru le risque de prescription ! Car c'est à eux qu'il incombe normalement de relever ce problème de compétence des tribunaux. « C'est ce qu'on appelle un moyen d'ordre public. Si nous-mêmes, avocats, oublions de l'invoquer, il peut être malgré tout relevé en appel », insiste Me Tichit, jointe ce jeudi.
En clair, si les prévenus concernés, qui ont donc été condamnés en début d'année par une JP alors qu'ils étaient cités devant un TP, font appel, il paraît encore plus assuré qu'ils ne seront pas de nouveau cités - devant la bonne juridiction - dans les temps ! Il reste malgré tout une certaine urgence à faire valoir ses droits, puisque les délais pour exercer un recours sont très courts en la matière : dix jours pour faire appel (en cas de condamnation à plus de 150 €), cinq pour se pourvoir en cassation (en cas de condamnation à 150 € ou moins). Mais ces délais ne courent cependant qu'à partir du moment où les prévenus ont eu connaissance de leur jugement. S'ils étaient donc absents le jour de leur audience, ce qui est fréquent, ou s'ils avaient envoyé un avocat, ils ont bel et bien toutes les chances d'être encore dans les temps pour se rebeller.
Le contentieux dont il est question représente quand même un contentieux de masse, avec quelque 400 000 affaires par an, soit au moins 33 000 par mois… Voire plus encore, puisqu'aucun dossier n'est plaidé durant les grandes vacances d'été. Les Officiers du ministère public (OMP), à l'initiative des poursuites devant ces tribunaux, n'ont été prévenus du report de deux ans de la suppression des JP – par un simple mail ! – que le 14 décembre dernier, alors qu'ils font généralement partir les citations deux à trois mois à l'avance. A Paris, toutes les audiences jusqu'à mars sont ainsi concernées. Avec un rythme de plus de quinze audiences hebdomadaires d'une quarantaine de dossiers chacune, ce n'est pas rien ! Dans les autres grandes juridictions, comme à Marseille et Lyon, quasiment tout le mois de janvier a dû être impacté. Ailleurs, les audiences étant plus espacées, seule la première de l’année a pu l’être…
Une circulaire ministérielle relative au fonctionnement des JP, datant du 12 septembre 2003, développe en tout cas ce point fort à propos : « En cas de poursuites engagées de façon erronée devant la juridiction incompétente, de nouvelles poursuites devront donc être engagées devant la juridiction compétente. A cet égard, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en cette matière, il convient de préciser qu'il semble que les actes de saisines - citation (…) - ne soient ni interruptifs ni suspensifs de prescription ». A n'en plus douter, ce report de la suppression des JP représente une belle épine dans le pied pour les juridictions concernées !
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