Le covoiturage peut-il s’inscrire dans une politique de transport public ?
Dans un rapport, l’Agence Internationale de l'Énergie (1), définit la mise à disposition des sièges libres des véhicules comme une des dix solutions clés pour réduire notre consommation de pétrole et nos émissions carbone. Aujourd’hui, le taux d’occupation des véhicules dans l’Union Européenne se situe entre 1.4 et 1.6 personne. Pour Thomas Matagne, président fondateur de la plateforme de covoiturage Ecov, « atteindre un taux d’occupation moyen de 2 personnes par véhicule, toute chose égale par ailleurs, permettrait de réduire 125 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. Soit la conversion de 103 millions de véhicules thermiques en véhicules électriques. » Aujourd’hui 70% des déplacements domicile-travail sont réalisés avec des véhicules individuels, la plupart en autosolisme et on estime à 3 % la part du covoiturage quotidien (2). Comment dans ces conditions développer la pratique. Éléments de réponse avec Thomas Matagne, président fondateur de la plateforme de covoiturage Ecov.
Ecov gère 55 lignes de covoiturage en France. Une centaine est à l’étude comment définissez-vous l’emplacement d’une ligne de covoiturage ?
« On travaille avec l’algorithmie pour comprendre et associer le flux de voitures. On a de l’algorithmie associée au parcours des gens afin de leur envoyer les bonnes informations au bon moment mais aussi pour les engager, leur permettre de s’inscrire puis, ensuite, de les garder actifs dans le système. L’innovation n’est pas que data elle est aussi très sociale. Comment on fait pour que les gens aient envie de participer, de rester qu’ils coconstruisent la politique du changement. »
Quels sont les freins au développement du covoiturage ?
« Jusqu’à il n’y a pas très longtemps le covoiturage n’était pas une politique publique, la voiture n’était pas envisagée comme un élément du transport collectif et là on est sur une bascule. Il y a un début de prise en main par les collectivités notamment sous l’impulsion de métropoles. Les régions commencent à s’intéresser et on a une accélération de l’intégration des lignes de covoiturage express dans les SERM (Services express régionaux métropolitains). On arrive enfin à casser la frontière entre la voiture d’un côté et les transports collectifs de l’autre pour faire un système intégré. »
Le covoiturage vient en complément des transports collectifs traditionnels
Comment se fait votre développement ?
« On a besoin de commande publique, comme la SNCF, pour pouvoir faire le métier, développer l’innovation et accélérer sur l’impact déploiement. C’est en train d’arriver avec la Métropole de Lyon qui développe des lignes sur l’ensemble des axes pénétrants dans le centre de Lyon. île De France mobilité a annoncé le déploiement de 12 lignes de covoiturage dès cette année. On a une série de grands acteurs qui sont en train de basculer sur le fait que les lignes de covoiturages sont un élément du système de transport collectif. »
Comment insérer le covoiturage dans le système de transports en commun ?
« On joue la complémentarité. Une ligne de covoiturage permet d’étendre le domaine des transports collectifs au-delà des modèles conventionnels types bus et ferroviaire. Avec un maillage plus fin des territoires. Le covoiturage vient en complément géographique mais aussi temporel, le futur, ce sont des lignes qui vont être conçues conjointement entre les transports collectifs et le covoiturage avec une complémentarité. La seule façon que ça fonctionne, d’un point de vue budgétaire et économique, c’est d’avoir un système multimodal complémentaire RER, bus express, covoiturage express. »
Les constructeurs autos ont une vision matérielle et pas servicielle
Au-delà de la France y a-t-il un plan européen de développement du covoiturage ?
« Notre ambition est de faire un opérateur d’envergure internationale et l’Europe est clairement notre perspective. Mais le coût de construction de la réalisation politique fait qu’on doit y aller étape par étape. Aujourd’hui il y a à peu près zéro conscience politique. Comme il y a 20 ans les transports collectifs n’étaient pas un sujet, le véhicule électrique non plus. L’enjeu majeur est de faire monter le covoiturage dans l’agenda politique car c’est déterminant pour la suite. En termes de politiques publiques dans les États membres il n’y a pas de dynamique forte, l’Espagne et la Belgique travaillent sur le sujet. En Amérique du Nord, ils ont beaucoup développé les infrastructures type voies réservées mais qui ont du mal à fonctionner. La question est de comment concevoir structurellement le partage du véhicule. »
Vous dites que les constructeurs autos n’ont pas d’approche servicielle. Qu’est-ce que cela signifie ?
« Les constructeurs aujourd’hui ne s’intéressent pas de savoir combien de personnes sont transportées dans leurs véhicules, pourquoi les gens prennent leur véhicule, comment… Ils n’ont pas de vision territorialisée appliquée de la mobilité. C’est une barrière stratégique et culturelle. La vraie valeur d’une voiture c’est je me suis déplacé. Dans les périmètres de conception économique ils ont une vision matérielle et pas servicielle. Par exemple Michelin est passé d’un mode je vends des pneus à je les loue, un service de roulage auprès des professionnels. Dans la voiture on a des systèmes de location mais qu’importe la façon dont l’auto est utilisée. Nous, on veut transporter un max de gens avec un minimum de moyens. »
(1) International Energy Agency, A 10-Point Plan to Cut Oil Use, 2022
(2) Le covoiturage en France, ses avantages et la réglementation en vigueur. Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (21/03/24)
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