Fin de la vitesse libre en Allemagne : l’occasion de repenser nos voitures ?
Enfin voté, l’abandon de la vitesse libre en Allemagne pourrait être l’occasion de révolutionner nos voitures, de les rendre moins chères et plus sobres. Et peut-être aussi d’éviter l’effondrement de l’industrie automobile européenne.
C’est quand même fou cet embarras, autour des limitations de vitesse sur autoroute. Je ne parle pas de celui exprimé par la première ministre Élisabeth Borne démentant s’être jamais déclarée favorable au 110 km/h sur autoroute. Pas d’avantage du grand silence des politiques et des médias autour de cette question alors qu’il y a cinquante ans, dans le même contexte de guerre, de menace de pénurie et d’envolée des prix, le gouvernement avait immédiatement instauré les premières limitations, à 120 km/h (puis 140, puis 130) sur autoroute.
Non, j’évoque le fait que presque aucun média français n’a évoqué la fin de la vitesse libre sur les autoroutes allemandes, votée à l’unanimité voici deux semaines par les ministres de l’Environnement des seize Länders.
Un véritable événement que l’abandon de ce totem que l’industrie automobile allemande défend depuis un demi-siècle au nom de la réputation d’excellence et de performance de ses « ahotos ».
Il aura fallu une guerre pas loin de ses frontières et la perspective de la fermeture du robinet à pétrole russe pour que l'Allemagne mette fin à cette exception devenue une aberration. Une guerre et aussi la promesse de la neutralité carbone en 2050…
Leur restera à s’accorder sur le chiffre après le 1 et avant le 0 : 130 km/h comme en France et en Italie est le plus souvent avancé mais certains ministres préféreraient le 110 pour le signal donné à la population et aux États voisins.
À 130 km/h, le roi est nu
Pour l’industrie automobile mondiale, la fin de la vitesse libre sur les autoroutes allemandes est un énorme bouleversement. Bien plus en fait que pour l’automobiliste germanique déjà majoritairement acquis au 130 km/h recommandé.
Si même en Allemagne, on ne peut plus rouler à fond les ballons, le roi est nu : ces rapides berlines, ces puissants SUV, ces centaines de chevaux, ces énormes roues et freins, tous ces coûteux standards d’excellence imposés au fil des décennies de Detroit à Turin, de Shanghai à Sochaux, deviennent subitement absurdes, inutiles.
Munich, Stuttgart, Zuffenhausen et Ingolstadt ne seraient plus les Mecque des ingénieurs, les lieux où s’édictent les canons de la bonne bagnole. À moins qu’elles ne le restent en s’adaptant à la nouvelle donne.
Et cela est beaucoup plus prometteur que la baisse – anecdotique en fait – des émissions de C02 entre Bonn et Berlin, Fribourg et Hambourg.
Car voici enfin une chance de repenser nos voitures dans un sens conforme aux nécessités de l’époque et de sortir du carcan du toujours plus vite qui a rendu nos voitures superfétatoires, inutilement gourmandes malgré les progrès des moteurs (hors Covid, les volumes de carburant consommé sur le vieux continent n’ont jamais diminué) et surtout désormais hors de prix.
Qui pour motoriser les 750 millions d’Européens ?
Car il ne s’agit pas seulement d’écologie mais d’économie : une part sans cesse croissante et désormais largement majoritaire des Européens n’est plus en mesure d’acheter une voiture neuve.
L’envolée de leurs tarifs, et celle plus radicale encore qu’amène la voiture électrique, rend parfaitement utopique le renouvellement de nos parcs automobiles et encore plus leur électrification. Nous achetons toujours plus d’occasions, toujours plus anciennes et que l’on fait durer toujours plus longtemps.
Même la Golf n’est plus la voiture de Monsieur Toulemonde. Il est vrai qu’elle en offre plus qu’une Mercedes Classe S des années 90.
Dans ce contexte aberrant où l’industrie automobile n’a plus comme client que des retraités aisés et des entreprises prospères et où l’essentiel de la population use jusqu’à la corde le parc des thermiques, qui pourra motoriser les 750 millions d’Européens à hauteur de leurs moyens ? Je ne vois que la Chine pour y parvenir : regardez les tarifs d’une Aiways ou d’une MG, il y a bien moins cher là-bas…
Et au fait, qui domine intégralement la chaîne de fabrication de la batterie, de l’extraction des matières premières à la fabrication des cellules ?
Tenir le 130 sans rétrograder dans les montées…
La partie est perdue ? Pas si nous renversons la table.
La fin du mythe de la vitesse libre et du carcan qu’elle imposait rend enfin possible de révolutionner la voiture, de la rendre à nouveau conforme à son usage réel et aux moyens de l’acheteur. Et plus qu’accessoirement, d’échapper à son électrification générale et obligatoire.
