Mondial de l’auto 2018 : une affiche qui fait hurler les irréductibles pour mieux séduire les autres
Critiquée sur les réseaux sociaux dès sa parution, l’affiche du prochain Mondial de l’automobile déplaît aux puristes de l’auto. Sauf qu’elle n’est s’adresse pas à eux, qui de toute manière ne rateraient l’événement pour rien au monde. Elle cible tous ceux qui ont parfois oublié la route qui mène à la Porte de Versailles, à Paris.
Le fond est noir mais le nom de l’événement s’inscrit dans un écrin blanc. « Mondial de l’auto – Paris », un graphisme au parfum d’étiquette de fragrance de luxe. De part et d’autre, deux mains tiennent fermement un volant invisible. Cette affiche, celle du prochain salon parisien donc, a été rendue publique jeudi dernier et il n’aura fallu que quelques heures pour que, dans la foulée de ce lancement, les réseaux sociaux bruissent de leurs habituelles controverses. Sauf qu’elles avaient pris un tour quasi unanimiste. « On enterre qui ? L’automobile ? » commente cet internaute. « Nulle » tranche cet autre. « Comme une volonté inconsciente de supprimer… la voiture » ajoute celui-ci. « C’est l’affiche de cinquante nuances de Grey ? » se demande celui-là. Quand d’aucuns y voient tout simplement une allusion aux « prémisses de la voiture autonome ». Dans la foulée, certains y sont allés de leurs petits détournements. Les mains de l’affiche se sont vues entourées de menottes (allusions à la répression routière). Sur d’autres pastiches, Anne Hidalgo apparaît sur le fond noir, pour veiller sur les automobilistes parisiens.
Un parfum de luxe flotte sur l'automobile.
Sauf qu’à examiner ces commentaires et détournements, et surtout leurs auteurs, on s’aperçoit que nombre d’entre eux sont des professionnels de l’auto, y compris des pros de sa médiatisation, ou alors de purs passionnés. Car le grand public, celui qui fait que, bon an mal an, 2 millions d’autos sont vendues en France, n’a, quant à lui, même pas encore eu vent de l’affaire. Or, à qui s’adressent ce fond noir et son parfum de luxe à la française ? Aux irréductibles du vroum vroum, du survirage et du talon pointe ? Ou à tous les autres ? Tous ceux qui sont incités à se déplacer début octobre à la Porte de Versailles et qui, espèrent les organisateurs, seront plus d’un million et si possible, plus nombreux qu’en 2016 ? Car si le salon se contente de rassurer les fans de base de l’automobile, les convaincus de jadis, les adorateurs de la secte vilebrequin, un jour arrivera ou il ne finira même plus par ressembler à un respectable salon régional, mais à une aimable concentration du club, dont le président pourra lui-même fournir la Blanquette de Limoux du vin d’honneur et les crackers étalés sur une nappe en papier, tellement ses effectifs auront fondu.
Hier n’est plus de mise. En 2002, le Mondial faisait rêver avec une affiche en forme de grand bouchon parisien. Aujourd’hui, les bouchons ne font plus rêver personne.
Le monde et l’automobile ont changé, le Mondial l’a compris, après s’être fourvoyé. Comme le confie son patron Jean-Claude Giraud à Caradisiac, « En 2016, l’affiche montrait un cabriolet alors que c’était clairement le salon des SUV… ».
Certes, le salon de Genève qui ouvre ses portes dans moins d’un mois s’autorise une affiche ultra-classique. Une auto qui va vite et une couleur qui claque : difficile de faire plus conventionnel, difficile de mieux satisfaire les irréductibles de la belle voiture « qu’elle est bien pour la conduire ». Mais Genève n’est pas Paris et sa fréquentation est près de deux fois inférieure à celle du Mondial. Pas grave, les constructeurs s’y précipitent et les professionnels aussi. À Genève, la fréquentation, issue d’un petit pays (par son nombre d’habitants) et de ses frontaliers n’est pas un critère de réussite fondamental. Le salon helvétique est avant tout ce rendez-vous qui marque le début de la saison de toute une filière. Tout l’inverse de Paris
Alors le Mondial se devait de changer. Ce que tout le monde a reconnu. Mais quand le Mondial change vraiment, en commençant par changer son affiche, une partie de ceux qui espéraient un renouveau se hérissent. Curieux phénomène ? Steven Prinker l’a étudié, et il a même donné un nom à ces irréductibles. Dans sa tribune au Wall Street Journal, il les appelle les « gloom-sayers » que l’on peut traduire hâtivement par les « c'était mieux avant ». Pour le distingué prof de psycho de Harvard, ils ont un énorme pouvoir de freiner toute innovation. Et la voiture, symbole de leur XXe siècle, est la meilleure représentation de leur attachement au passé. Mais s’ils ne savent pas tourner la page, l’automobile doit le faire à leur place. Se transformer ou mourir du syndrome Kodak. Cette affiche ne suffira pas au Mondial pour lui éviter le destin de l’inventeur de l’Ektachrome, mais elle ne peut qu’y contribuer.
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