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Le marché auto s’est-il vraiment effondré en 2020 ?

Dans Economie / Politique / Marché

Jean Savary

Avec un quart de vente en moins en 2020, le marché automobile est revenu à son niveau de 1975 : 1,65 million de voitures écoulées. Une catastrophe ou l’opportunité d’une remise en question ?

Le marché auto s’est-il vraiment effondré en 2020 ?

"Effondrement", c’était le mot sans cesse rebattu dans les médias au lendemain du réveillon pour décrire la baisse du marché automobile. Le terme idoine pour ajouter à la psychomorosité ambiante mais très excessif pour décrire la réalité.

Car – 25 %, c’est certes une baisse, une forte baisse même, mais si un secteur s’est effondré en 2020, ce n’est pas l’automobile, mais plutôt le transport aérien, l’hôtellerie-restauration, le cinéma, le tourisme, le spectacle et bien d’autres activités envoyées au tapis par le Covid avec des -60 à -80 %.

D’ailleurs, si l’on considère l’étiage normal de notre marché automobile, autour de deux millions de voitures par an, et non pas 2,2 millions comme en 2019, la baisse n’est que de 19 %. On devrait même s’étonner que dans une telle panade économique, sociale et sanitaire, il se soit trouvé tant d’entreprises et de particuliers pour signer des bons de commande à cinq chiffres.

Même excès de langage pour qualifier "l’explosion du marché de l’occasion" (Le Monde, la Tribune…). Explosion dont on ne nous révèle pas la puissance – s’agit-il de + 5, 10, 15 % ? –  et encore moins la nature.

Les médias en parlent comme si ces voitures sortaient d’autres usines que les neuves, comme s’il s’agissait d’un autre type de véhicule alors que ces deux marchés sont d’authentiques vases communicants. Car une occasion est de plus en plus souvent une "0 km", une neuve invendue qui n’a été immatriculée que pour ravaler la statistique ; ou, pour les mêmes raisons, une presque neuve, une VD, voiture de démonstration affichant parfois moins de 500 kilomètres au compteur. Et pas beaucoup plus pour les "retours de location", des autos de moins de six mois qui, au premier confinement, ont été revendues en masse quand les loueurs ont dû rétablir leurs trésoreries endeuillées.

Bref, le marché n’a pas baissé d’un quart. 

75 ? Une année canon !

 Pire que l’effondrement, le grand retour en arrière : "on n’avait pas connu cela depuis 1975".

Le marché auto s’est-il vraiment effondré en 2020 ?

Vous, je ne sais pas - vous n’étiez peut-être pas né(e) - mais je n’ai pas un souvenir atroce de l’année de mes 13 ans : pas de char à bœufs sur des voies déjà goudronnées et si l’on voyait plein d’auto-stoppeurs au bord des routes, c’est tout simplement qu’ils n’avaient pas encore de smartphones. Malgré un prix de l’essence qui venait de faire boom, il y avait 16 millions de voitures sur les routes, presque une pour trois habitants alors qu’elles comptaient déjà majoritairement 5 places.  

Et pardon de rappeler qu’en ce lointain trois-quarts du XXe siècle, on produisait davantage de voitures en France qu’en cette merveilleuse année 2019 d’avant le Covid. Pas seulement parce que nos constructeurs nationaux - Renault, Peugeot, Citroën et Chrysler-France – trustaient à eux quatre 80 % des ventes (50 % aujourd’hui), mais surtout parce qu’ils n’avaient pas encore délocalisé leurs usines. Ils produisaient certes déjà en Espagne, en Argentine ou en Grande-Bretagne, mais d’abord pour satisfaire les marchés locaux.

A seule fin de nostalgie, je rappelle le solde positif du marché automobile de 1975 : + 10 milliards de francs d’alors, soit 7 milliards de nos euros. Et le solde négatif de celui de 2019 : - 12 milliards d'euros.

Un retour en arrière comme celui-ci ne serait pas mauvais à prendre.

Le marché auto s’est-il vraiment effondré en 2020 ?

Idem côté social. Bien avant son pic de 2004 (330 000 emplois), l’industrie automobile française de 1975 nourrissait alors 240 000 personnes, hors sous-traitants. Contre 210 000 en 2019, y compris les 4 000 de Toyota. Admettons que ces comparaisons ne soient pas raison - le parc automobile mondial a quintuplé en 45 ans, la production a plus que triplé et est désormais répartie sur toute la planète - mais si le retour à 1975 est vraiment un effondrement, c’est plus au bilan des concessionnaires que pour l’emploi des "travailleurs", comme disait Georges Marchais.

