Autolib’ : mais où est donc passé le fameux rapport d'audit?
En janvier 2017, à la suite de la publication de prévisions financières alarmantes, les pouvoirs publics annonçaient le déclenchement d’un rapport d’audit sur les comptes d’Autolib’. En mai 2018, et malgré les demandes réitérées de Caradisiac, le syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole refuse toujours de divulguer les conclusions dudit rapport. Un silence pour le moins éloquent.
« Une voiture tout de suite, une place tout le temps » : avec une telle accroche, le succès semblait inscrit dans les gènes du service d’autopartage de voitures électriques Autolib’, lancé en décembre 2011. Fort de 151 674 abonnés au dernier pointage officiel, avec une moyenne de 11 668 locations quotidiennes, Autolib', qui compte parmi ses adhérents 103 communes d’Ile-de-France, est une affaire qui semble tourner rond, avec tous les attributs d’une mobilité moderne, écologique et connectée…
Seulement voilà, Autolib’ s’apparente surtout à une véritable catastrophe financière. En janvier 2017, le groupe Bolloré, en charge du service jusqu’en 2023, annonçait que les petites voitures électriques cumulaient les pertes avec un déficit s’établissant déjà à 179 millions d’euros, somme dont il n’acceptait de supporter que 60 millions en tant que délégataire de ce service public. Ce qui signifiait qu’il revenait au contribuable d’éponger les 119 millions d’euros restants, somme quelque peu élevée pour un service utilisé par moins de 1% de la population d’Ile-de-France.
Face à la bronca qui menaçait, de nombreux édiles franciliens qui étaient sur le point d’installer des bornes dans leurs communes décidaient de suspendre tous leurs projets, voire, pour certains, de les annuler purement et simplement. Et Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France, d’enfoncer alors le clou en déclarant à l’antenne de France Inter qu’Autolib’ en grande couronne, « ça n’est pas extrêmement rentable et ça ne marche pas très bien ».
Fin janvier 2017, pour tenter d’éteindre l’incendie qui menaçait, le syndicat Autolib’ Vélib ‘ Métropole, structure publique regroupant des collectivités et des établissements publics chargé de la mise en œuvre d'Autolib' et Vélib' à l'échelle en région parisienne, décidait illico d’augmenter les tarifs horaires et, surtout, utilisait sa botte secrète en annonçant officiellement le lancement d’un audit auprès du cabinet Ernst & Young: « Cet examen financier rigoureux, confié à un cabinet indépendant, permettra de confirmer ou d’infirmer ces chiffres prévisionnels. Il s’accompagnera de préconisations en vue d’un retour à l’équilibre d’ici 2023, aux fins de préserver ce service public pionnier et unique au monde par son ampleur, auxquels les usagers sont très attachés. Les conclusions de ce rapport sont attendues d’ici début mars. » Début mars 2017, est-il besoin de le préciser. Le problème est qu’au 11 mai 2018, date de la mise en ligne de cet article, on ne voit toujours rien venir.
Et ce n’est pas faute pour Caradisiac de revenir régulièrement à la charge. Le 5 septembre 2017, à force d’insistance auprès d’Autolib’ Metropole, nous nous voyons répondre qu’ : « en raison des négociations en cours avec la société Autolib’, le Syndicat ne peut pas à ce jour rendre public cet audit. »
Pas de quoi nous décourager, puisque nous saisissons alors officiellement la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), laquelle arbitre en notre faveur et en ces termes (voir le PDF en pièce jointe de cet article) dans un avis rendu le 11 janvier 2018: « Elle relève, en l'espèce, que si le syndicat fait état de négociations avec la société Autolib’ sur les différents aspects de cet audit, ce dernier ne semble pas avoir été commandé en vue de la prise d'une décision administrative précisément identifiée, telle que le renouvellement du contrat de délégation qui court jusqu'en 2023, mais répond à un souci d'information des élus du syndicat eu égard au déficit d'exploitation annoncé par le délégataire. […] Elle estime, en conséquence, que le rapport sollicité est communicable à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration […] »
« Victoire ! », pensons-nous alors un peu naïvement… Forts de cette réponse de la CADA, nous imaginons alors rapidement obtenir gain de cause et nous manifestons régulièrement auprès du service de presse et de la présidence du syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole par l’intermédiaire de courriers électroniques, sans jamais obtenir la moindre réaction de leur part.
Un black out qui ne laisse d’inquiéter, donc, et ce n’est pas la réponse finalement apportée à nos demandes, par un courrier daté du 23 avril consultable en pièce jointe de cet article, qui aura de quoi rassurer: « C’est dans l’optique de la procédure de la conciliation 2016 qu’a été commandé l’audit sur le service public Autolib'. Ce document avait pour finalité de servir de base d’informations et de négociations pour le Syndicat comme pour les membres du comité de conciliation. […] Au regard de ces éléments, le syndicat ne peut que maintenir sa décision de ne pas communiquer à M. Marie les résultats de l’audit relatif au service public Autolib’ réalisé par le cabinet Ernst & Young […]. » Circulez (électrique), il n’y a rien à voir !
On en est donc là, avec un service d'autopartage lourdement déficitaire et au sujet duquel les négociations avec le délégataire - Bolloré - sont manifestement extrêmement difficiles. Le bureau d'études 6-t, qui a publié fin mars une étude sur Autolib’, relève d’ailleurs que le nombre de trajets réalisés par les abonnés « 1 an » a baissé de 16% en 2017 par rapport à 2016, passant de 5,5 à 4,6 millions et conclut que « l’horizon de rentabilité d’Autolib’ continue à s’éloigner ». Et des questions restent en suspens: quelles sont les conclusions réelles de l'audit? Pourquoi cette chape de plomb sur un rapport? Des infomations plus sensibles encore que celles d'un lourd déficit nous sont-elles cachées?
Ajoutez au contexte les difficultés de déploiement du nouveau Vélib’ (qui dépend donc du même syndicat qu’Autolib’), et vous comprenez que la tâche du syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole est un peu compliquée actuellement... Alors certes, on ne demande pas à Autolib’, service dont le propos est de démontrer qu’une autre forme de mobilité est possible, d’afficher une rentabilité à deux chiffres. Mais ce n’est pas en faisant éponger ses lourds déficits par le contribuable, et en cachant le montant exact de ceux-ci, qu’il convaincra des avantages de déplacement individuels propres et partagés, et pourra s’étendre à d’autres territoires où il aurait aussi une véritable utilité.
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