Peut-on faire de la course automobile quand on est une jeune femme? Ce milieu, très masculin, est-il prêt à recevoir en son sein de futures championnes. J’ai invité Michèle Mouton dans ma rubrique pour en discuter.
Caradisiac : Comment t'est venue cette passion pour le sport automobile ?
Michèle Mouton : Tu connais l'expression “du hasard au défi” ? Eh bien, ce fut mon parcours. Jusqu'à 21 ans, je n'avais même pas idée de ce que pouvait être un rallye. Je vivais à Grenoble et je travaillais dans une structure pour délinquants.
Bien sûr, dès 14 ans, j'ai commencé à rouler toute seule, mais c'était pour l'évasion, l'indépendance… Puis, un jour, alors que nous étions en train de discuter entre amis, l'un deux m'explique qu'il va faire un rallye le week-end suivant. C'était en Corse. Il me propose de venir avec lui. Sur place, sa copilote a un empêchement, si bien que j'ai fait avec lui toutes les reconnaissances, et j'ai ensuite été sa copilote sur quatre rallyes, dont le Monte-Carlo. Puis, mon père me voyant intéressée par le sport automobile, mais trouvant que la place de copilote était trop dangereuse, me proposa de me financer une saison en Alpine privée, après avoir bien pris le soin de me dire : "Un an seulement. Si tu es bonne, tu auras des résultats !”
Caradisiac : C'est donc ton père qui a pris les choses en main ?
Michèle Mouton : C'était un vrai passionné de voitures de course. Il m'a suivie partout pour me faire l'assistance. Il a tout réglé comme du papier à musique, en m'offrant ce qu'il y avait de mieux pour courir. J'ai été chez Esso, puis chez Elf, en semi-privé avec Porsche, puis chez Fiat. J'ai eu la chance d'être contactée par Audi et, surtout, la voiture était une excellente voiture, ce qui m'a permis d'avoir des résultats rapidement.
Caradisiac : As-tu choisi délibérément de faire du rallye plutôt que du circuit, ou ça s'est fait encore par hasard ?
Michèle Mouton : Non, non, là, j'ai vraiment décidé de faire du rallye. À l'époque, Elf voulait que je tourne sur circuit. Je suis allée une fois à Magny-Cours, mais cela ne me convenait pas du tout de tourner en rond. En rallye, tu es beaucoup plus indépendante. En plus, sur circuit, c'est beaucoup plus facile de pousser quelqu'un dehors, surtout une femme… En rallye, tu pars toutes les minutes, ce qui fait que tu n'as à t'occuper que de ton pilotage et pas des autres pilotes.
Caradisiac : Y a-t-il eu un changement dans l'attitude des autres pilotes entre tes débuts et le moment où tu as commencé à avoir des résultats ?
Michèle Mouton : Tant que j'étais amateur, c'était difficile, car ils pensaient que mon moteur était trafiqué. En revanche, dès que je suis passée en professionnel, il n'y a plus eu de problème, car les moteurs étaient contrôlés avant le départ des courses.
Caradisiac : Crois-tu que ta présence motivait les autres compétiteurs ?
Michèle Mouton : Ce qui est certain, c'est que lorsque je faisais un meilleur temps à une spéciale, tu peux être sûre que ça les motivait deux fois plus pour la suivante. Mais cela dit, je ne sais pas si ça les motivait encore plus que ce soit moi, ou un de leurs concurrents directs.
Caradisiac : Et toi, crois-tu que ça te motivait davantage d'être en compétition avec des hommes, plutôt qu'avec des femmes ?
Michèle Mouton : En fait, tu connais la compétition de haut niveau… Ce n'est vraiment pas facile d'arriver au sommet, et cela demande beaucoup de temps, d'investissement, d'énergie, de travail. Je ne voulais surtout pas être ridicule et larguée. Je crois que c'est une certaine forme d'amour-propre. Mais une fois que tu es dans le baquet, sanglée, la première enclenchée, tu oublies tout le reste afin de te concentrer pour donner ton maximum.
Caradisiac : Crois-tu que ta carrière a été plus dure du fait que tu concourrais avec des hommes et que, finalement, il n'y avait pas de classement féminin ?
Michèle Mouton : Non, je ne crois pas. La compétition de haut niveau est de toute façon très difficile. Tu sais, lorsque tu as un casque sur la tête, tu oublies très rapidement qui il y a en face de toi, et peu importe que ce soit un homme ou une femme. Tu es là pour gagner et il faut s'en donner les moyens. Une femme est peut-être plus endurante que l'homme ; cela m'a permis d'enchaîner les spéciales en “limitant” la fatigue. J'étais encore plus performante lorsque les courses duraient longtemps.
Caradisiac : Pourquoi la relève n'a pas été assurée après toi ?
Michèle Mouton : C'est vraiment “la” question à laquelle je ne sais quoi répondre. À mon avis, ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura jamais de filles en F1. Les contraintes physiques sont trop importantes, et la sensibilité n'est pas la même. En revanche, à l'époque où je faisais du rallye, c'était tout à fait possible de voir des femmes, car la notion d'endurance était capitale : il fallait tenir trois jours, trois nuits, enchaîner les spéciales les unes après les autres. Actuellement, en championnat du monde, cela s'apparente plus à du sprint, ce qui fait que les pilotes sont pied au plancher du début à la fin. Ce serait nettement plus dur pour une femme. Mais en rallye-raid, il pourrait y en avoir plus, car c'est vraiment de l'endurance sur plusieurs semaines, avec de la navigation, du pilotage, de la mécanique. Il faut être très complet et former une bonne équipe avec le copilote. Mais même là, en dehors de Jutta Kleinsmitt, je ne vois pas grand monde. Comme il y a peu de femmes qui tentent l’aventure et vu qu'il faut un certain temps, une bonne voiture et des moyens avant d'y arriver, la route reste très longue.
Caradisiac : Cela t’arrive-t-il de reprendre le volant d'une voiture de course ?
Michèle Mouton : Jamais ! Du jour où j'ai décidé de mettre un terme à ma carrière, je n'ai jamais voulu remonter dans une voiture. Après quinze ans de compétition, j'ai vraiment eu envie de tourner la page. J'ai eu ce qu'il y avait de mieux en matière de voiture de rallye, et je ne vois pas ce que ça pourrait m'apporter d’essayer à nouveau.
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