L'établi : un intello chez les prolos sur la chaîne de Citroën
Adapté du livre éponyme de Robert Linhart, le film L'établi raconte la plongée d'un philosophe embauché à la chaîne chez Citroën en 1968. Deux mondes se croisent et se frôlent, sans toujours se comprendre dans le décor parfaitement reconstitué de la ligne d'assemblage des 2 CV de la Porte de Choisy à Paris.
C’était mieux avant dit-on parfois. Mais le temps d’avant n’était pas toujours le bon temps. En tout cas, celui des chaînes de l’usine Citroën de la Porte de Choisy en 1968, n’est pas le paradis ouvrier emprunt de nostalgie d’avant le CAC 40 et les dividendes. C’est un univers dur ou le racisme perdure et ou la lutte de classe reste féroce. Un univers ou les cols-blancs ne côtoient pas toujours les cols-bleus, si l’on en croit le livre de Robert Linhart l’Établi qui vient d’être adapté au cinéma et projeté dans les salles depuis mercredi.
L’ouvrage n’est pas un roman, mais un épisode de la vie de son auteur. Il est normalien, philosophe et comme quelques-uns de ses compères, il décide, après le mois de mai 1968, de se transformer en ouvrier, de devenir un « établi », comme on dit dans le folklore maoïste de ces années-là. Le but de la manœuvre : mieux connaître le monde ouvrier, et s’en imprégner pour mener son propre parcours politique, très à gauche, forcément. Alors va pour l’usine Citroën de la Porte de Choisy à Paris, ou Linhart se fait embaucher sur la chaîne de fabrication des 2 CV et se blesse dès l’embauche.
D’emblée, on guette la caricature qui présenterait un monde ouvrier de légende, solidaire et fier, face à des patrons forcément bornés. Or, il n’en est rien, ni dans le livre de Linhart, ni dans le film réalisé par Mathieu Gokalp. Le chef du personnel (on ne parlait pas encore de ressources humaines dans ces années-là), est campé par Bruno Podalydès. Il est intelligent, et plutôt compréhensif, même s’il explique au nouvel ouvrier « qu’il n’a rien à faire là, et qu’il ferait mieux de tenir son rang ».
"La politique, c'est que des problèmes"
En face, les ouvriers ne sont pas forcément tendres, et, pour nombre d’entre eux, à 1 000 lieues de la prise de conscience d’une lutte des classes. C’est le cas de cet immigré, qui travaille lui aussi à la chaîne et pour qui, « la politique, c’est que des problèmes ». À l’inverse, ce prêtre-ouvrier cégétiste, s’avère beaucoup plus radical que le philosophe gauchiste. Il ne s’agit pas, pour le cinéaste, ni pour l’auteur, d’inverser les rôles, mais de nuancer le propos, et in fine, de démontrer que ce ne sont pas les hommes qui sont à blâmer, mais le système.
En plus de refuser le manichéisme, le film est également porté par des comédiens hors pair, avec, dans le rôle de l’intello prolo, l’excellent Swann Arlaud, couronné d’un césar en 2018 pour sa performance dans Petit paysan d’Hubert Charuel. Dans un second rôle, Olivier Gourmet est tout aussi convaincant en prêtre-ouvrier. Ces acteurs évoluent dans un univers très réaliste puisque la chaîne de la Porte de Choisy, a été entièrement reconstituée dans un entrepôt Michelin de Clermont-Ferrand. Les voitures, des dizaines de 2CV appartenant à des collectionneurs, ont été désossées et reconstruites sur la fausse chaîne. Mais le décorateur du film l’a assuré : elles ont toutes été parfaitement remontées et rendues nickel à leurs propriétaires.
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