En direct de la loi - PV pour non désignation : enfin une bonne nouvelle pour les entrepreneurs indépendants !
Stéphanie Fontaine , mis à jour
L'article L121-6 du code de la Route, entré en vigueur en 2017, a généré un contentieux important devant les tribunaux. Mais force est de reconnaître que la jurisprudence reste globalement défavorable aux contestataires, et donc aux entreprises dont le représentant légal a réglé un PV radar, plutôt que de donner l'identité d'un conducteur. Un arrêt récent de la Cour de Cassation change toutefois la donne pour les entrepreneurs individuels (nombre d'artisans, auto-entrepreneurs, professions libérales…). Toutes les réponses à vos questions juridiques sont à retrouver dans notre rubrique En direct de la loi. Voici les recommandations et les conseils de Maître Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier.
Le code la Route prévoit depuis 2017 la verbalisation des chefs d'entreprise qui ne dénoncent pas les conducteurs des véhicules de leur flotte flashés par des radars automatiques. Caradisiac en a beaucoup parlé et a dénoncé le caractère très discutable de cette loi, et de ces nouveaux PV pour "non désignation de conducteur" (NDC), à 450 euros au tarif minoré, qui ont fini par générer un contentieux important devant les tribunaux. Mais force est de constater que rien - ou presque (voir la vidéo ci-dessus et plus bas dans l'article) - ne semble fonctionner devant la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français…
"Rien ne fonctionne ? Dans ma pratique ce n'est pas vrai", rétorque Caroline Tichit. Selon l'avocate, "sur les milliers de contestations déposées par [ses] soins, il y a plus de 90 % de classements sans suite !" Autrement dit, ces affaires n'ont jamais été renvoyées devant la justice et n'ont donné lieu à aucune poursuite. Ce que nous avons pu remarquer à Caradisiac toutefois, c'est que pour les contestataires qui sont renvoyés devant les tribunaux pour être jugés - ce qui est donc apparemment minoritaire à entendre tous les avocats spécialisés dans la défense des automobilistes -, c'est compliqué d'avoir gain de cause. Surtout pour ceux qui ne sont pas conseillés par un avocat, car il s'agit de dossiers "juridiquement très techniques", reconnaît Me Tichit.
La Cour de Cassation pour l'heure défavorable aux contestataires…
Globalement, la Cour de Cassation donne plutôt raison à toutes ces poursuites, enclenchées sur la base de cet article L121-6 du code de la Route. Une soixantaine de procédures lui sont déjà parvenues, dont une dizaine de Questions Prioritaires de Constitutionnalité.
La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), qui permet théoriquement à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une loi à l’occasion d’un procès, doit toutefois réussir non seulement à passer le filtre de la juridiction devant laquelle cette QPC est soulevée, mais surtout passer celui de la Cour de Cassation (ou du Conseil d'État, quand il s'agit d'affaires relevant du droit administratif). C'est ainsi la Cour qui décide - ou non - de transmettre les QPC et de saisir le Conseil Constitutionnel, le seul à pouvoir juger de la constitutionnalité d'une loi.
Or, la Cour de Cassation n'a renvoyé aucune des QPC qui lui ont été présentées devant le Conseil Constitutionnel. Car aucune ne présente "un caractère sérieux", dixit la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, qui a prononcé à chaque fois un "non-lieu à renvoi au Conseil Constitutionnel".
Quant aux pourvois en cassation, qui représentent la dernière voie de recours en France, ils sont, du moins pour l'instant, dans leur grande majorité défavorables aux prévenus, et donc aux entreprises poursuivies pour ne pas avoir dénoncé les conducteurs, alors que leur représentant légal avait bien endossé la responsabilité de payer la contravention initiale issue des radars automatiques. Le 21 avril dernier, un arrêt de la Chambre criminelle a cependant changé un peu la donne.
... Sauf pour les entrepreneurs individuels !
