Peut-être ne connaissiez-vous pas son nom et pourtant, il fait autorité comme historien du sport auto. Engagé comme stagiaire en 1976 à Sport Auto par Jean-Louis Moncet et Gérard Crombac, Alain Bienvenu a collaboré ensuite auprès de nombreux autres medias auto. Pendant 35 ans, il a surtout suivi les compétitions auto de si près qu’il en est la mémoire vivante. Alain viendra régulièrement sur Caradisiac vous raconter comment il a vécu intimement ces années où il a rencontré des pilotes de légende et vécu des évènements hors normes. Après nous avoir raconté ses premières 24 heures du Mans, il nous explique aujourd’hui, et toujours sur le ton de l'humour, comment il a fait la connaissance de deux champions du monde, Hannu Mikkola et de Timo Salonen.
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Pendant de longues années, mon expérience de conduite sur la neige se réduisait à quelques figures plus ou moins libres en tirant le frein à main ou encore à la fierté d'être resté sur la route, lors de fréquentes expéditions aux sports d'hiver dans les seventies. Privé de ski, après de mauvaises fractures de la cheville… au tennis, je reviens vers les sommets en décembre 1989, pour une séance d'essais "hiver" organisée par Ford. Des petites Fiesta 1.4… pour les sensations fortes, mais un joli programme avec en prime une course poursuite le dernier jour.
Le principe est simple: un circuit ovale tracé sur un grand plateau plat, avec de larges dégagement, deux voitures partant chacune d'un côté, cinq tours chronométrés et de la neige fraîche. Eviter simplement de patiner au départ (même avec 75 ch, c'est possible) et puis le premier virage à fond, en visant la corde. On verra bien! Un travers, le réflexe de contrebraquer, sans même y penser et ça passe… On s'amuse comme des gosses, le plaisir à l'état pur et sans risque. Et puis, pour un débutant, je ne m'en tire pas si mal avec le 5e temps sur dix ou douze. Pas de quoi se prendre pour un roi de la glisse, mais juste assez pour se croire "plutôt à l'aise sur la neige". La suite des événements va vite me remettre dans la peau du conducteur "lambda".
Dix jours plus tard, nouvelle invitation de la part de Mazda Europe pour la présentation à Chamonix de son équipe Rallye. Le dossier "Spécial Monte Carlo" en préparation à l'Automobile Magazine, me fournit sans problème le visa de sortie de la direction, d'autant que cette fois , c'est du sérieux avec la présence de Hannu Mikkola et de Timo Salonen, deux anciens Champions du monde des rallyes.
Présentation de l'équipe, le jeu des questions/réponses avec la trentaine de journalistes présents, la traditionnelle séance photos sous un ciel d'azur au bord du circuit enneigé, où se disputent alors les 24 heures sur glace de Chamonix et puis moteur! Mikkola et Salonen, transformés en chauffeurs de luxe pour le besoin des relations publiques du constructeur, vont nous emmener faire quelques "tours de manège" sur la neige avec les Mazda 323 4 WD. Le hasard des relais veut que je me retrouve aux côtés de Mikkola. Un sacré personnage, décontracté, souriant, presque chaleureux pour un nordique. Le harnais à peine bouclé et bien serré, le festival commence. Une courte ligne droite, un gauche, le museau de la Mazda est bientôt à la perpendiculaire et ce n'est pas fini. Tout va très vite et bientôt je n'ai plus aucun repère, si ce n'est la très grande courbe rapide, qui ramène au départ. Et là, ça passe très vite, appel, contre appel, la courbe est avalée à une vitesse folle pratiquement en butée de contre-braquage avec une facilité déroutante.
Freinages "pied droit ou pied gauche" s'alternent sans logique apparente...
Au milieu de la courbe, Mikkola trouve même le moyen de lâcher le volant d'une main, pour remettre en ordre les mèches blondes de ses cheveux. Un deuxième tour s'enchaîne et une fois l'effet de surprise un peu dissipé, je me concentre sur la gestuelle du pilote. Un véritable film en accéléré, avec une incroyable sarabande des pieds allant d'une pédale à l'autre. Aucune règle, tout est permis au nom de l'efficacité. Freinages "pied droit ou pied gauche" s'alternent sans logique apparente, tout comme les mains, qui attrapent le volant en haut, en bas, par les branches centrales, oubliant ainsi toutes les considérations d'école. Diabolique, et encore ici, il ne s'agit que d'une "paisible" démonstration pour quelques touristes impressionnables. Depuis, les caméras embarquées dans les habitacles des WRC ont donné un aperçu du pilotage en "spéciales", mais ne sauraient rendre parfaitement la réalité de l'époque avec ces voitures "Groupe A", encore proches de la série et dépourvues de toute assistance à la conduite. Trois ou quatre tours plus tard, je cède ma place un peu étourdit, les jambes un peu molles et incapable de résumer des instants aussi denses. Au-delà du plaisir simple, il y a aussi la sensation d'être entré un moment dans un autre monde pour entre-apercevoir cette chose indéfinissable, don, talent, expérience, qui façonne les pilotes d'exception. Un photographe italien, trouve finalement la meilleure formule: " c'est comme Obélix, ils sont tombés dedans, quand ils étaient petits, c'est pas possible autrement…" Et puis, le meilleur, ou le pire est à venir.
« Cette fois, je me retrouve "chauffeur" de Timo Salonen »
Sortant de sa torpeur, Salonen m'envoie un "Slowly, please, slowly" dans le casque, sur un ton poli, mais visiblement agacé d'être tiré de sa sieste par un maladroit
Profitant du soleil, Mazda a décidé de prolonger la séance et de nous faire un joli cadeau de Nöel (nous sommes vers le 20 décembre) en nous proposant de prendre le volant des Mazda après le déjeuner. Cette fois, je me retrouve "chauffeur" de Timo Salonen et je vous laisse imaginer la pression… Calé dans le baquet de droite, il semble imperturbable, fumant comme à son habitude cigarettes sur cigarettes et presque résigné à ce qui l'attend. Peu bavard, il me donne juste quelques infos dans le casque pour le démarrage, le maniement de la boîte à crabots (précise, mais très dure), jette presque à regret son mégot et me lance un "go" dans les écouteurs. Un premier tour au ralenti pour découvrir le tracé, tenter de passer les vitesses sans être trop ridicule et se familiariser avec les 270 ch. Au bout de deux ou trois tours, je me traîne lamentablement, freinant trop tôt, cherchant le bon rapport et passant la plupart des courbes en sous régime. Je suis tellement lent, que la voiture n'a pas amorcé la moindre dérive et que mon illustre passager semble faire la sieste. Appliqué, j'enchaîne les tours, j'accélère un peu plus fort, mais toujours pas au bon endroit ou au bon moment et puis, à l'amorce de la grande courbe rapide, je me lance "à la Mikkola". Enfin sur la bonne trajectoire, la voiture commence à avaler la courbe en contre-braquage, alors que je tente de doser l'accélération. Au début tout va bien et fier de moi, j'envoie les gaz voyant l'amorce de la ligne droite. Trop tôt… La Mazda part alors dans une magnifique figure, que je tente de récupérer avec une belle inconscience. Sortant de sa torpeur, Salonen m'envoie un "Slowly, please, slowly" dans le casque, sur un ton poli, mais visiblement agacé d'être tiré de sa sieste par un maladroit. Moteur calé, à contresens, je n'ai plus qu'une hâte: rentrer. Pour reprendre une phrase d'Audiard, c'est "le terminus des prétentieux" et seules les piètres prestations de la plupart de mes collègues me permettent de me sentir moins seul.
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