2. Essai - Triumph Scrambler 1200 XC : Scrambler pur-sang anglais
Entre l'appel de la terre et la pelle dans la terre, il n'y a souvent qu'un pas (enfin un tour de roue pour être précis). Surtout lorsque ladite terre est de type glaise bien glissante. Plus encore lorsqu'elle abrite de nombreuses flaques ocre, insondables et mystérieuses, disséminées dans des portions improbables et de préférence piégeuses. Mieux encore, le trajet détrempé au milieu de Nulle Part (et que c'est beau, cet endroit), comporte au choix, courbes en aveugle, passage en sous-bois façon patinoire ou encore rigoles pas rigolotes entre deux clôtures barbelées… Sans oublier les rocs ultra-glissants et tout juste affleurant, les cochons noirs, chèvres et autres animaux en liberté sur les pistes empruntées. De quoi tester pleinement les capacités d'improvisation du pilote, et surtout les assistances de la nouvelle Scrambler 1 200 XC. Le plus drôle (humour british, sûrement), étant que ladite version n'est pas forcément celle prévue par Triumph pour mettre les pneus dans la terre.
La solution dans ces conditions ? Avoir une bonne moto entre les jambes, même si elle ne semble pas de prime abord dédiée à ce genre d'exercice. Cela étant, rien ne remplace une bonne prière à Saint Équilibre. Bien évidemment, la Scrambler 1 200 XC est une moto apte à faire du off road. Du gentil, de préférence. Une fois qu'on l'a entre les jambes, on se pose tout de même plus d'une fois la question. Les raisons ?
a) Elle fait son poids ! 205 kilos à sec, ce sont près de 220 tous pleins faits. Même avec une masse bien distribuée, on n'aimerait pas à avoir à la retenir ou à la redresser. Et pourtant…
b) Les protections sont rares : sur ce modèle, on ne retrouve que le sabot moteur en aluminium. Les leviers de frein et d’embrayage Brembo n'étant pas parés, ni relevables, on a deux solutions : opter pour les pare-mains optionnels, ou opter pour des leviers de rechange à chaque sortie off road…
c) Une Scrambler de Triumph, c'est tellement mignon à voir bien propre que l'on aurait presque des scrupules à la salir… Presque. Cela étant, une fois que l'on l'aura vue bien salie, on appréciera aussi ce look aussi improbable que probant.
Fi des doutes en tous genres, c'est parti pour une journée de roulage « off road » et plusieurs sessions boueuses. Distribuées dans une journée mouvementée, elles mettent en avant les montes pneumatiques Metzeler Tourance et Pirelli Rallye homologuées pour ce modèle. La prise en mains s'opère sur un ovale en terre avec la monte allemande. Le but ? Tester le mode Enduro. Celui-ci désactive l'ABS uniquement à l'arrière, afin de permettre la glisse au freinage. Une glisse que le contrôle de traction également recalibré permet quant à lui lors d'une belle accélération sur l'angle. De quoi mettre en pratique les bases pour inscrire la Scrambler 1 200 sur sa trajectoire terreuse. Autant dire que l'on pousse rapidement la 1ère jusqu'à ses 76 km/h maxi en s'en tenant là, même si le mode Enduro conserve le freinage anti blocage de la roue avant. La transmission par chaîne fait immédiatement ses preuves, en éliminant toute inertie et poussée résiduelles connues sur les modèles à cardan. Par contre, l'entretien de la transmission secondaire comme celui de la moto sera à l'avenant : il va falloir nettoyer à haute pression !
Les premiers tours de piste impressionnent par la facilité de la manœuvre. L'équilibre et l'aisance à garder le cap ou à le reprendre rapidement rassurent pleinement. Les Metzeler Tourance tiennent bon, même dans ces conditions, tandis que l'anti patinage fait le maximum en ligne « droite » pour assurer une traction correcte sans risquer de sentir l'arrière chasser. De quoi brimer un peu les plus hardi, mais aussi de quoi ne pas subir de transfert de masse trop important. Si le poids et l'amortissement assez souple de la Scrambler 1 200 n'incitent aucunement à se sentir pousser des ailes, on vise l'efficacité, et c'est réussi. Le moteur se montre à la fois docile, onctueux et d'une force imposante dès les 2 000 tr/min dépassés. On apprécie particulièrement la très bonne gestion de l'accélérateur sans câble : la poignée droite, à la rotation ferme, résiste juste ce qu'il faut, offrant un bien meilleur ressenti que celui éprouvé sur la R1250 GS. La prise en mains rime donc avec prise de confiance, tandis que l'on comprend vite le mode d'emploi du bicylindre vertical. Ses plages d'utilisation optimales sont évidentes : Gros couple entre 1 500 et 4 000 tr/min, puis puissance entre 5 et 7 000. OK, mode d'emploi off road en poche, il est temps d'élargir les horizons et d'aller se salir un peu (beaucoup).
