Premier article d'une série consacrée au rapprochement entre la communication des marques et les contenus médiatiques, dans l'univers automobile.

Avez-vous remarqué que, ces derniers temps, les frontières entre information, divertissement et communication ont tendance à se flouter ? Qu'il y a de plus en plus de fois où nous restons quelque peu perplexes face à une affiche, un reportage, un site Internet ou un magazine, car nous n'arrivons pas à savoir de quoi il s'agit du premier coup d'œil ? Œuvre d'art ? Article journalistique ? Jeux ? Publicité ?

Cette tendance est particulièrement marquée dans le secteur ultra-concurrentiel qu'est l'industrie automobile, car c'est un univers où la communication joue rôle absolument essentiel. Pour tenter de prendre un peu de recul sur cette évolution qui concerne notre quotidien à tous, je vous propose donc d'analyser ensemble quelques exemples qui reflètent bien cette appropriation par les marques de l'univers des médias. Pour commencer cette série, intéressons-nous à la campagne de promotion du film L'Immortel, produit par Europa Corp. et TF1 Films, où le constructeur allemand Audi semble presque détenir le premier rôle.

Dans les salles le 24 mars prochain, ce long-métrage adapté d'un roman de Franz-Olivier Giesbert et réalisé par Richard Berry, a fait appel à des valeurs sûres du cinéma français pour sa distribution : Jean Reno, Kad Merad, Marina Foïs et Jean-Pierre Darroussin. Une histoire inspirée de la vie de Jacky le Mat, mafieux marseillais ayant survécu à 22 blessures par balles (d'où le titre du film...). A priori, rien de bien nouveau sous le soleil des polars français, vous en conviendrez.

Mais la nouveauté se trouve peut-être davantage dans la campagne de promotion du film, lancée fin janvier. En effet, peut-être avez-vous eu l'occasion de voir cette affiche (ici tirée du quotidien gratuit 20 Minutes du 27 janvier 2010):

[La pub joue à cache-cache #1] Audi dans l'Immortel

En apparence, rien d'original : le visage du personnage principal en gros plan, surplombant le titre du film, le casting, le nom du réalisateur, et la date de sortie. Tout cela en noir et blanc. Assez vite pourtant, on remarque la place accordée à la marque Audi : alors que les partenaires des productions cinématographiques disposent généralement d'un logo de taille réduite, tout en bas du visuel, les quatre anneaux du constructeur allemand sont situés en haut de l'affiche, au centre, dans un format plutôt imposant. Audi prend ici la place généralement attribuée aux producteurs, qui se retrouvent cette fois relégués en petits caractères verticaux sur la gauche. C'est Audi qui nous « invite à découvrir » ce film, comme si elle en était à l'origine.

Vous noterez alors que, seule la blessure rouge sang sur le visage de Jean Reno tranche avec les variations de gris de l'ensemble de la photographie : par un étrange hasard, cette association de couleurs correspond exactement à celle du logo de la marque. Par ailleurs, c'est sur le site audi.fr que le public est invité à visionner la bande-annonce, et non sur le site officiel du film, encore moins sur un site spécialisé dans le cinéma.

On y apprend, comme on pouvait s'y attendre qu' « Audi, touché par la qualité du scénario, l’avant-gardisme de la réalisation et la justesse du casting s’est naturellement défini comme le partenaire légitime de cette production de haut vol. Les Audi A8, Q7 et A4 Avant, ont ainsi été intégrées au film l’Immortel ». La marque dispose par ailleurs d'une exclusivité qu'elle réserve à ses clients sur le site myaudi.fr : la possibilité de regarder une des scènes de poursuite en avant-première.

Qui tire vraiment profit de cette opération ? On sent donc bien ici que la communication autour du film, et celle de la marque s'entremêlent, s'appuient l'une sur l'autre, cherchent à mutualiser leurs efforts. Mais cette mutualisation est-elle vraiment profitable aux deux partis ?

Pour Audi, l'avantage est plutôt clair : la marque bénéficie ainsi d'une forte visibilité aux côtés d'un film grand public, dont la thématique correspond parfaitement à son positionnement sportif et haut de gamme . Mais le plus important reste cette opportunité de communiquer de manière moins « publicitaire », plus discrète, et donc de susciter moins de méfiance de la part du public. Par ailleurs, à l'image de Thierry Lhermitte avec Lexus, Jean Reno est l'ambassadeur d'Audi en France. C'est lui qui assure la promotion de l'A8 4.2 TDI quattro. La marque conserve donc une vraie cohérence dans son univers de communication, puisqu'elle suit son égérie même lorsqu'il redevient acteur.

Pour le film, la question est loin d'être aussi simple. Le placement de produit existe depuis longtemps au cinéma, et le succès de films comme James Bond ou Anges et Démons montre que le public n'est pas trop perturbé par cette technique. Cependant, associer de manière aussi intime, et dès la campagne de promotion, la communication du film à celle d'une marque automobile, risque de perturber le public. En effet, la raison pour laquelle les spectateurs paient pour voir un long-métrage, est son statut d'œuvre d'art, sa portée culturelle. Si avant même d'avoir vu le film, le public craint d'avoir davantage affaire à un énorme support publicitaire qu'à une œuvre divertissante, il est probable qu'il aura plus de mal à mettre la main au porte-monnaie. Surtout si l'acteur principal joue autant son rôle de comédien que celui de vendeur de voitures...

J'ai donc tendance à penser que si ce type de partenariat peut dans un premier temps s'avérer tout à fait avantageux pour la marque, il n'en va pas du tout de même pour le film. L'obtention de quelques véhicules gratuits pour un tournage justifie t-il de sacrifier l'image d'un film au bon vouloir d'un annonceur ? A terme, cela ne risque t-il pas de se retourner contre les marques elle-même, qui ne trouveront plus de support crédibles pour communiquer ? N'hésitez pas à réagir...