C’est pour cela aussi que je plaide pour le 110 km/h généralisé à toute l’Europe. Si plus aucune voiture n’est susceptible de dépasser cette allure, les bases de leur conception pourraient radicalement changer. Plus besoin de plus de 100 chevaux, de surdimensionner roues, freins et châssis, d’insonoriser à l’extrême, d’accélérer sans cesse l’électronique. Du cercle vicieux qui a alourdi nos voitures de 50 % en 30 ans, on basculerait dans un cercle vertueux qui les allégerait et les rendrait bien plus abordables.
Mon cousin qui s’inquiète, en choisissant la version 90 ch, de devoir rétrograder dans les montées de l’A71 pour maintenir l’aiguille à 130 serait enfin libéré de ce souci, et avec lui des millions de conducteurs soucieux de tenir leur rang sur le grand ruban européen.
Côté performances, la moto a déjà montré la voie en mettant un bémol à l’escalade. À côté des 1 000 cm2 de 200 chevaux et 200 kg qui font causer mais ne se vendent plus guère, les machines à succès ont des moteurs raisonnables, de 60 à 100 chevaux, mais avec du gros couple à bas régime. Résultat, des reprises canon aux allures usuelles, des moteurs souples et vifs, des tarifs accessibles et, sans même avoir recours à l’injection directe, des consommations routières comprises entre 3 et 4 litres aux cent.
Éviter l’électrification ? Ou bien la réussir ?
Des voitures conçues pour rouler à 110, avec une vitesse maxi guère supérieure, une bonne aérodynamique et un poids ramené sous la tonne descendraient à 2l/100 km, ce qui aurait un autre énorme avantage : elles pourraient respecter les engagements de réduction globale des émissions de CO2 tout en échappant à la conversion électrique. Ou à l’inverse, elles pourraient y parvenir en se contentant de batteries plus petites.
Car le fameux « 100 % de voitures électriques en 2035 » dont débat aujourd’hui le parlement de Strasbourg est une utopie si nous conservons un standard automobile se situant entre la Zoé et les Tesla.
Dans ce contexte, une électrification générale et obligatoire en douze ans est, au choix, une chimère ou un cauchemar.
Une chimère car l’industrie automobile européenne n’a pas la capacité d’opérer une conversion si brutale sans s’offrir sur un plateau aux constructeurs et équipementiers chinois. Parce que les matières et matériaux nous échappent, et peut-être même bientôt les microprocesseurs taïwanais.
Un cauchemar parce que le financement de l’infrastructure nécessaire à cette conversion dévorerait les budgets publics au détriment de toute autre priorité. On ne pourra à la fois subventionner l’isolation des logements et des bornes de 350 kW partout.
Sans parler des dégâts sociaux qu’il faudra assumer avec des pans entiers de l’industrie qui s’effondreraient et de la perte de souveraineté quand d’autres pans changeraient de pavillon. Et je n’évoque même pas le désastre écologique découlant de la chasse éperdue au lithium, au nickel, au cobalt et autres métaux rares pour fabriquer 600 kg de batterie multiplié par les 300 millions de voitures du vieux continent.
Qui paie les 100 km/h inutiles au compteur ?
Ce qui me surprend le plus, c’est que des deux côtés du Rhin, les plus farouches opposants à l’abaissement des vitesses sont ceux qui y auraient le plus intérêt.
En Allemagne, les constructeurs – sauf a priori VW – s’accrochent toujours à leurs tronçons sans limitations alors qu’ils sont de loin les plus exposés aux déboires décris ci-dessus. Et aussi les mieux placés technologiquement, financièrement et industriellement pour refonder les bases de l’automobile du XXI siècle et ainsi faire pièce aux Chinois en imposant un nouveau standard vertueux et innovant, qu’il soit thermique, électrique ou, probablement, les deux à la fois. En France, ce sont les quarante millions d’automobilistes qui s’opposent le plus résolument au 110 km/h sur autoroute. Alors que ce sont d’abord eux qui paient très cher les 70 ou 100 km/h inutiles à leur compteur, la sophistication inutile que cela engendre et les factures d’entretien (pneus, freins, mécanique) et de carburant qui vont avec.
Tout le monde se lève contre le 110 km/h et Emmanuel Macron avec, mais qui s’insurge des 20 000 € d’une 208 ou Clio de base ni des 5, 6 ou 7 litres aux cent que, depuis que nous avons décroché le permis B, nous consommons invariablement ?
Nous rêvons de Porsche sur autobahn tout en finissant des 307, des C5 et des Laguna mais surtout, ne changeons rien et ne levons pas le pied…
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