Promenons-nous dans le bois pendant que la boue n'y est pas. Il y a de quoi pousser la chansonnette dans le casque, sans pour autant trop se décontracter. Debout sur les repose-pieds endurisés pour l'occasion, les bottes routières apprécient le contact plutôt confortable du métal cranté. Bonne nouvelle, les bottes enduro ne sont pas une nécessité, juste un supplément de sécurité pour les plus affirmés des arpenteurs de chemins. Au fil des kilomètres de pistes non carrossées, où l'on ne croise âme qui vive autre que bovine ou caprine, l'avant reste précis et permissif. Il gomme volontiers les écarts de trajectoire et les saillies, tandis que l'on profite du couple omniprésent du bicylindre anglais. Quant à savoir ce qu'il se passe si l'on est déstabilisé, la réponse est simple : on couche la moto. Vécu lors d'un demi-tour en pente accompagné d'un déséquilibre, nous n'avons pu qu'accompagner la masse au sol et poser la moto sur le flanc. Pour la relever, il vaudra mieux être deux ! Bonne nouvelle, aucun stigmate de ce « poser de moto » n'était visible une fois la moto remise sur ses roues.
Les nombreuses glissades ayant émaillé cette sortie dans la gadoue nous auront permis de constater l'excellente constitution de la Scrambler 1 200 et sa capacité à résister aux agressions diverses : c'est du solide et du bien pensé. Le guidon est à ce titre particulièrement robuste, tandis que les pontets absorbent les chocs… quittes à se tordre un peu. Ils protègent en tout cas efficacement la moto, dont les carters restent saufs dans la mélasse, tandis que plaque de protection de pot portent bien leur nom. La notion de Off Road n'est donc pas qu'un argument marketing pour la Scrambler 1200 : Triumph a bel bien intégré la notion, les bases et même un peu plus dans la conception de la Scrambler, même si cette version XC se destine principalement à la route. Justement, la deuxième journée de roulage, sur ruban noir cette fois, apporte son lot de bonnes surprises et confirme l'impression générale de grande(s) qualité(s) du modèle. La Scrambler ayant convaincu en conditions extrêmes et malgré les difficultés, il nous tardait de la retrouver sur le dur !
C'est fou ce que l'on est bien sur du goudron, quand on y pense. Surtout au guidon de la Scrambler 1 200 XC. Même lorsque l'on se prend de belles nappes de brouillard. La position de conduite « assis » est bien conçue et franchement naturelle. Les jambes idéalement placées se font oublier, tandis que les bras parallèles au sol ou presque, rappellent que la selle est haute dans l'absolu, mais pas une fois que l'on a posé son postérieur dessus. Le dos droit et le fessier avancé sur la partie étroite de la selle – expliquant au passage la sensation de se retrouver avec le cadre de l'assise plus présent entre les jambes à la longue —, on évolue sans peine ou presque : l'asymétrie de la moto est criante. Le pied gauche en 43 fillette rencontre le carter moteur, tandis que le mollet, le genou et la cuisse droits composent avec la ligne d'échappement relevée. Scrambler oblige… Outre l'encombrement prononcé, on note surtout un très important dégagement de chaleur au travers des grilles d'évacuation. Gosh. La solution ? Un pantalon doublé et rouler, rouler, et surtout… rouler… en écartant un peu les pattes hors phase d'attaque.
Pour rouler, justement, la dotation d'origine de la Scrambler 1 200 est idéale. Le guidon se montre par contre assez plat. Il allonge donc logiquement les bras, tout en offrant un agréable bras de levier permettant d'exploiter le rayon de braquage certes moyen, mais largement suffisant. La stabilité est une fois encore au rendez-vous. Les poignets fragiles et gros rouleurs apprécieront un cintre plus fermé afin de profiter des quelque 250 km d'autonomie annoncés par l'ordinateur de bord, et de moins solliciter la musculature. Justement, passons en mode moteur Sport, et profitons du niveau d'assistance allégé. Premier point : laisser le temps de chauffer aux pneumatiques à pavés. Les Metzeler Tourance demandent quelques kilomètres avant d'offrir le grip adéquat. Une fois que l'on commence à ne plus les sentir hésiter à accrocher, enrouler prestement devient un régal. La vocation même de cette Scrambler XC se révèle. Elle n'est pas qu'une machine de terrasse de café, elle est une routière de premier plan.
