Autoroutes-Transports : que cherche donc l’exécutif avec l’ART ?
Stéphanie Fontaine , mis à jour
Cela fait maintenant plus de sept mois que le régulateur des autoroutes se retrouve sans président. Par deux fois, l'exécutif a tenté de nommer une personnalité qui, sur le papier du moins, ne réunissait pas vraiment toutes les garanties d'indépendance escomptées. Retour sur sa dernière proposition, celle concernant Marc Papinutti, qui vient d'échouer.
Et de deux ! Les deux candidatures auxquelles l’Élysée a songé pour remplacer, à la présidence de l’Autorité de Régulation des Transports (ART), l’ex-député socialiste Bernard Roman, arrivé au terme de son mandat de six ans à la fin juillet, ont capoté.
À croire qu’il est bien difficile, malgré les émoluments promis (voir notre encadré tout en bas de cette page), de trouver une tête à cette autorité publique indépendante, chargée de la régulation des transports ferroviaires, par autocar, autoroutiers et aéroportuaires.
À y regarder de plus près, il semble surtout que l'exécutif ait tenté par deux fois une mise sous tutelle de l’ART, ce qui a déclenché une levée - apparemment réussie - des boucliers !
Première tentative avec l’ancien préfet de Police, Didier Lallement : elle a échoué avant même de devenir officielle, face à la fronde probable du Parlement.
En matière d'indépendance, c'est sûr que nommer un préfet, aux méthodes en outre déjà controversées, n'était pas des plus rassurants.
Une nomination de plus en plus discutée
Seconde tentative, sept mois plus tard, avec Marc Papinutti, le tout juste ex-directeur de cabinet de Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique : cette proposition de l’Élysée a été officialisée le 10 février dernier.
Et lorsque l'on scrute le CV de ce haut fonctionnaire, les gages d'indépendance sont, là aussi, loin de sauter aux yeux…
Mais patatras : Papinutti a lui-même décidé de renoncer à se présenter, a-t-on appris mardi 28 février, dans la matinée.
Avant son audition prévue ce 1er mars au Sénat, et celle une semaine plus tard à l’Assemblée nationale, et de ce fait annulées, sentait-il le vent de la fronde se lever ?
Car, pour être effective, sa nomination devait encore être avalisée par les deux commissions compétentes des deux chambres parlementaires, et ne pas recueillir une majorité hostile des trois cinquièmes.
Or, plus l’échéance de ces auditions approchait, moins cette condition semblait assurée.
S’il est inconnu du grand public, cet ingénieur des Ponts et Chaussées de 63 ans ne l’est absolument pas dans le landerneau des transports, à commencer par l’ART qui, selon les informations de Caradisiac, était loin de se réjouir de cette arrivée.
Tous les projets ou presque que l'Autorité a eu à traiter ces dernières années ont été en quelque sorte supervisés par ce dernier, du côté du ministère de l'Écologie et du Développement durable.
Entre 2017 et 2019, il a d'abord été directeur de cabinet d'Élisabeth Borne, quand celle-ci était ministre des Transports.
C'est d’ailleurs la Première ministre qui est à l’origine de cette proposition et qui a glissé son nom au président de la République.
D'où ces doutes quand à sa réelle indépendance…
La quasi-garantie d'un fonctionnement altéré
Puis, avant de rejoindre Béchu l’été dernier, Papinutti est devenu directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM).
Et à ce titre, il a assisté les différents ministres concernés dans tous les dossiers liés au transport, hormis l’aérien.
C'est à la DGITM que sont par exemple définies les orientations de la politique des transports routiers, ferroviaires, ainsi que des transports collectifs de voyageurs, en particulier en Île-de-France.
C’est elle encore qui, pour le compte du ministre chargé des Transports, assiste le commissaire du gouvernement auprès de la SNCF et exerce la tutelle de la RATP.
Comble de l’ironie : si cette nomination était allée jusqu’au bout, il serait ainsi revenu à Marc Papinutti de contrôler la Régie désormais dirigée par Jean Castex, lequel était donc Premier ministre quand lui-même était DGITM !
Enfin, il y a le sujet brûlant des autoroutes…
C'est au sein de la DGITM que sont notamment élaborés les contrats de concession d'autoroutes, dont chaque avenant ayant une incidence sur les prix des péages doit être soumis pour avis - certes consultatifs et non contraignants - à l’ART.
Au vu de tout ce qui précède, Papinutti aurait donc été « contraint de se déporter sur les trois-quarts voire les quatre cinquièmes des dossiers, ce que l’ART n’a pas manqué de lui faire savoir au cours d’un rendez-vous informel », nous glisse une source bien informée, inquiète pour ce fonctionnement potentiellement altéré.
Des désaccords flagrants avec l'ART
Et c'est sans parler de tous les désccords de ces dernières années…
Il n'y a qu'à parcourir les avis rendus par l'ART sur les autoroutes pour se rendre compte de la situation. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que celle-ci n'est pas des plus optimales !
Au mieux, les recommandations de l'ART sont suivies partiellement par le gouvernement.
Au pire, elles sont tout bonnement ignorées, comme pour le Contournement Ouest Montpellier (COM), cette rocade vouée à rester gratuite et que devait construire Vinci en contrepartie d’une augmentation des péages sur tout le reste de la concession ASF.
Dans son avis, l'ART avait jugé ce financement non conforme au droit et avait appelé l’État « à privilégier une mise en concession autonome »… Sans succès.
Pas de bol pour le gouvernement - et accessoirement Papinutti, derrière lui concerné - le Conseil d’État, saisi par un avocat-usager, vient de tout annuler, et, ce faisant, donner raison à l'Autorité !
De nouveau un ex-politique pour candidat ?
Est-ce que c'est pour tout cela que Papinutti a fini par jeter l’éponge ? Sollicité par Caradisiac, il a indiqué ne pas souhaiter réagir à ces informations.
Lors de l’audition de l’ART à l’Assemblée nationale le 8 février, son vice-président Philippe Richert, qui assure l’intérim depuis le départ du président Roman, n’a pas caché son intérêt pour la fonction.
« Je suis prêt », a-t-il assuré deux jours avant l’officialisation de la proposition de nomination de Marc Papinutti. Sera-t-il cette fois entendu ? On devrait être vite fixé sur le sort de cet ancien sénateur et président du conseil régional du Grand Est.
Arrivé en 2018, son mandat prendrait fin dans tous les cas dans 18 mois, en octobre 2024. Le temps pour l’exécutif de trouver le profil tant recherché ?
Combien touchent les présidents des autorités indépendantes ?
Les traitements ont été un peu revus à la hausse à l’été 2022. Depuis lors, la rémunération du président de l’Autorité de Régulation des Transports (ART) s’élève à plus de 154 000 euros, et celle de ses vice-présidents à plus de 117 000 euros par an.
C’est loin d’être l’autorité - administrative ou publique – indépendante la plus rémunératrice. L’Autorité des marchés financiers est la mieux lotie, avec plus de 230 000 euros pour son président. Ceux qui dirigent l'Autorité de la Concurrence et la Haute autorité de Santé (HAS) sont respectivement à plus 215 000 et 205 000 euros.
Les présidents de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), du Défenseur des Droits ou encore de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) récoltent pour leur part un peu moins de 187 500 euros.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération