La beauté des laides - Ford Mustang 3 : une cata dans la saga
Le modèle actuel, le sixième du genre, est plutôt réussi. La première génération de Mustang, qui date de 1964, l'était aussi. Mais à la fin des années soixante-dix, le mythe américain a traversé un immense trou noir stylistique et mécanique, dont il a, fort heureusement, réussi à trouver la sortie.
L'histoire de l'automobile est ponctuée de dates gravées dans la fonte, comme l'année 1955 qui a vu l'avènement de la Citroën DS, ou la naissance de la Mustang en 1964, la voiture la plus schizophrène de tous les temps.
Conçue comme une auto abordable et fun pour les jeunes Américains, vendue 10 dollars de moins qu'une Coccinelle de Volkswagen, elle est très vite devenue un mythe pour happy few de ce côté-ci de l'Atlantique. Son abondance là-bas, et sa raréfaction ici, liée à des importations particulières et au compte-gouttes, ont évidemment favorisé cette perception un poil différente d'un continent à l'autre.
Mais elle est jolie et pimpante, cette première Mustang. Une ligne simple qui respire la légèreté, un V6 et une boîte manuelle à trois vitesses, le génie du marketing de Lee Iacocca qui a fait un véritable putsch pour rafler la direction de Ford, et le tour est joué. Résultat, au lieu des 100 000 exemplaires espérés au cours de la première année, 417 000 Mustang sont vendues. Mais le temps va se couvrir dès la décennie suivante.
Mustang 2 : la voiture de crise
Après plusieurs restylages, il est temps de renouveler la "Tang" (puisque c'est comme ça que les fans désignent leur auto fétiche). mais la donne a changé. En 1974, la crise pétrolière est arrivée et les constructeurs japonais aussi. Leurs autos sobres au dessin carré et ramassé séduisent les Américains.
Alors Ford s'adapte, mais n'ose pas la révolution pour autant. La firme retravaille sa calandre au goût, pas très heureux, du moment. L'empattement est raccourci pour faire comme si on avait compris que l'époque était aux petites autos. Sauf que dans le même temps, les porte-à-faux de cette Mustang 2 se rallongent. Impossible de s'en empêcher : on est en Amérique, le pays du gigantisme, pas des petites citadines, que diantre. Les V8, accusés de trop consommer, sont licenciés. Place aux quatre cylindres, et, pour les plus riches, au V6.
Mais cette version 2 n'est qu'une mise en jambes vers le pire : la Mustang de 1979. Cette troisième génération n'est même pas affreuse : elle est inexistante. Sa ligne a perdu tous les signes distinctifs de cette auto particulière. Elle pourrait être badgée Nissan, Toyota ou Volkswagen qu'on n'y verrait que du feu. D'ailleurs, elle n'arbore même plus le fameux logo chevalin.
Sous son capot anodin, les moteurs le sont aussi. Le fameux small block, le V8 Ford de 5 l, s'il est de retour, est à la ramasse. Il délivre difficilement 140 ch, un record d'inefficacité même à l'époque, où l'on n’atteignait pas l'efficience actuelle. Aujourd'hui, une telle puissance est atteinte, chez Ford, par un trois cylindres d'1l.
Mustang 3 : la plongée du côté obscur
Les années passent et les affaires ne s'arrangent pas. Les ventes plongent. Lee Iacocca tente de réanimer l'auto en faisant progresser la puissance des moteurs avant de quitter le navire en 1983, et de s'en aller chez Chrysler, un an avant le vingtième anniversaire de son bébé. Un anniversaire qui sera tout de même célébré par une version particulière : une GT 350.
Un an plus tard, c'est au tour de la version SVO de tenter de raviver le mythe. Mais quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Les ventes continuent de baisser.
Malgré les dégâts, Ford décide de prolonger les souffrances de la Mustang 3 pendant près de dix ans encore. Pendant sa dernière année de sa production, seuls 80 000 exemplaires trouvent preneur d'une auto devenue totalement ringarde.
Et puis, en 1994, surprise. Au salon de Detroit, la descendance est enfin là. Cette nouvelle Mustang n'a pas encore retrouvé ses gènes originels, mais au moins, les designers de Dearborn ont remis la main sur leur crayon et l'ont même aiguisé. Le dessin de la version 4 n'est pas encore de celles que l'on accroche aux cimaises d'un musée du design, mais l'amélioration est notoire.
Mustang 5 et 6 : le retour de la force
Il faudra néanmoins attendre 2004 pour que le constructeur américain s'aperçoive d'un truc tout bête : pour bien vendre une Mustang, il faut arrêter de s'adapter aux modes du moment. Il faut surtout surfer sur le mythe originel, celui de 1964, tout en l'actualisant. Un équilibre difficile qu'ils vont finir par trouver. C'est ainsi qu'au mois de janvier 2004, toujours au salon de Detroit, la cinquième pony car du genre est apparue, et a renoué avec le succès. Il s'est prolongé pendant 10 ans, car chez Ford, une Mustang ne vit jamais moins longtemps.
En 2014 arrive donc la sixième et, pour le moment, dernière Mustang. Elle prolonge l'essai réussi de la cinquième, en affirmant encore un peu plus son ancrage dans son époque, puisqu'elle délaisse même son fameux essieu rigide à l'arrière, ce qui lui permet, oh miracle ! de rester sur la route dans un virage détrempé et en mauvais état.
Depuis 17 ans, Ford a réussi à se réconcilier avec son passé, et nos mirettes se sont rabibochées avec le design de Dearborn.
Les Mustang récentes sont donc aussi joiles que la toute première, mais faut-il pour autant délaisser celles de la sombre période des années 70 et 80 ?
Si l'on est raisonnable, si l'on recherche un moteur efficace et si l'on n'est pas fan de disco et de ce design particulier des fringues, de la déco et des autos de l'époque, on fera le détour pour éviter les Mustang 2 et 3.
Mais à 17 ans (l'âge des jeunes conducteurs débutants américains), on n'est pas sérieux. Cet âge, c'était justement celui à qui Lee Iaccoca destinait sa voiture, la Mustang originelle. Quand les parents des teenagers avaient les moyens de leur offrir leur première auto, ils se devaient de leur payer la Tang des années 60.
Cinquante-six ans plus tard, ceux qui n'ont plus vingt ans devraient se précipiter sur ces millésimes maudits, entre 1979 et 1994. Car ils sont moins chers que les autres, et surtout moins cotés que la première, dont les tarifs sont au sommet, et parce que, quand on aime, on a toujours 17 ans, on n'est pas raisonnable, et on a le droit de miser sur le mauvais pony.
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