C'était attendu, Bernard Cazeneuve l'avait lui-même annoncé lors du dernier Conseil national de la Sécurité routière (CNSR) de début décembre : la dernière « batterie de mesures » concernant la Sécurité routière a été officialisée lundi après-midi, place Beauvau.

L'objectif du gouvernement reste celui que Manuel Valls s'était fixé à l'époque où il était lui-même ministre de l'Intérieur, soit descendre sous la barre des 2 000 tués à l'horizon de 2020. Or, le bilan 2014, pour la première fois depuis plus de quinze ans, est reparti à la hausse, avec 120 morts de plus à déplorer qu'en 2013. Au total, ce sont ainsi 3 388 victimes qui ont été comptabilisées l'an dernier, selon les chiffres officiels provisoires.

Cela reste certes toujours mieux que 2012 et donc des années précédentes. En cela, le bilan 2014 est loin d'être aussi catastrophique que ce que certains ont annoncé. Pour autant, le signal est mauvais, et les mesures annoncées lundi ont bien pour ambition de rétablir le rythme positif auquel on était habitué, avec un bilan routier toujours meilleur que celui de l'année précédente.

Le plan de Bernard Cazeneuve contient alors « 26 mesures en quatre axes ». « Premier axe : sensibiliser, prévenir, former. Deuxième axe : protéger les plus vulnérables. Troisième axe : lutter efficacement contre les infractions les plus graves. Quatrième axe : améliorer la sécurité des véhicules et des infrastructures ». Mais concrètement que faut-il retenir de ce discours officiel ?

 

Alcool : le taux légal passe à 0,2 g/l de sang

pour les permis probatoires

On s'attendait à des annonces fortes concernant l'alcool au volant, mais c'est loin d'être aussi fracassant que ce que l'on pouvait imaginer. La tolérance zéro aurait pu être adoptée pour tous les conducteurs, ou au moins les plus novices.... En fait, le taux légal d'alcoolémie sera simplement abaissé, de 0,5 à 0,2 g/l de sang pour les permis probatoires (soit durant trois ans après l'obtention du carton rose, ou deux ans après la conduite accompagnée).

Pour Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier, c'est bien dommage de ne pas être allé plus loin. Pour elle, « c'était l'occasion de mettre fin à une certaine hypocrisie ». En outre, juridiquement, « c'est ajouter une nouvelle sous-catégorie qui nuit à la lisibilité du droit. »

 

Les radars et la vitesse :

un axe toujours privilégié

Toujours en matière de répression, il y a quelques annonces plutôt inattendues concernant les radars, en particulier aux feux rouges. C'est la mesure n°12 du plan, dans le cadre de la protection des plus vulnérables, celle qui propose de « relancer le déploiement des radars feux rouges » et surtout « leur associer systématiquement un module de contrôle de vitesse ». Pour ce qui est des autres radars de vitesse, en revanche, pas de grand changement de cap. La modernisation du parc déjà existant de 4 200 unités en service doit se poursuivre. On sait que la commande de 45 radars chantiers a été confirmée. Puis ont aussi été entérinées les nouvelles fonctionnalités des cabines, capables désormais de flasher dans les deux sens de circulation simultanément. Des panneaux avertisseurs devraient d'ailleurs être installés prochainement pour prévenir les usagers.

Bernard Cazeneuve a également validé que les nouveaux radars double face, actuellement en expérimentation, et qui commenceraient à être déployés dans à peine un an, pourraient permettre « l'identification du conducteur », soit l'auteur véritable de l'infraction, grâce à la prise de deux photos, l'une par l'arrière, et l'autre par l'avant.

Concernant le contrôle automatisé, d'une manière générale, la mesure n°18 a grandement attiré notre attention. C'est celle qui prévoit d' « exiger, lors de la demande de certificat d'immatriculation d'un véhicule, la désignation d'une personne titulaire du permis de conduire ». Fini les manoeuvres frauduleuses pour échapper aux sanctions, comme mettre sa voiture au nom de son enfant mineur ! C'est en tout cas ce qu'a laissé entendre le ministre de l'Intérieur.

Mais là encore, Me Tichit reste réservée : « quid alors du propriétaire qui a son permis annulé ? Quid des enfants, autrement dit des mineurs, qui héritent ? En pratique, c'est une restriction au droit de la propriété qui paraît bien compliqué à mette en place », augure l'avocate pour Caradisiac. Et au final, « je ne suis pas certaine que cette mesure passe l'épreuve du Conseil Constitutionnel. »

Sur l'expérimentation de l'abaissement de la vitesse limite sur le réseau secondaire de 10 km/h, soit de 90 à 80 km/h, Bernard Cazeneuve a confirmé qu'il ne voulait pas généraliser cette expérimentation, contrairement à ce que souhaitaient les experts du CNSR. L'expérimentation devrait « durer deux ans » et seuls certains axes, qui seront précisés d'ici à la fin février, seront concernés.

 

Le kit piéton interdit

Autre levier : le portable au volant. Tous systèmes « de type écouteurs, oreillettes, casque, seront interdits. Autrement dit, le kit piéton qui ne permet pas d'éviter la manipulation de son téléphone (pour passer ou recevoir des appels) sera proscrit. Et il faudra donc s'équiper de kit mains libres pour ceux qui veulent continuer à passer leurs coups de fil en conduisant.

 

La volonté de développer les boîtes noires confirmée

Dernière mesure à noter, celle qui entend « soutenir les démarches européennes sur l'installation d'enregistreurs de données de la route (EDR) dans les véhicules », ce que l'on appelle communément « boites noires » ou « mouchards ». Des dispositifs qui permettent d'exploiter les données enregistrées concernant par exemple la vitesse ou le freinage avant un accident... Comme la plupart des mesures annoncées lundi après-midi, celle-ci nécessitera une évolution législative. Rien n'est donc fait, mais la décision politique étant prise, il faut s'attendre à sa mise en place à plus ou moins long terme. Ce sont les assureurs, mais aussi certains fabricants d'antiradars, comme le Coyote, qui vont être contents, puisqu'ils sont d'ores et déjà prêts (ou presque) à proposer de tels équipements !

Alors que dire de toutes ces mesures ? Permettront-elles de meilleurs bilans routiers à l'avenir, et ce dès 2015 ? Il paraît prématuré de le pronostiquer. Sur les mesures fortes, comme l'abaissement du taux légal d'alcoolémie à 0,2 g, ou l'obligation d'avoir son permis de conduire pour être titulaire de la carte grise d'un véhicule, ou encore le développement des boîtes noires, il faudra d'abord, comme déjà évoqué d'ailleurs, que la loi actuelle évolue pour intégrer toutes ces nouvelles dispositions. Et quant aux délais de mise en place, nos différents interlocuteurs rencontrés à Beauvau lundi sont restés, à l'image du ministre de l'Intérieur, bien vagues. Affaire à suivre donc...