La Cour de Cassation a en effet donné raison au tribunal de Police d'Auxerre (89) qui a relaxé un patron, en jugeant "que l'officier du ministère public, à qui incombe la preuve de l'infraction, ne produit pas de copie du certificat d'immatriculation, ni de relevé K-bis justifiant que l'entreprise est effectivement une personne morale inscrite au registre du commerce et des sociétés, ni d'autres documents, s'en tenant à l'immatriculation du véhicule avec un numéro SIRET pour en déduire qu'il s'agit bien d'une personne morale, et à une recherche Infogreffe dans lequel il est précisé que M. V... exerce en tant qu'entrepreneur individuel". Le jugement précise que "l'immatriculation d'un véhicule avec le numéro SIRET de l'entrepreneur ne confère pas, pour ce seul motif, à son propriétaire ou détenteur la qualité de personne morale, de sorte que son dirigeant ne peut être poursuivi".
Cette décision de la Cour de Cassation est importante. De fait, les professions libérales, bon nombre d'artisans, d'auto-entrepreneurs, soit tous les entrepreneurs individuels dont les noms et prénoms figurent sur les cartes grises, ont été poursuivis à tort pour "non désignation", une fois leur(s) PV radar réglé(s), et ont eu à payer (en sus) des sommes parfois astronomiques au Trésor public ! Car, à la suite de PV radar, ils ont reçu des amendes pour "non désignation de conducteur" (NDC) - à 675 € au taux forfaitaire, 450 € en cas de paiement rapide par Internet et… 1 875 € en cas de majoration ! - qui n'auraient pourtant jamais dû leur être réclamées. Cela signifie, qu'une fois payé leur PV radar initial, ils n'avaient rien d'autre à faire, ni à désigner qui que ce soit, y compris eux-mêmes.
Il n'y a qu'à se reporter à la réponse du ministère de l'Intérieur en janvier 2019, à la question d'un parlementaire, pour comprendre l'aveuglement des autorités par rapport à la situation particulière de ces entrepreneurs indépendants qui ne possèdent pas de flotte automobile dans leur entreprise, mais qui sont simplement détenteurs d'un véhicule avec lequel chacun travaille. "Les avis de contravention envoyés aux représentants légaux ne leur sont pas nommément adressés. Ils se limitent à la mention de la qualité de représentant légal du destinataire de l'avis, celle de la raison sociale de la personne morale qu'il représente, ainsi que l'adresse de cette dernière", peut-on lire dans cette longue réponse pour justifier la loi, alors que pour ces entrepreneurs, leur identité est justement clairement stipulée sur les certificats d'immatriculation.
Un ultime recours possible devant la CEDH ?
Ceci étant dit, bien d'autres arguments, qui paraissent tout aussi valables juridiquement, sont pour l'heure rejetés par la Cour de Cassation. Que les PV pour NDC soient par exemple dressés à l'encontre des entreprises, et non à leur représentant légal, comme c'est prévu par l'article L121-6 du Code la Route, et qu'en conséquence, l'amende forfaitaire prévue par ce même texte soit quintuplée - de 135 à 675 euros -, tout cela est admis pour l'instant. "La Cour de Cassation ne s'est pas non plus penchée sur tous les arguments que nous - avocats - avons opposés à ces procédures", tempère Me Tichit. "Ces procédures juridiques sont relativement longues, il faut continuer à se montrer pugnaces et ne pas hésiter à aller jusqu'au bout !"
La jurisprudence est encore trop récente pour être complètement stabilisée, elle peut toujours grandement évoluer, d’autant plus que d'autres arguments, non encore portés à la connaissance de la justice, peuvent fructifier. En outre, les classements sans suite qui se ramassent à la pelle en la matière, pourraient connaître une augmentation, avec la période exceptionnelle que l'on vient de subir et le confinement de deux mois, de nature à aggraver encore l'engorgement des tribunaux… Enfin, ultime recours, la CEDH, la Cour européenne des Droits de l'Homme, pourrait bien finir par être également saisie sur ces affaires.
Pour retrouver tous nos articles Droits
Et nos anciens articles sur la non dénonciation des conducteurs (NDC), et donc notamment la désignation des salariés par les patrons.
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