Clap de fin pour le 80 km/h ?
On voit mal ce qui pourrait encore sauver le 80 km/h, honni par les conducteurs, lâché par les politiques et plus guère respecté faute de radars en état de marche. Vous êtes content ? Moi, oui, un peu, je ne sais pas…
J'en récupérerais bien un de ces panneaux 80. Pour bricoler une table basse. En juin dernier, j'avais déjà envisagé de mettre la main sur un obsolète panneau 90, mais ceux que j'avais repérés avaient un peu trop d'âge et de rouille ou de trous de balle… Alors que les 80, ils sont comme neufs.
Si j'étais président de région ou ministre des Transports, j'organiserais la collecte et la revente de ces panneaux. Certain que ça se vendrait très bien, et bien au-dessus du prix de la ferraille à laquelle ils semblent promis…
Faut-il s'en réjouir ? Personnellement, j'ai un peu de mal à voir cela comme une bonne nouvelle.
Le conducteur est-il bon juge de ce qui le menace ?
Certes, le 80 était difficilement respectable sur les routes de plaine et les anciennes nationales et d'ailleurs assez peu respecté. Mais comme presque tout le monde, j'avais levé le pied ou soulagé la poignée, ne pointant plus à 110 mais plutôt à 100, tablant comme beaucoup sur la faible probabilité de l'excès de vitesse à 1 point, récupérable en six mois. Pas vraiment une torture et il faut reconnaître que le tempo avait bien ralenti sur l'ensemble du réseau routier.
On peut aussi se féliciter que soit abandonnée une mesure adoptée sans concertation avec les élus locaux, sans expérimentation réellement concluante ni véritable effort de communication et de persuasion. Diminuer de 10 km/h une allure que l'on pratique depuis bientôt 50 ans méritait une explication plus subtile et convaincante que celle des fatidiques "treize mètres". Dire que le conducteur n'a pas été convaincu est un euphémisme.
D'un autre côté, ce conducteur est-il bon juge de ce qui le menace ; il craint le virage, la pluie, le brouillard et la neige alors que, statistiquement, ce qui le tue c'est la belle ligne droite bien sèche et bien large par grand soleil.
Le retour du 90… en plus du 80 et du 70…
Au fond, si je m'introspecte vraiment, derrière le plaisir tout personnel et égoïste de voir disparaître ou se raréfier ces panneaux, je ne peux pas m'empêcher d'y voir un vilain présage.
D'abord, ça me fait de la peine pour Edouard Philippe qui n'a pas mérité pareille humiliation. On peut penser ce que l'on veut du bonhomme et de cette mesure, mais il fallait des nerfs pour l'imposer à une opinion fortement hostile et à un président sceptique. Du courage, du flegme et de la constance, ce ne sont pas des qualités extrêmement répandues dans le personnel politique.
Ensuite, s'il s'agit, comme c'est envisagé, de confier aux Conseils généraux ou régionaux le soin de reconvertir ou non des routes au 90, d'en laisser d'autres à 80 sans parler des portions à 70, je préférerais encore qu'on ne touche plus à rien. C'est déjà assez pénible de gérer du limiteur ou de l'accélérateur les quelques portions à double voie maintenues à 90, s'il faut sans cesse se poser la question, on n'en sortira pas. Et cette fois, cela coûtera une fortune en panneaux. Sauf à adopter cette solution qui semble simple et de bon sens, suggérée l'été dernier par quelques élus : remettre à 90 km/h les portions à marquage latéral blanc, des routes larges par définition, et maintenir toutes les autres à 80.
Inconvénients, les administrés vont pousser à la consommation de peinture et l'impact du 80 disparaîtra totalement s'il n'est maintenu que sur des itinéraires où le dépasser n'est que rarement possible et très peu pratiqué.
Le 80, une revendication accessoire chez les gilets jaunes
Car comment nier que le 80 km/h a sauvé des vies ? On peut discuter à l'infini de ce bilan présenté trop tôt dans l'année et dont le résultat (189 tués en moins comparé à 2017) pourrait évoluer d'ici la livraison finale en mai. On peut ajouter que cinq tués de moins qu'en 2013 ne devraient pas faire crier au prodige du meilleur bilan de l'histoire de la Sécurité routière.
Mais il est difficilement contestable que l'annonce du 80 - l'effet d'annonce même - puis son entrée en vigueur ont infléchi la courbe des tués, orientée à la hausse depuis quatre ans. Combien de vies a sauvées ce petit ralentissement, on ne le saura jamais, mais des vies ont été épargnées comme à chaque grande réforme de la Sécurité routière. Faudra-t-il encore entendre que "pas du tout, c'est l'amélioration des voitures" ?
Enfin, je trouve que lâcher le 80 km/h sous la pression de la rue - et du rond-point -, c'est un peu minable. En admettant que ce fut l'avant-dernière goutte avant que le vase des gilets jaunes ne déborde, il ne s'agit plus que d'une revendication accessoire dans leurs rangs.
Au fond, les cinquante, cent ou deux cents vies qu'aura sauvées le 80, ce sont d'abord celles de gilets jaunes. Ceux qui roulent beaucoup sur les routes mal entretenues et peu surveillées de ce que le jargon politique et médiatique ose dénommer "les territoires".
Si on "offre" le 80 km/h en tribut aux gilets jaunes, pourquoi les motards ne saccageraient-ils pas les centres-villes pour obtenir la fin des limitations de bruit qui leur déplaisent tant ? Pourquoi les routiers ne bloqueraient-ils pas le pays pour rouler au gazole agricole ? Et les taxis, auto-écoles, VSL et ambulanciers pour ne plus s'acquitter de la TVA ?
Soit cette limitation de vitesse est importante et sauve des vies et il faut la défendre. Soit elle n'est qu'une mesurette anodine et il ne fallait pas l'adopter.
Tenir bon sur la suppression de l'ISF et abandonner le 80 km/h, terrible message livré au peuple.
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