Qu'il faille un document administratif autorisant la conduite, admettons : il faut bien pouvoir le retirer à ceux que l'on juge dangereux pour les écarter de la route. Mais la longue formation qui y prépare et surtout l'examen qui la sanctionne, beaucoup de pays s'en passent.

Dans tout le monde anglo-saxon, du Canada à l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis, il n'y a quasiment pas d'auto-écoles. On y apprend en conduite accompagnée et l'examen pour pouvoir conduire seul à 14, 15 ou 16 ans n'est qu'une formalité. En échange de cette liberté, les jeunes n'ont pendant un ou deux ans pas le droit au moindre verre d'alcool, ne peuvent conduire de nuit ni avec des passagers de moins de 25 ans. Dans ces pays, la jeunesse ne se tue pas plus sur la route que la nôtre.

Mais pas moins non plus. C'est bien triste, mais c'est comme ça : dans tous les pays développés, qu'ils aient été bien, mal ou pas formés du tout, les jeunes se tuent deux fois et demie plus que la moyenne des conducteurs. C'était déjà le cas des jeunes cavaliers de la haute antiquité.

Cela fait quarante ans que l'on sait que l'examen du permis ne sert à rien, depuis que les Etats-Unis qui envisageaient d'adopter un permis de conduire fédéral ont testé trois méthodes différentes sur trois échantillons de 3 000 jeunes conducteurs. Pour le premier, permis à l'américaine avec mini-formation théorique et examen symbolique, pour le second, permis à l'européenne avec formation théorique et pratique. Et enfin, pour le troisième, super-permis avec en plus du précédent, apprentissage sur piste des manœuvres d'urgence comme certains en rêvent chez nous. Bilan de l'expérience, les jeunes du premier groupe ont froissé un peu plus de tôle que les deux autres, mais sans se blesser ou se tuer d'avantage. Le permis fédéral n'a jamais vu le jour.

Car le truc enquiquinant, c'est que la prudence, ça ne s'enseigne pas. Dans tout apprentissage technique, la rapidité ne vient qu'avec l'expérience, et avec l'expérience vient la prudence ; c'est la base du permis progressif anglo-saxon. L'auto-école française et européenne fait à peu près l'inverse. Son travail consiste à remplacer en quelques heures la lenteur et l'appréhension du débutant par un vernis d'habileté technique et un semblant de confiance en soi qui lui permet d'être dans le rythme du trafic. Et surtout de décrocher l'examen. Puis de coller un A sur le hayon et de faire n'importe quoi.

Drôle d'examen quand on y pense… Un taux d'échec de 43 % pour conduire une voiture, tâche dont s'acquitte tout individu pas trop demeuré, alors que le baccalauréat est "donné" à 85 % des candidats. Etrange loterie aussi ; d'un inspecteur à l'autre le taux de réussite va de 30 à 80 % et varie de 44 à 71 % selon le département.

Comment justifier cela ? Au nom de la sécurité routière ? Pourtant n'importe quel ressortissant du Burkina, d'Australie, des Etats-Unis ou autre pays dont le permis s'obtient en trois coups de cuiller à pot (de vin parfois), peut faire convertir son permis national en permis français. Environ 10 % des permis délivrés en France ont été passés à l'étranger, dont une part non négligeable par des jeunes qui profitent, à l'occasion de leurs études ou d'un voyage, de l'aubaine d'un permis deux à dix fois moins cher et difficile. Ou qui font le déplacement exprès. Si nos moniteurs et inspecteurs étaient indispensables, il ne faudrait pas laisser conduire chez nous des gens aussi mal formés. Ou alors, on nous cacherait un truc : ce sont eux qui se tuent sur la route ?

Bref, la solution existe, donner le permis B en échange d'une attestation de 20 heures de formation, celle que l'on demande déjà, avec l'examen du code, aux jeunes qui démarrent la conduite accompagnée sans que cela fasse un scandale. Et les 1 300 inspecteurs ? Qu'ils aillent inspecter les auto-écoles plutôt que les élèves. Après tout, cela relève de leur mission et ils admettent n'avoir absolument pas le temps de s'y consacrer.

 

 

* Motif de la grève ? Le ministère de l'Intérieur a décrété que les inspecteurs devaient faire passer plus d'examens de conduite pour désengorger un peu le tuyau à permis. En moyenne, les candidats qui échouent au premier passage poireautent trois mois, et jusqu'à six mois dans certaines régions. Pour cela, la surveillance de l'examen du code est confiée à des retraités de la gendarmerie, l'épreuve poids lourd sous-traitée à des organismes privés et l'examen du permis auto raccourci de 35 à 32 minutes. Trois minutes qui permettent d'ajouter un treizième candidat à leur douzaine quotidienne. But de l'opération, réduire le nombre de leçons nécessaires pour garder le niveau en attendant de retenter sa chance et donc abaisser un peu le coût du permis.