DESIGN by BELLU : Hongqi, parader avec style
Nous voilà rassurés. À l’issue du suspense insoutenable qui a pesé sur le XXe Congrès du Parti communiste chinois (PCC), Xi Jinping a été réélu à la tête du Parti. Au passage, le timonier a renforcé ses pouvoirs, juste reconnaissance de ses actions en faveur des droits de l’homme. Soulagement du côté des Ouïgours qui ne perdront plus leur temps à espérer des jours meilleurs. Au passage, Xi s’est prestement débarrassé de son prédécesseur Hu Jintao… qui ne l’avait pas volé car l’impudent avait osé faire une remarque déplacée. Or, derrière ses allures débonnaires et sa dégaine rassurante du grand-père idéal, il ne faut pas le chercher le chef suprême.
Côté locomotion, Xi Jinping est aussi très exigeant. Il est l’indéfectible ambassadeur de la marque Hongqi, il teste toutes ses nouveautés et poursuit ainsi une tradition qui remonte aux années 1960. Hongqi est le label de prestige au sein de la First Auto Works (FAW). À ce titre, l’entreprise soigne son image avec soin et s’emploie à défendre une identité singulière à travers le design.
En septembre 2018, Hongqi a fait une grosse prise sur la planète des designers en allant débaucher Gilles Taylor qui ne dirigeait rien moins que les studios de Rolls-Royce ! Âgé aujourd’hui de cinquante-quatre ans, Gilles Taylor a commencé sa carrière en France. Après une formation à l’université de Coventry et au Royal College of Art, il est en effet venu travaillé chez PSA à Carrières-sous-Poissy en 1992. Cinq ans plus tard, il est entré chez Jaguar où il a dirigé le design pendant quinze ans avant d’entrer chez Rolls-Royce en avril 2011. Cet impressionnant CV avait tout pour séduire les dirigeants de Hongqi quand ils étaient à la recherche d’un nouveau souffle et d’une pointure en matière de création.
En effet, quand Gilles Taylor arrive chez Hongqi, la marque est en plein questionnement. Avant même d’avoir embauché sa nouvelle star, Hongqi avait entrepris sa révolution culturelle. Après n’avoir produit que des voitures de parade majestueuses, mais un peu compassées, réservées aux dirigeants de l’Empire du Milieu, Hongqi a fini par s’ouvrir au public. Aujourd’hui, le catalogue commercial comprend des berlines et des SUV cossus (séries H et HS), des véhicules commerciaux (série Q), une supercar que l’on a vue à Francfort en 2019 (la S9) et les limousines (série L).
Lors des derniers voyages de Xi Jinping, on a pu découvrir des limousines beaucoup plus modernes et moins statutaires que celles auxquelles nous étions accoutumées. En juillet 2022, à Hongkong, Xi Jinping utilisait une Hongqi N701 caractérisée par sa face avant très massive que le constructeur qualifie de « waterfall ». Trois ans auparavant, en mars 2019, le président chinois était venu en France avec un autre modèle, une Hongqi N501 au faciès moins agressif. Ces limousines N501 et N701 restent mystérieuses car elles ne figurent pas dans la gamme « régulière ». On évoque pour elles des motorisations V8 ou V12 qui pourraient provenir de chez Toyota, l’un des partenaires historiques de FAW.
Dès sa nomination chez Hongqi, Gilles Taylor a travaillé sur un concept car en guise de manifeste. Baptisé L-Concept, il a été présenté au salon Auto China de Shanghaï en 2021. C’est une longue berline, élégamment proportionnée, caractérisée par la grille emblématique de la marque, décorée de fanons verticaux, et par ses optiques cernés de cils, autre signature récurrente.
Il semble que les ultimes représentantes du style traditionnel de la marque, avec leur profil tricorps un peu guindé et leur face avant ponctuée par deux phares simples, ont été les grandes berlines L7 et L5, très proches l’une de l’autre, présentées respectivement en 2012 et 2013. Dérivées des limousines d’apparat, elles conservaient une ligne très classique qui, soit dit en passant, témoignait d’une compétence certaine en matière de design tout en respectant le patrimoine.
Parlons-en de ce patrimoine de la marque Hongqi, terme qui signifie « drapeau rouge » en mandarin. Le premier prototype réalisé à Changchun par la First Automobile Works (FAW) fut révélé en août 1958. Il s’agissait d’une grosse berline vaguement inspirée des productions américaines, avec en figure de proue une insolite calandre en forme d’éventail.
Deux mois plus tard, FAW dévoila un deuxième prototype, une décapotable taillée pour les parades. Issue de ces premières expériences, la Hongqi CA72 définitive entra en production en août 1959.
Pendant plusieurs années, elle fut de tous les cortèges et de toutes les célébrations. On en vit même un exemplaire exposé à la Foire de Paris, en mai 1965.
En avril 1966, une vraie limousine, établie sur un empattement beaucoup plus long, prit le relais. En devenant plus incisif, son style s’était modernisé.
Véritable voiture de parade, cette nouvelle Hongqi CA770 pouvait accueillir six personnalités dans son compartiment arrière. On y a vu Richard Nixon en février 1972 et Georges Pompidou en septembre 1973.
Pour les dirigeants chinois eux-mêmes, c’était le char officiel avec son toit ouvrant pour permettre aux monarques de défiler debout, saluer leurs ouailles et les haranguer grâce à une batterie de micro fixée sur le pavillon ! Grâce à sa longue carrière qui dura pendant une quinzaine d’années, la CA770 est devenue le modèle le plus emblématique de l’histoire de Hongqi. D’ailleurs, les différents prototypes élaborés par la suite sur des bases d’Audi 100 ou Lincoln Town Car n’ont pas réussi à la destituer.
On a donc continué à voir défiler la vénérable limousine en de multiples occasions : en 1984, avec le président Deng Xiaoping lors de la célébration du 35ème anniversaire de la naissance de la République populaire de Chine et quinze ans plus tard, avec Jiang Zemin pour le jubilé.
En revanche, en octobre 2009, pour les cérémonies du 60ème anniversaire, on découvre que Hu Jintao est à bord d’un nouveau modèle : la Hongqi CA7600J.
La face avant est restée fidèle à elle-même, mais le corps de la carrosserie a été singulièrement modernisé. Le même type de limousine est convoqué pour fêter le 70ème anniversaire de la fin de la seconde Guerre mondiale en 2015.
Pour le 70ème anniversaire de la fondation de la République populaire en octobre 2019, une nouvelle limousine est utilisée par Xi Jinping sur la place Tian’anmen. Cette L5 est une version modernisée de la CA7600J, impressionnante, majestueuse, monumentale.
Quand on pense qu’il y a des chefs d’État qui se contentent d’une DS 7, on est obligé de rendre hommage aux régimes autoritaires seuls à sauvegarder l’industrie des voitures d’exception.
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