"Les sous-traitants sont au bout du rouleau. On essaie de faire passer ça sur le dos de la crise mais ça fait dix ans que les constructeurs les font mourir à petit feu." C’est par ses mots sans détour qu’Elise Lucet, corédactrice en chef de "Pièces à conviction ", résume la situation des sous-traitants, comme Caradisiac vous en parlait déjà il y a un mois jour pour jour. Ce sujet difficile était le thème de l’excellente émission de France 3 mercredi dernier à 20h35, placée malheureusement en concurrence avec les quarts de finale aller de la Coupe des champions. Séance de rattrapage donc, pour les amateurs de football.
Tenant la place peu enviable entre le marteau et l’enclume, les sous-traitants de l’automobile en France se doivent de fournir 70% de la valeur et 80% des pièces d’une voiture à Renault et PSA tout en assurant à ces clients très exigeants des prix toujours plus bas. Profitant de leurs positions de force et devant eux aussi faire face à la crise économique, ces derniers dictent leurs tarifs, imposant jusqu’à 20% de réduction pour un modèle de nouvelle génération par rapport à l’ancien quand ils ne leur imposent pas de délocaliser, sous peine de non renouvellement pur et simple du contrat. Et il est aussi mal vu de se plaindre, comme le rappelle Elise Lucet : "Il y a une grande omerta dans ce milieu. Comme il n'y a que deux constructeurs, tout le monde a peur d'être "black-listé". Mais, au fur et à mesure de notre enquête, les langues se sont déliées. Parce que les sous-traitants se sentent en danger de mort. "
De mort, un terme qui n’est pas utilisé à la légère, puisqu’en 10 ans, 150 000 emplois ont disparu dans ce secteur, mettant en exergue le lien pernicieux entre constructeurs et sous-traitants. Durant le reportage, les témoignages se succèdent. Du côté des équipementiers, protégées par l’anonymat, les langues se délient, des patrons aux employés en passant par les syndicalistes. Et les mots ne sont pas tendres : les relations, décrites comme "exécrables" et même de "maîtres à esclaves", soulignent l’épuisement des sous-traitants "étranglés", se sentant comme "des femmes battues", mais aussi des responsables des achats chez les constructeurs, se rendant compte de l’immoralité de leurs méthodes.
Sollicités pour être présent sur le plateau après la diffusion du reportage, PSA comme Renault n’ont pas souhaité s’exprimer, ce que regrette Elise Lucet : "On les a harcelés de demandes d'interviews. De plus en plus, dans ce genre d'enquête, les grosses boîtes ont tendance à faire les morts. Pour eux, c'est calamiteux, car cela accroît le divorce entre les classes dirigeantes et les salariés."
Il y avait cependant un invité de poids : Luc Chatel, le secrétaire d'Etat à l'Industrie, dont la réaction ne s’est pas attendre. Et c’est à l’endroit le plus douloureux qu’il veut taper pour contraindre les constructeurs automobiles à respecter leurs engagements avec les sous-traitants : le porte-monnaie. "Nous avons un moyen de rétorsion, nous avons la possibilité d'augmenter le taux d'intérêt du prêt participatif versé aux constructeurs automobiles". S’élevant à 3 milliards d’euros chacun pour Renault et PSA, l’acceptation de ces prêts passait par le respect d’une charte de bonne conduite. Et si les constructeurs n’ont pas jugé bon de participer à l’émission, ils devraient difficilement pouvoir décliner l’invitation de Luc Chatel : pendant le "prochain comité stratégique pour l'avenir de l'automobile que je vais réunir dans les prochains jours, je vais pouvoir évoquer avec les constructeurs la façon dont ils communiquent avec leur équipes."
Si vous souhaitez voir ou revoir l’émission Pièces à conviction, elle est disponible en streaming sur le site de France 3, en cliquant ICI.
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