En 2020, une grosse envie d’être au volant

 Non seulement 2020 n’a pas été une année catastrophique pour l’automobile, mais on peut aussi penser qu’elle aura été celle de sa revanche.

Le marché auto s’est-il vraiment effondré en 2020 ?

D’abord, au printemps, le grand exode de Paris et des métropoles a démontré à ceux qui se targuaient (et recommandaient) de s’en passer qu’on ne vit pas sans bagnole(s) loin du tramway et du métro. Je connais d’indéfectibles autophobes qui s’en sont loué une de mars à mai et l’ont finalement prolongée jusqu’en septembre et la fin des vacances, car le métro et le train…. "tu vois ce que je veux dire…".

Ensuite, les acheteurs que l’on disait d’indécrottables conservateurs semblent s’être enfin convertis à de bonnes raisons de rouler en électrique et en hybride. D’accord, on les y a un peu aidés financièrement, mais le bond est spectaculaire : les électriques triplent leur part de marché à quasiment 7 % des ventes et les hybrides, à presque 15 %, ne pèsent plus que moitié moins que le diesel, descendu à 30 %, la part des gros rouleurs qui lui revient.

Des chignoles biodégradables…

Et puis faut-il absolument vendre deux millions et quelques voitures par an ? En quoi est-ce un plancher, un minimum vital ? Ce chiffre est-il éternel, comme les cloches à Pâques et la Vierge à Lourdes ?

En 1975, puisque c’est l’année terrible à 1,65 million de voitures où nous sommes retournés, les stars du marché étaient les Renault 5 et R12, les Peugeot 304 et 504, les Citroën 2CV et GS. Des voitures qu’il fallait vidanger tous les 5 000 ou 7 500 km (la boîte de vitesses tous les 25 ou 30 000 km !) et que, 504 exceptée, l’on ferraillait souvent peu avant ou après leurs 100 000 km, ne serait-ce que parce qu’elles rouillaient abominablement et qu’il ne fallait pas attendre que les amortisseurs passent au travers du soubassement. C’était la grande époque du Delco et du Blackson, des mécanos et des ferrailleurs.

De nos jours, une voiture de 100 000 km peut encore et à peu de frais en effectuer le double, voire le triple si l’on en prend un minimum soin. Pourtant on l’envoie souvent au pilon bien avant, sans la moindre trace de corrosion ; on ne répare plus, on jette.

S’il fallait satisfaire les besoins et les exigences automobiles des années 2020 avec les chignoles biodégradables à vis platinées produites alors, ce ne serait pas deux millions qu’il faudrait en vendre chaque année, mais plutôt trois ou quatre, voire cinq.

Faire tourner les usines

Mais aujourd’hui, a-t-on vraiment besoin d’acheter, tous les ans, deux millions de voitures capables de durer 2 décennies en roulant 15 000 km/an ?

Le marché auto s’est-il vraiment effondré en 2020 ?

Depuis que le parc automobile affleure à 40 millions de voitures (une voiture pour 1,7 français !), ce marché à deux millions par an n’existe plus que par la grâce des primes à la casse et du contrôle technique. Lesquels doivent autant sinon plus à la nécessité économique de faire tourner les usines qu’à la sécurité routière ou à la lutte contre la pollution.

Est-ce pécher par décroissance que de se demander si nous ne pourrions pas faire durer un peu plus nos autos et en acheter un peu moins souvent ? S’il faut sauver la planète, y parviendra-t-on en remplaçant des Renault Scénic par des Captur et des Twingo par des Zoé ? Quant à la propreté de nos poumons, je constate que chaque nouveau tour de vis de la norme Euro sur nos moteurs coïncide avec la découverte d’autres polluants ; derniers en date les particules issues de l’usure des pneus, du bitume et des freins.

S’il faut "retrouver notre souveraineté industrielle", ne faudrait-il pas d’abord cesser de déménager nos usines ? S’il faut maintenir ou créer de l’emploi, n’y en aurait-il pas à pourvoir dans les ateliers de réparation de nos garages ou à créer dans des centres de rénovation comme celui que projette Renault à Flins ?

Bref, si l’année 2020 aura bien été une année de m… de malheur, elle n’aura pas été celle de l’effondrement automobile, mais peut-être, il faut l’espérer, celle d’une remise en question.

Quant à 2021, je vous la souhaite la meilleure possible.

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