Essai Aprilia SL 750 Shiver : le p'tit frisson
Aprilia s'est lancé tout récemment sur le marché des roadsters de moyenne cylindrée. La Shiver 750 avait attiré tous les regards dès la parution des premiers clichés. Un look agressif particulièrement réussi, un équipement plus que complet, un bouilleur haute technologie. Elle avait les cartes en main pour déchaîner toutes les passions à son égard. Même son patronyme, comprenez "Frisson" en français, paraissait judicieusement choisi pour cette moto conçue dans le but de torturer la concurrence. La marque italienne a-t-elle réussi à insuffler à son nouveau modèle tout le folklore et le caractère que l'esthétique de la Shiver laissait suggérer ? La barre est haute, très haute…
Aprilia a appris à ses dépends que l'on ne confond pas vitesse et précipitation. Pressés de dévoiler au monde entier le fruit d'un travail, la marque de Noale présenta à la presse des modèles de pré-séries qui firent un fiasco. Le problème venait d'un réglage de la technologie Ride-by-Wire qui supplante le bon vieux câble mécanique d'accélérateur pour une gestion électronique des gaz, tel qu'on le retrouve sur les sportives Yam'. Résultat : un temps de réponse de l'ordre de la seconde entre la rotation de la poignée et l'arrivée de la cavalerie, bonjour l'angoisse. Mais que l'on se rassure, Aprilia a pris le temps de finaliser son bloc moteur et de régler son alimentation aux petits oignons. Et puis côté performance, on peut dire qu'ils ont été plutôt généreux : un bi-cylindre en L de 750 cm3 développant 95 cv et 8,25 mkg de couple, ça annonce du lourd.
Côté esthétique, ils n'ont pas eu besoin de revenir en deuxième semaine. Faut avouer en toute objectivité que la belle avait déjà tout pour elle. Personnellement, je trouve que c'est le plus beau roadster du parc moto français, aux coudes à coudes avec la Moto Morini Corsaro. D'ailleurs, elle lui a volé quelques ingrédients à la recette. On retrouve un cadre alu et treillis tubulaire, un réservoir taillé à la serpe, une double sortie d'échappement volumineuse sous la selle et une optique avant travaillée. Des couleurs contrastées du sombre au doré habillent parfaitement l'ensemble. C'est beau, tout simplement.
Concentré de technologies, la Shiver est dotée d'un équipement complet et pourvu d'une finition exceptionnelle. Tout d'abord, un compteur analogique pour le compte-tours et digital pour le tachymètre, le total et les trips, la température, la vmax et moyenne, un indicateur de rapport enclenché, un procédé de diagnostic moteur, un réglage de l'éclairage. Un très joli ordinateur, il ne lui manquerait que la parole… et une foutue jauge à essence ! A vouloir faire trop sophistiqué, on en arrive à oublier l'essentiel.
Côté partie cycle, pas de fausse note : fourche inversée Showa de 43 mm, freinage radial avec durits aviation, amortisseur arrière Sachs… une belle bête bien conçue, ça ne fait aucune doute.
Pour tester un roadster de cette envergure, rien de tel que la route des Thermes au dessus de Marseille. Les motards de la région avides de virolos vouent un culte à ce spot. Par contre, ce n'est pas tout à côté donc pas de temps à perdre. Je monte sur l'engin et j'apprécie de voir qu'une fois de plus, comme la Corsaro et la Tuono, les italiens ne conçoivent pas leurs motos uniquement pour des jockeys en mal de canassons. Une hauteur de selle qui filera le vertige à quelques uns mais qui me scie plutôt bien. La selle d'un seul tenant est plutôt moelleuse et confortable. La position est légèrement basculée sur l'avant et le guidon un peu haut. Le moteur sort de son sommeil en soufflant un son assez roque dans les grosses gamelles d'aluminium qui passent sous la selle. Ca sent bon tout ça, j'en ai presque des frissons.
