DESIGNERbyBellu - Karim Habib, citoyen du monde
Entre les aléas des relations internationales et les aspirations au changement propres aux créateurs, Karim Habib a parcouru le monde pour construire sa carrière. Aujourd’hui, il travaille pour Kia. Jusqu’à la prochaine mutation…
Il a l’air tranquille, Karim Habib. Un peu mélancolique avec son regard de chien battu. Sa longue et svelte silhouette de gravure de mode avance d’un pas délié comme celui d’un félin… D’une voix douce il commente les formes, montre les galbes, explique les volumes d’un prototype. Mais il ne faut pas se fier aux apparences : Karim Habib est moins calme qu’il n’y paraît. Comme ses pairs, il bouge, papillonne, zigzague, ricoche, il aspire aux changements et aux découvertes. Sa vie n’en a pas manqué… En janvier 2017, il a quitté la direction du design de BMW où on le croyait implanté à vie, pour rallier l’équipe de l’une de ses plus ardentes concurrentes, Infiniti. Ce n’est pas son premier déménagement…
Les designers aiment changer d’air, de latitude, de milieu. Ils ont besoin de rebondir pour entretenir leur créativité. Pour faire avancer leur carrière, aussi. Les designers sont volages ; c’est dans leur nature. Au fil des mois, on voit se multiplier les mouvements entre les continents et entre les labels.
Chez BMW, les portes ont claqué plus fort encore qu’ailleurs pendant les dernières années. À Munich, on a dû encaisser la perte de Karim Habib en mars 2017. Il gérait le design de la marque BMW depuis mai 2012 sous l’autorité d’Adrian van Hooydonk supervisant tout le groupe (BMW, Mini, Rolls-Royce et les motos).
Fils d’une professeure de littérature française et de géographie, Karim Habib naît au Liban, mais pratique avec subtilité la langue de Houellebecq. Sa vie est rythmée par les exils. En 1976, il doit quitter le Liban avec son frère, sa sœur et ses parents, le pays du cèdre étant engagé dans une longue guerre civile. Il n’a que six ans. Karim se retrouve en Iran… Un choix malheureux car la vieille monarchie autoritaire se lézarde ; la révolution islamique gronde et débouche sur le départ du Shah et la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeini au début de l’année 1979. Nouveau déplacement obligé. Cap sur la Grèce avec un détour par la France, à l’Institut France Afrique de Dormans en Champagne. Finalement, c’est au Canada que la famille Habib va se fixer. L’ambiance est plus sereine au Québec. Nous sommes en 1981. À onze ans, Karim découvre enfin une vie stable avec un ancrage. « Montréal est ma vraie patrie, même si au total j’ai passé plus de temps à Munich ». Aujourd’hui encore, il y a ses habitudes : « quand je rend visite à ma mère, je ne manque pas une visite chez B&M, un bistrot de la rue Saint Viateur, pour me régaler d’un hamburger et d’un milk shake au beurre de cacahuète… ». Personne n’est parfait.
Au collège Stanislas, Karim Habib rencontre un champion d’escrime canadien qui lui donne le virus. Il occupe tous ses temps libres à manier le fleuret au point d’accéder au niveau du championnat du monde junior. Il effectue ses études supérieures à l’université McGill d’où il sort nanti d’un diplôme en génie mécanique. Mais il se cherche toujours un futur professionnel. À vingt-quatre ans, Karim part poursuivre ses études en Suisse, pour s’initier au design à l’Art Center de Vevey. Il enchaîne par un stage sur le campus de la même école à Pasadena, en Californie.
Là-bas, Chris Bangle, alors patron du design BMW, de passage à l’Art Center remarque les travaux de Karim… En 1998, le designer visionnaire engage le jeune diplômé chez BMW. Karim ne tarde pas à se faire remarquer : son projet pour le design intérieur de la Série 5 de 2002 est retenu. Puis il dessine le sublime concept-car CS présenté à Shanghai en mai 2007.
En février 2009, Adrian van Hooydonk succède à Chris Bangle. Quelques jours après, Karim Habib annonce son départ pour rejoindre Daimler… Relation de cause à effet ? Le designer reste muet sur le sujet… À Stuttgart, il est chargé des concept-cars pendant une courte période et il revient chez BMW en mars 2011 pour prendre la direction du design extérieur en remplacement de Anders Warning appelé lui chez Mini. En mai 2012, Karim Habib grimpe encore sur l’échelle des fonctions : il est nommé à la direction du design de la marque BMW. Les années passent et Karim Habib renforce son influence au sein des studios de design de BMW.
Mais à son insu, le futur de Karim Habib se dessine au bout du monde. Chez Nissan, la retraite de Shiro Nakamura entraîne le jeu des chaises musicales. Le designer japonais - présent depuis la formation de l’Alliance - se retire au profit d’Alfonso Albaisa qui gérait Infiniti. La direction d’Infiniti est donc vacante : Karim Habib, sa femme et ses enfants bouclent une fois de plus leurs valises. Direction Tokyo.Pas pour longtemps… Karim Habib est aussi remuant que talentueux. Après avoir passé dix-neuf ans chez BMW (entrecoupées par une année chez Mercedes-Benz !), après une incursion de deux ans chez Infinit de juillet 2017 à août 2019, il est remplacé par Taisuke Nakamura et rejoint le groupe Hyundai pour prendre en charge le design de Kia en septembre 2019.
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