« Par une nuit glaciale, à la fin du mois de novembre de l’une des dernières décennies du vingtième siècle – dans l’un des plus sombres recoins de celle-ci –, une remorque fantomatique tirée par un tracteur remonta la rue principale déserte d’une petite ville située au sud-est de la Grande Plaine hongroise en direction de la place du marché. Le convoi devait mesurer à vue d’œil trente mètres de long, et sa hauteur semblait, comparée à la longueur et la largeur, hors de proportion, des dimensions gigantesques qui impliquaient naturellement un poids gigantesque, lequel poids reposait en tout et pour tout sur huit doubles roues. Les parois de la remorque étaient constituées de plaques de tôle ondulée bleue sur lesquelles quelqu’un avait grossièrement esquissé – à la peinture jaune – des formes énigmatiques, et si cette construction brinquebalante pouvait vaguement, si l’on tenait absolument à chercher un point de comparaison, évoquer des wagons, en réalité, cela ne leur ressemblait ni de loin ni de près, toute parenté avec un véhicule ferroviaire était à écarter d’emblée, non seulement à cause du poids et des dimensions gigantesques, ou bien des roues, ou encore des formes grossièrement peintes et de leur caractère inquiétant, mais parce qu’il n’y avait aucune portière ni quoi que ce fût qui ressemblât à une porte, comme si la commande, adressée par l’initiateur de projet à des artisans dans des ateliers souterrains, avait été formulée en ces termes : je souhaiterais un véhicule en tôle ondulée bleue, avec huit doubles roues, mais sans portière, non non, aucune porte, pas même à l’arrière, mais puisque je vous le dis, aucune portière, ce sera votre chef-d’œuvre, messieurs les artisans, si vous acceptez la commande, à vous de bricoler cette merveille, oui, c’était comme si ces courtes instructions avaient été proférées devant les ouvriers souterrains, le véhicule ne doit pas être conçu pour que n’importe qui puisse l’ouvrir et le fermer, il suffit que je puisse, moi, le commanditaire, l’ouvrir et le fermer à ma guise, et encore, seulement de l’intérieur, d’un seul geste. »
Extrait de thésée universel, László Krasznahorkai, éd. vagabonde, 2011
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération