Le bruit fait de la résistance
Logiquement, le silence devrait s’imposer dans l’automobile depuis l'avènement de l'électrique. Mais plusieurs constructeurs font machine arrière et équipent leurs autos de « bruiteurs ». Le but ? Conforter les réticents pour qui le bruit d’une auto est essentiel dans le plaisir de conduire. Un bien curieux besoin.
C’est une manie. De Ferrari à Abarth en passant par Hyundai et Dodge, la marotte du moment consiste à greffer un faux bruit de moteur dans des voitures, ou futures voitures, électriques qui sont, par essence, silencieuses (sic), histoire de reproduire le son des bonnes vieilles thermiques. Quant à ceux qui se refusent à imiter le « schlomp shlomp » d’un V8 ou les crépitements « braap braap tatata » d’un turbo, ils laissent des musiciens se pencher sur leurs capots. C’est le cas de BMW, Jaguar et Volkswagen. Jusqu’à Renault qui n’hésite pas à remettre Jean-Michel Jarre au boulot.
On est en droit de se demander pourquoi tant de boucan, alors que l’avènement de la voiture électrique avait, en partie, réglé le problème de la nuisance sonore ? En partie seulement, car tous ceux qui auront assisté à un grand prix de Formule E auront constaté que les bolides à watts ne sont pas silencieux et émettent un petit « zzzzzzzzz » strident proche d’une scie électrique s’acharnant sur une plaque de tôle.
Faites du bruit
Reste que les marques constatent que leurs clients veulent du bruit, sans qu’aucune raison rationnelle ne guide ce choix. Alors que, pendant des décennies, des acousticiens se sont tués à encapsuler des moteurs, à insonoriser des habitacles et à lutter contre les bruits de quincaillerie ou des bruits d’air, leurs descendants font le chemin inverse et en rajoutent. Au nom de quoi ? Personne n’a d’explication autre que le goût du client. La beauté d’un bruit de moteur n’a jamais reçu une quelconque onction artistique, esthétique ou musicienne, sauf si les clients de voitures sportives sont tous, comme un seul homme, fans de musique concrète et possèdent dans leur discothèque l’intégrale de John Cage et d’Edgar Varèse.
Certains ont quelque pudeur et tentent de rationaliser le concept. Comme Hyundai, dont les concepteurs de la Ioniq 5N, et de son bruiteur, expliquent, sans rire, qu’il en va de la sécurité du conducteur, pardon, du pilote, « C’est un système qui aide le pilote et lui permet de retrouver ses repères ». Le silence perte de repères ? On n’ose y croire. En revanche, on peut avancer une explication plus rationnelle que la supposition coréenne. Et si le fameux bruit n’était qu’un toc générationnel ?
L'âge du bruit
On connaît l’âge moyen de l’acheteur d’une voiture neuve qui s’établit à un peu plus de 55 ans. Il est encore un peu plus élevé pour ceux qui s’offrent une voiture premium ou dite sportive. Simple question de prix des autos en question, car à 20 ans, on a rarement les moyens de débourser entre 30 000 et 100 000 euros pour sa première auto. Or, les quinquas, ou plus, visés par les marques, sont les plus nostalgiques du temps d’avant, et donc les plus réticents au silence des voitures. Ces mêmes clients âgés ont déjà fait le succès des SUV (une assise haute évite de devoir se baisser lorsque l'on a mal de dos). Du coup, et vu le succès des autos hautes sur pattes, le train ou va le bruit électrique devrait rapidement conquérir tous les segments de toutes les gammes.
Quant à ceux qui redoutent les nuisances sonores, ils pourront toujours se tourner vers la Suisse. Nos amis helvètes ne sont pas seulement des banquiers discrets et des champions de la démocratie directe. Ils savent aussi, à l’occasion, se mêler d’acoustique. Du moins du côté de Lausanne ou les chercheurs de l’école polytechnique viennent de mettre au point un système révolutionnaire capable de réduire, voire d’annuler totalement, les bruits environnants.
On nous rétorquera, à juste titre, qu’un tel procédé existe déjà et que des membranes, insérées dans les haut-parleurs d’une auto ou d’un casque audio permettent depuis quelques années d’écouter les chansons de feu Toto Cutugno à fond les ballons sans être gêné par des bruits parasites. Mais l’invention helvétique est d’un autre calibre.
C’est qu’au lieu de produire des sons inverses aux bruits néfastes, et donc de les annuler, les chercheurs suisses propulsent de l’air ionisé dans l’environnement, et hop, le silence est d’or. Évitez de me réclamer en commentaire comment l’affaire peut être techniquement réalisable, car je suis aussi bon acousticien qu’excellent tireur d’élite, en raison d’une myopie puissante.
Toujours est-il que l’affaire est au point, que les chercheurs ont déposé les brevets et que le système est sur le point d’être commercialisé. Alors on se plaît à rêver d’un monde qui serait enfin acoustiquement en paix, et automobilistiquement réconcilié. Un monde ou chacun choisirait entre un bruit d’argent et un silence d’or.
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