Il aura fallu moins d'une génération pour transformer l'image du gendarme ou du policier sur le bord de la route. Avant « ange de la route », preux chevalier prêt à porter secours, bon samaritain, le voilà aujourd'hui chasseur de points, boulimique de chiffres, distributeur à la volée d'amendes et autres prunes. Circulez, il n'y a plus rien à voir. De son pistolet laser, il tire sur tout ce qui roule. Son stylo est devenu stylet qui règle votre sort en silence sur un boîtier réglé pour sanctionner. Réprimer, tel est le credo.
Cela va vous paraître incroyable, mais les choses n'ont pas toujours été ainsi. Je vais vous parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Une époque du siècle dernier, mais à l'échelle d'une seule génération pourtant, où la police de la route se déclinait différemment. D'ailleurs, dans la formation initiale de nos fonctionnaires en uniforme, on martelait que cette partie de leur métier se conjuguait ainsi : prévenir, éduquer, renseigner, aider, secourir et, éventuellement, -on insistait alors sur ce sépératif- réprimer. Le PV était donc un dernier recours après un long cheminement. L'itinéraire bis vers le final a depuis été pris. Et il a été sacrément rapide.
Concrètement, cette philosophie de la police de la route se matérialisait par le service dit du secours routier. Un concept qui associait les forces de l'ordre et le Touring Club de France. Avec des voitures dédiées. Celles-ci n'étaient pas bardées d'un dispositif prêt à vitrifier le moindre des conducteurs. Mais chaque véhicule avait pour mission de patrouiller sur les grands itinéraires routiers à la recherche des accidentés et de répondre aux appels téléphoniques réclamant du secours. Ils étaient équipés d'un brancard pliant, d'une trousse à outils, d'un petit stock de pièces détachées courantes, une nourrice d'essence et d'eau, et de dispositifs de signalisation provisoire.
A l'époque, le message distillé sur la sécurité routière était assez basique. Jugez-en : on conseillait de ne prendre la route qu'après avoir vérifié ou fait vérifier le bon état du véhicule, de respecter d'une façon absolue le code de la route, d'exclure pour les journées de grand départ « toute idée de vitesse ou de performance ». Enfin, le meilleur palliatif aux accidents était encore « la sagesse des conducteurs d'autos de tourisme et d'autos de transport. »
Une conjoncture qui prête à sourire. Néanmoins, on réfléchira à deux fois avant de se gausser. On peut sans doute trouver ce message puéril, mais alors il ne faudra pas oublier que l'on est devenu un public infantile. Tenait-on moins à la vie hier qu'aujourd'hui ? Sans doute pas. Mais on n'avait plus sûrement une autre conception de celle-ci. Vaste débat. Entre l'hyper-protection qui nous fait rentrer dans le rang et marcher sur un même rythme, et, inconsciemment, sur un même pas, et la responsabilisation individuelle, un libre arbitre dont le revers est d'assumer les défauts engendrés par les aléas, il y a de quoi discuter de vive voix.
D'aucuns brandiront les statistiques d'une mortalité routière qui s'est depuis fort heureusement effondrée. Est-ce uniquement grâce à l'orientation répressive prise par un item que s'est seul approprié le ministère de l'intérieur ? Ou Est-ce aussi grâce au fait que les nationales ne sont plus bordées de platanes, que les autoroutes ont fait florès, que les véhicules d'aujourd'hui sont tout de même mieux construits que les Juva 4 d'antan ou encore parce que le prix à la pompe est d'autant plus lourd à assumer qu'il allège d'autant le pied que le porte-monnaie ? On saisit les difficultés d'évaluation de l'impact du changement culturel sur la sécurité routière. Mais ce qui est sûr, c'est qu'entre-temps, le service dit du secours-routier est devenu payant, via des assurances en tout genre. Autre époque. Autres mœurs.
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