Alors que le tracé d'asphalte prend des airs de tourniquet bordé de panneaux jaunes indiquant des courbes serrées, un petit réglage du levier Brembo s'impose. Quelques tours du réglage du levier conventionnel et l'on dispose d'une attaque plus rapide du frein avant. Surtout, la puissance des étriers M50 est bien plus présente. Dès lors, on profite pleinement des relances du moteur et de son allonge. Broap. La 2nde accroche déjà le 110, tandis que la 3e emmènera volontiers sur les voies d'accélération autoroutières, avec un peu plus de 140 km/h compteur. Le 200 est à portée de roues pour nos voisins allemands, mais à quoi bon ?
La protection de la face avant nous est en tout cas apparue largement suffisante pour supporter l'exercice et ne jamais avoir les cervicales douloureuses. Merci également le Shoei Hornet ADV et merci le bloc instrumentation, seul déflecteur en place sur la moto. L'air remonte sur le haut du casque et se montre bien moins gênant que sur une autre Scrambler : celle de Ducati. Une fois encore, la Scrambler XC de Triumph démontre qu'elle n'est pas là pour faire de la figuration. Elle donne même raison au marketing de Triumph, en prenant place dans toutes les catégories moto : du roadster au trail baroudeur, en passant par la routière dénudée. Comme souvent à présent, il faudra par contre passer à la caisse (enregistreuse, hein, pas la voiture), afin d'affirmer tel ou tel aspect de la moto. Pour ce faire, il existe des « kits d'inspiration », développés par Triumph, mais aussi et surtout un catalogue d'accessoires regroupant plus de 80 références. On pourra alors choisir de privilégier le look « rando sac à dos », de renforcer l'identité off road, ou tout simplement de compléter quelques rares lacunes d'équipement. Un manque de poignées chauffantes par exemple ! Triumph avait d'ailleurs doté nos modèles d'essai de cet équipement de confort. Mais revenons-en aux prestations moteur de la XC.
Des évolutions entre les 2 et 4e rapport permettent de bénéficier à la fois du gras et gros du couple. On s'offre les sensations moteur. Voluptueux, velu et velouté, le bien nommé bicylindre en… Vertical Triumph s'impose comme un monument du genre. Avec tout ce qu'il faut là où il faut, quand il faut, il rappelle ce qu'est un maxi-trail tout en offrant un peu plus. Le tout enrobé de la sonorité métallico gromeleuse du double échappement. Là encore, une résussite : jamais trop forcée, toujours agréable, la voix de la Scrambler 1 200 donne dans les basses tout en participant au plaisir d'évoluer à bord. On l'accompagnera volontiers d'un peu de scriiiiitch métallique lorsque les repose-pieds viendront à leur tour démontrer la capacité de la Scrambler XC à prendre de l'angle. Quant à la pertinence de l'anti patinage, déjà appréciée la veille sur terre en mode Enduro, on la retrouve ici.
Le calibrage du contrôle de traction nous est apparu excellent et il n'aura frustré les relances pêchues plein angle qu'à 3 ou 4 occasions. Sur un parcours de près de 200 km et quelques milliers de virages, on lui pardonne volontiers. Le reste du temps, l'assistance à la motricité aura offert la réponse adéquate et simplement limité l'accélération. Du moins tant que les conditions de grip n'étaient selon elle pas optimales. Idéal en cette journée mixant brume et soleil, mais aussi routes sèches et passages glissants. Idem niveau ABS, lequel n'aura eu l'occasion d'intervenir que très rarement… et à l'arrière uniquement. D'une part grâce à sa configration bien pensée, d'autre part eu égard au frein moteur d'autre part grâce à l'aisance des changements d'angle et à leur rapidité. Certes, à l'attaque, l'avant s'allège copieusement et l'on sent parfois le pneu riper dans les phases de transition et de forte accélération, mais on ne pose aucune question. Freiner ? Pour quoi faire ?? Quand on va trop vite, oui, mais en l'occurrence, les limites sont fixées par la route et les mauvaises surprises sont rares. Du coup, on adopte le freinage dégressif avant l'entrée en courbe… et l'on plonge dedans tout en souplesse, en sortant ou non la jambe comme la veille dans la terre.
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