La protection des sources journalistiques est la clé de voute d'un édifice plutôt ébranlé, celui de la liberté de la presse. Bien évidemment, toute notion de liberté est assez dogmatique et l'idée qu'on s'en fait est loin de la réalité dans laquelle elle tente de s'appliquer. Obliger par voie légale un journaliste à "donner ses sources", dans le domaine de l'automobile comme dans tous les autres (souvent bien plus essentiels d'ailleurs), annoncerait la fin d'un journalisme d'investigation déjà mal en point.
Dans l'affaire Renault, c'est la recherche de la "taupe" qui a conduit un juge d'instruction à interpeller dès 6h du matin à son domicile le journaliste Bruno Thomas puis à le placer en garde à vue et enfin à mener une perquisition de 8h30 dans les locaux du journal Auto Plus saisissant une bonne partie du matériel de la rédaction.
Une plainte ancienne
La plainte contre X de Renault datant de juillet 2007 ne concerne pas les informations sur la Megane 3 mais un projet de véhicule à plus long terme discuté en interne. Cette plainte s'est traduite en une information judiciaire pour "abus de confiance, modification de données résultant d'un accès frauduleux à un système informatique, atteinte aux droits du producteur d'une base de données informatique, contrefaçon, révélation d'un secret de fabrique et recel". Un porte-parole du groupe a affirmé que le but n'est pas d'attaquer Auto Plus mais de couper le tuyau qui alimente le magazine, de trouver la source chez Renault.
Sachant qu'un employé a déjà été mis en examen la semaine dernière, la descente chez Auto Plus ne s'explique que par la volonté de trouver des preuves (donc forcément manquantes) concernant l'accusation porté contre cet employé.
Les ministres pas en phase
Christine Lagarde, ministre de l'économie se range derrière Renault en invoquant l'importance du capital intellectuel généré par toutes les entreprises de France et qui permet le dépôt de brevets, de marques, d'inventions et leur protection. Pour elle, le secret des sociétés relève de l'intérêt collectif, ce que conteste les syndicats qui ne voient pas dans les intérêts commerciaux de Renault un quelconque "intérêt collectif" national contrairement à la liberté d'informer et d'être informé.
Christine Albanel, ministre de la Culture avoue sa gêne de voir un journaliste mis en garde à vue. La liberté de l'information déjà mise à mal lors d'autres perquisitions en 2007 (au Canard Enchainé) avait provoqué la mise en chantier d'un projet de loi sur la protection des sources, présenté en mai dernier à l'Assemblée Nationale.
La ministre souhaite donc que la discussion de ce texte soit très vite reprise au Senat afin qu'il soit adopté rapidement. Le texte du gouvernement prévoit qu'il ne pourra être porté atteinte au secret des sources que si la gravité particulière du crime ou du délit en cause rend cette atteinte strictement nécessaire. Par ailleurs, les perquisitions, aussi bien dans les locaux des entreprises de presse qu'au domicile des journalistes ne pourront être effectuées que par un magistrat.
Ce texte jugé flou et contradictoire (comment apprécier un "crime ou délit grave" ?) est contesté par les associations de journalistes.
Pas de gagnant, que des perdants
Cet épisode dont personne ne sort véritablement gagnant (l'image de Renault prend encore un coup, la justice et la police montrent leur toute puissance toujours plus grande et les journalistes sont encore une fois pointés du doigt) n'est pas simple à débrouiller.
D'un côté, Renault a le droit de protéger ses secrets de fabrication, d'un autre le journaliste a le droit d'informer. Mais il me semble que s'il y a une faille à combler, une faute de commise, ce n'est pas chez Auto Plus qu'il faut la chercher. De fait, je pense dès lors que la protection des sources, pour être efficace et garantir une information libre, ne peut supporter la nuance. Elle doit être totale.
La police, la justice et les sociétés disposent de bien d'autres outils pour démasquer les taupes et autres espions qui gangrènent leurs services. Des outils moins éthiquement dérangeant que celui qui consiste à mettre en garde à vue un journaliste pour tenter de lui faire "donner un nom".
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