Première enclenchée, je lâche l'embrayage et … … … elle se meut. Sur les très basses vitesses, le Ride-by-Wire se fait sentir en lissant totalement la plage de régime et en donnant l'impression au pilote qu'il persiste un temps de latence entre la commande et l'exécution. C'est pour le moins déroutant. On sort de la ville par l'autoroute et cette sensation de moteur aseptisé se concrétise. L'électronique joue le rôle d'un filtre à sensations pour optimiser la consommation de carburant et la pollution, au détriment du sourire du pilote. Remarque, vu la faible capacité du réservoir (15 l), heureusement qu'elle n'est pas trop gourmande. Mais où sont passés les 95 chevaux ?
Nous voilà sur une partie un peu plus sinueuse. Nico me fait signe de passer, j'ouvre en grand, ça se bouscule derrière le portail électronique qui tente de contenir la furie du bestiau, il en sort un début d'accélération sage puis une poussée un peu plus franche qui fera lever la roue avant. Le tout dans un râle rauque vraiment délectable pour les oreilles, de quoi faire pâlir de jalousie certains échappements non-homologués. Enfin un semblant de coup de pied au postérieur. Pour un twin de cette envergure, c'est le minimum syndical.
En fait, le Ride-by-Wire pénalise surtout à bas régime, mais dès qu'on monte un peu dans les tours et que la moto a de l'inertie, l'accélérateur devient aussi précis que sur une moto standard. Nous arrivons enfin sur la route des Thermes, détrempée par les pluies d'automne mais que le soleil matinal s'évertue à sécher. L'agilité de la Shiver se fait vite sentir et c'est un bonheur de l'envoyer d'un angle à l'autre. La route est humide et n'invite pas tout de suite à la fougue mais petit à petit, légère et vive, elle met en confiance et on se laisse griser.
Le freinage radial laissait présager plus de mordant, il n'en reste pas moins suffisamment efficace. Le châssis est rigide, la moto encaisse plutôt bien et reste précise sur les trajectoires. Elle bénéficie d'une garde au sol très confortable et le train avant met en confiance. Petit à petit, on se surprend à se sentir très à l'aise à son guidon. Et c'est l'étape juste après qui calme les ardeurs. Quand on commence à ouvrir dans la sortie de courbe et qu'on souhaite que le twin nous propulse comme une balle, on sonne aux abonnés absents. La Shiver est très rassurante tant qu'on n'essaye pas d'y aller trop fort. Au-delà, on reste sur sa faim.
Avec tout ce bagage technique, cet étalage de friandises pour grands enfants, tout bon motard serait en droit d'attendre de cette machine d'être affûtée comme une lame de rasoir, qui se fait encore plus jouissive quand on la pousse dans ses derniers retranchements. Eh bien que les choses soient claires, ce n'est pas le cas. La Shiver a de nombreux atouts mais les aptitudes sportives ne sont pas dans sa liste. Difficile alors de venir se frotter au Hornet 600, au Z750 ou pire encore à la Street Triple. Aprilia a joué la carte de l'innovation et de la facilité, il doit certainement y avoir un public ciblé.
Nico fera le même constat après quelques kilomètres à son guidon. Il lui reproche une position de conduite peut propice à l'attaque à cause du guidon un peu haut. Et surtout ce comportement moteur linéaire au possible, tout en douceur, très "politiquement correct". A un point tel qu'il ne voulait pas croire que la Shiver avait plus de 70 chevaux. N'espérer pas transporter avec vous autre chose qu'un paquet de mouchoir, le coffre est tout simplement inexistant.
Les roadsters pourvus de bicylindres 750 cm3 appartiennent à une espèce rarissime. Un créneau intéressant dans lequel Aprilia aurait pu s'imposer en maître s'ils avaient décidé d'associer au look agressif un moteur tout aussi bestial. Mais les italiens ont joué la carte de la routière exempte de défaut, apportant à la beauté latine des qualités de douceur du moteur, de confort et de quiétude. Contre un chèque de 8 000 €, elle ravira ceux qui souhaitent une belle bécane dernier cri, parée de beaux équipements et d'une finition soignée, pour leurs balades dominicales et les virées entre copains. Les furieux du frisson, quant à eux, passerons leur chemin…
Merci à Xavier et son équipe pour cet essai :
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Tél: 04 42 943 943
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